Grandes questions de l’archéologie : « L’archéologie, le droit et les juges »

Stèle du code de lois de Hammurabi (détail). Vers 1792-1750 avant notre ère. Paris, musée du Louvre. © Wikimedia Commons / Rama — CC BY-SA 3.0 FR
L’archéologie entretient avec le droit (et ceux chargés de l’appliquer, sinon de le définir) des relations fort anciennes. Et non seulement avec le droit de l’archéologie, mais aussi avec le droit tel que l’archéologie peut le retrouver dans les sociétés anciennes.
Ainsi, la paléogénétique suggère désormais, à propos de certaines nécropoles néolithiques – voire plus anciennes –, qu’il se serait agi de sociétés patrilinéaires et patrilocales, c’est-à-dire que les épouses venaient d’ailleurs pour rejoindre la résidence de leur mari, comme ce fut longtemps le cas en Europe. Il semble bien, également, que dans les sociétés traditionnelles, les activités étaient genrées, la guerre et la chasse étant réservées pour l’essentiel aux hommes. Puis l’invention de l’écriture a permis aux archéologues de retrouver de nombreux textes juridiques, l’un des plus anciens et des plus célèbres étant le code de Hammurabi.
Lente mise en place d’une protection du patrimoine archéologique
Il y a, symétriquement, un droit de l’archéologie. De tout temps, les sociétés se sont intéressées à ceux qui les avaient précédés et à leurs vestiges. Nabonide, dernier roi de Babylone au VIIe siècle avant notre ère, s’exaltait d’avoir retrouvé, justement, le temple de Hammourabi dans la ville de Larsa en Syrie et il nous en a laissé le récit gravé sur un mur. Mais cela n’a pas toujours été le cas et, au Moyen Âge, quand ils n’ont pas été convertis en églises, bien des monuments romains ont servi de carrières de pierres et d’alimentation pour les fours à chaux. Avec la Renaissance et la redécouverte de la culture antique écrite, une nouvelle sensibilité est apparue, notamment en France, mais elle resta néanmoins minoritaire. Ainsi en 1548 le gouverneur et connétable Anne de Montmorency, un proche de François Ier, édicta une circulaire comminatoire s’insurgeant contre ceux qui, dans la ville de Nîmes aux riches vestiges romains, « cachent, ruinent et démolissent ces antiquités, en manière qu’en peu de temps ils auront si bien entrepris sur celles-ci que le tout sera ruiné, détruit et gâté » – destructions qu’il interdit, sous peine de sanctions. De fait, certains juristes s’intéressaient dès cette époque à l’archéologie, comme doit le rappeler le colloque « Des juristes antiquaires aux antiquités du droit. Enquête sur la rencontre entre droit et archéologie (XIVe-XXe siècle) » qui se tiendra les 3 et 4 novembre 2025 à l’université de Bordeaux. Mais comme l’on sait, il faudra bien plus de temps pour que soit mise en place en France une véritable protection du patrimoine archéologique : l’année 1830 pour que soit créé un poste d’inspecteur des monuments historiques, 1913 pour que soit votée la loi sur la protection des monuments historiques, 1941 pour que les fouilles archéologiques soient soumises à une autorisation préalable, 2001 pour la loi sur l’archéologie préventive, et enfin 2016 pour que le sous-sol archéologique devienne propriété publique.
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Les ravages des détectoristes…
La loi n’est néanmoins rien sans son application par les juges. Or force est de constater que l’archéologie n’a pas été, du moins pendant une longue période, sans subir le laxisme de la justice, thème incontournable de certaines idéologies. Ce laxisme est à situer dans le climat général de dédain pour l’archéologie du territoire national qui a largement caractérisé les élites de notre pays et explique en particulier les retards législatifs qui viennent d’être rappelés. Il s’est longtemps manifesté par une très grande indulgence vis-à-vis des fouilles clandestines, et notamment celles menées avec l’aide de détecteurs de métaux. Il existe en effet en France environ 200 000 détectoristes, dont une partie se sert de ces instruments par pure curiosité ou pour retrouver des objets perdus, sur les plages par exemple. Mais les détecteurs sont aussi d’une redoutable efficacité pour piller des sites archéologiques, du moins ceux susceptibles de contenir des objets en métal, tels les cimetières d’époque gauloise, gallo-romaine ou médiévale, ou encore les dépôts ou caches d’objets métalliques de l’Âge du bronze. Pendant longtemps, les juges ont considéré qu’il s’agissait là d’un innocent passe-temps, un peu comparable à la chasse aux papillons ou à la cueillette des champignons. C’est seulement ces dernières années que les amendes se sont faites plus sévères, en général quand il s’agissait d’objets dits de valeur, alors que les dégâts scientifiques peuvent être tout aussi importants pour des objets de « moindre » valeur. Notons d’ailleurs que l’ensemble des préconisations d’un rapport sur les détecteurs de métaux émis il y a quinze ans par le Conseil national de la recherche archéologique n’a toujours pas été complètement mis en place par l’administration compétente.

Détectoristes sur une plage. © DR
…et des promoteurs
Il en a été de même avec la destruction délibérée de sites archéologiques par des aménageurs. Tous les archéologues, sinon beaucoup de citoyens ordinaires, auront un jour ou l’autre entendu parler de tel ou tel site découvert lors de travaux de terrassement, mais immédiatement et discrètement détruit sur ordre des responsables du chantier. Si ces faits venaient à être connus et si une procédure judiciaire s’enclenchait, il était rare que cela dépasse une modeste amende. Au début des années 2000, un promoteur avait ainsi détruit dans la ville d’Amiens, la Samarobriva gallo-romaine, des constructions antiques alors même qu’une fouille lui avait été prescrite. On ignore si, en fin de compte, il fut effectivement condamné à une amende au montant équivalent au coût de la fouille qui aurait dû avoir lieu. Emblématique est une affaire récente, celle de la nécropole gauloise de Soupir, dans l’Aisne. Cette nécropole était apparue lors de l’ouverture d’une carrière de sable par une grande entreprise de rang international. Mais, plutôt que de payer la fouille comme la loi l’y obligeait, le carrier proposa d’en faire une réserve archéologique pour le futur. Toutefois, on découvrit quelques années plus tard que, non seulement le site avait été détruit et le sable sous-jacent extrait, mais que l’entreprise avait recréé le lieu comme si rien ne s’était passé. À la suite d’une plainte du ministère de la Culture dûment informé, l’entreprise argua que cela s’était produit à l’insu de son plein gré, recourut à la procédure du « plaider coupable » et fut en définitive condamnée à une amende de… 5 000 €, sans que le ministère ne fasse appel.
« Sans cesse, semble-t-il, la cause de la préservation de notre patrimoine archéologique, par définition non renouvelable et en constante érosion, doit être remise sur le métier. »
Jean-Paul Demoule
Des juges devenus archéologues
Tout dernier événement en date, la décision du tribunal de Montreuil. Sur l’emplacement du bourg médiéval d’Aubervilliers, un diagnostic avait été prescrit par le Service régional de l’archéologie du ministère de la Culture sur une parcelle qui devait être construite. Rappelons que les diagnostics archéologiques préalables sont pris en charge par une taxe et ne sont donc par à la charge de l’aménageur. Pourtant celui-ci décida de faire appel de cette prescription auprès dudit tribunal. Étrangement, les juges se déclarèrent compétents en matière d’archéologie et estimèrent en mars dernier qu’il n’y avait pas lieu de faire ces sondages préliminaires et condamnèrent l’État à une amende de 2 000 € afin de dédommager ledit promoteur. Étrangement là encore, le ministère de la Culture ne fit pas appel et accepta de payer l’amende. Certains estimeraient qu’il s’agit d’une décision isolée. Mais elle pourrait parfaitement faire jurisprudence et des juges seraient désormais à même, un peu partout sur le territoire et dans ce climat de dédain pour le patrimoine national, de décider s’il y a lieu, ou non, de faire des sondages archéologiques préliminaires à tel ou tel endroit. Tout comme l’amendement à la loi dite « de simplification de la vie économique », présenté en juin dernier et exonérant les projets dits « d’intérêt national » de diagnostic archéologique préalable, pourrait parfaitement s’étendre peu à peu à beaucoup d’autres projets, jugés de plus en plus « d’intérêt national ».
Sans cesse, semble-t-il, la cause de la préservation de notre patrimoine archéologique, par définition non renouvelable et en constante érosion, doit être remise sur le métier.
Pour aller plus loin
DELESTRE X., 2022, Pilleurs d’archéologie en France, Arles, Errance & Picard.
DEMOULE J.-P., 2020, Aux origines, l’archéologie. Une science au cœur des grands débats de notre temps, Paris, La Découverte.
DEMOULE J.-P. & SCHNAPP A., 2024, Qui a peur de l’archéologie ? La France face à son passé, Paris, Les Belles Lettres.
DUMONT-CASTELLS A., 2022, Pillages archéologiques. Le cas Pierre-Calixte Duretête, Arles, Errance & Picard.
NEGRI V. & SCHLANGER N. (dir.), 2024, 1941 : Genèse et développements d’une loi sur l’archéologie, Paris, La Documentation française.
RAMBAUD Th., 2025, Droit et archéologie, Bruxelles, Bruylant.
SAUJOT C., 2004, Le droit français de l’archéologie, Paris, Éditions Cujas.





