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L’art du verre embrase l’Institut suédois 

Maria Bang Espersen.

Maria Bang Espersen. Photo service de presse. © Photo MBE

En contrepoint de son nouveau parcours permanent dédié au Siècle des Lumières, l’institut niché dans le quartier du Marais célèbre le travail de cinq des artistes verriers les plus en vue du moment. L’exposition dévoile la vitalité et l’audace d’un pan de la scène artistique suédoise, loin de l’élégance intemporelle du fameux « design scandinave ».

Il y a tout juste 100 ans, alors que l’Art déco naissait officiellement en France, un mouvement comparable appelé Swedish Grace se développait en Suède et allait connaître sa consécration lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925. À l’instar des architectes, peintres ou céramistes, les verriers se lancent alors dans une recherche de qualité et de clarté formelle afin de rendre le beau accessible à tous. Ils posent ainsi les bases du « design scandinave », minimaliste, durable et fonctionnel, qui connaîtra son âge d’or dans les années 1950.

Un brin d’irrévérence

Le mois de septembre est placé cette année encore sous le signe de la Design week au centre culturel suédois. Le commissaire d’exposition Markus Emilsson investit pour l’occasion une partie du rez-de-chaussée de l’hôtel de Marle qui abrite l’institut depuis 1971 afin de dévoiler au public français cinq jeunes talents aujourd’hui actifs en Suède. Réunissant une vingtaine d’installations, de vases imposants ou d’œuvres plus intimistes, la scénographie ludique et flamboyante nous invite à appréhender les univers variés de chacun d’entre eux. « J’aurais pu exposer les tenants d’un design sobre et épuré qui s’inscrivent dans la continuité du Swedish Grace mais j’ai trouvé plus amusant de montrer un pan baroque et décalé de la création actuelle » confie Emilsson, qui est lui-même un artiste verrier internationalement reconnu. « Pour certains, less is more, mais pour d’autres more is more » ajoute-t-il, facétieux. Il a donc choisi de célébrer avec un brin d’irrévérence le centenaire de ce mouvement historique et fondateur en rassemblant des créateurs qui en prennent, plus ou moins consciemment, le contrepied. 

Kirsten Vikingstad Hermansson, Mothering.

Kirsten Vikingstad Hermansson, Mothering. Photo service de presse. © Photo Maddoc Photography

Au « royaume du verre »

Depuis une quinzaine d’années en Scandinavie, alors que les grandes verreries ont largement réduit leurs activités, une nouvelle génération d’artistes aborde le médium de manière non conventionnelle. En Suède, la plupart de ces jeunes qui bousculent les traditions et réinterprètent avec audace les techniques ancestrales ont un lien avec le Småland, région de forêts et de lacs qui s’impose depuis 250 ans comme le « Royaume du verre » (Glasriket) : certains y vivent et y travaillent (comme Maria Bang Espersen et Hanna Handsdotter), beaucoup y ont été formés et sont notamment passés par la célèbre école ­d’Orrefors, un lieu de transmission et d’innovation unique (Fredrik Nielsen, Peter Hermansson), tous sont exposés dans les musées de la région. 

Kirsten Vikingstad, Crystal Map.

Kirsten Vikingstad, Crystal Map. © Maddoc Photography

Casser les codes

La Danoise Maria Bang Espersen (née en 1981) a très tôt choisi de délaisser les savoir-faire traditionnels pour développer une approche expérimentale et spontanée. Réalisées selon la technique du sucre filé, ses poétiques sculptures aux teintes tendres et acidulées vous sont peut-être familières car l’une d’elles a servi d’emblème à la dernière édition de la biennale ­Révélations. Ce mélange subtil de contrôle et de hasard peut la rapprocher d’Hanna ­Handsdotter (née en 1984), gloire montante du design suédois dont les iridescents vases soufflés résultent de l’utilisation de moules métalliques créés numériquement, mais dont la matière en fusion peut s’échapper pour donner naissance à des formes voluptueusement kitsch.

L’exposition révèle un pan de la création verrière plus expressive et brutale. Le « rebelle » Fredrik Nielsen (né en 1977) place au cœur de sa démarche la violence et l’accident, il casse autant les codes que ses propres créations, qu’il recolle et repeint afin de créer des vases et des coupes monumentales. L’anticonformiste Kirsten Vikingstad Hermansson (née en 1988) choisit quant à elle de retravailler les blocs de verre coulé densément colorés par sciage, polissage et meulage pour donner vie à des assemblages opaques et rugueux évoquant des motifs architecturaux et des cartes à travers lesquels elle entend interroger les notions de pouvoir et de conquête territoriale.

Maria Bang Espersen.

Maria Bang Espersen. Photo service de presse. © Photo MBE

Faire naître le motif dans le verre

Tout aussi atypique, l’œuvre de Peter Hermansson (né en 1975) impressionne par sa virtuosité : l’ancien graffeur a perfectionné durant quinze ans sa maîtrise du Graal et de l’Ariel, techniques suédoises exigeantes consistant à emprisonner des motifs entre plusieurs couches de verre coloré ou transparent. Soigneusement polis, chacun de ses vases habités de silhouettes stylisées, de masques grinçants et de symboles géométriques offre une profondeur optique puissante. À travers ces cinq artistes et leurs univers singuliers, l’Institut suédois nous convie à une saisissante plongée dans un art en pleine mutation.

Peter Hermansson.

Peter Hermansson. Photo service de presse. © Photo Maddoc Photography AB

« Blazing Grace », du 3 au 21 septembre 2025 à l’Institut suédois, 11 rue Payenne, 75003 Paris. Tél. 01 44 78 80 20. www.institutsuedois.fr