Les joyaux de la Couronne : cœur sacré des collections royales britanniques

Cecil Beaton, La reine Elizabeth II le jour de son couronnement, 1953. Photo service de presse. Royal Collection Trust © His Majesty King Charles III 2023
Les gemmes et les bijoux des collections royales britanniques, les « insignes » de la monarchie, ceux qui sont conservés à la Tour de Londres et les autres, jouissent d’une réputation quasi proverbiale. Leur valeur intrinsèque jointe à leur aura symbolique et leur portée historique proclament, en un résumé chatoyant et flavescent, la puissance et le prestige, sinon la pérennité, de la Couronne.
L’histoire mouvementée de ces objets et de ceux, perdus, qu’ils ont remplacés au fil des siècles oppose, en vérité, un démenti à la tranquille notion de continuité monarchique. De fait, les bijoux provenant des Plantagenêts ou même des Tudors sont rarissimes au sein des collections de la Couronne.
Revers de fortune
Soulignons à quel point la possession d’un trésor royal est consubstantielle à l’histoire des grandes maisons royales. Le pouvoir qu’il conférait, le prestige qui s’y attachait et l’attraction primitive de ce que l’économiste britannique John Maynard Keynes, évoquant le rôle (anachronique à son époque) de l’or, appelait une « relique barbare » y voisinent avec des considérations pragmatiques forgées au cours des crises sanglantes qui sont la toile de fond de la chronique de lignées millénaires. Grâce à leur faible encombrement – leur ratio valeur/poids demeura inégalable pendant des siècles –, les pierreries particulièrement constituaient un capital qui pouvait être mobilisé aisément, être gagé lorsqu’un besoin pressant de liquidités se faisait sentir (ce fut souvent le cas, au Moyen Âge notamment). Les vicissitudes des trésors successifs des rois d’Angleterre rempliraient un volume. Citons la perte des joyaux de la Couronne par Jean Sans Terre lors de la traversée d’un estuaire du Wash, sur la côte Est de l’Angleterre, où il guerroyait en 1216 ou encore le coup de main réalisé en 1303 par le brigand Richard de Pudlicott, qui s’empara du trésor (gemmes, or) du roi Édouard Ier alors conservé à Westminster1 (la Tour de Londres, jugée plus sûre, remplaça l’abbaye après cette date).

Robert Vyner (1631‑1688), sceptre du souverain, 1661 (ajouts postérieurs). Or, diamants, émeraudes, rubis, saphirs, spinelles, améthyste et émail, 92,2 cm. Jewel House Photo service de presse Royal Collection Trust © His Majesty King Charles III 2023
Les regalia, objets sacrés du couronnement
Dérivant du mot latin médiéval regalia qui servit, depuis le XIIe siècle, à désigner les insignes royaux, ce terme renvoie dans la culture britannique, notamment, à des objets sacrés, revêtus d’une forte charge symbolique, au-delà de leur valeur économique. Ces insignes – couronne, orbe, sceptre, masses, éperons, dalmatique, ampulla en forme d’aigle contenant l’huile sainte utilisée pour l’onction du souverain etc. – sont exigés par le protocole millénaire de la cérémonie du couronnement, question d’ordinaire théorique, mais se trouvant être ces jours-ci d’actualité. Pourtant les regalia utilisés lors du sacre de S.M. Charles III ne remontent pas au-delà du milieu du XVIIe siècle. La Guerre civile anglaise, qui se solda par le premier régicide de l’ère moderne avec la décapitation de Charles Ier en 1649, entraîna la destruction, la fonte ou la vente par la république puritaine gouvernée par Oliver Cromwell des anciens regalia, à l’exception notable de la cuillère du sacre (voir Portfolio), qui se trouve être la seule pièce d’orfèvrerie royale du Moyen Âge à être parvenue jusqu’à nous – elle date en partie du XIIe siècle.

Robert Vyner (1631‑1688), ampulla, 1661. Or, 20,7 x 10,4 cm. Jewel House. Photo service de presse. Royal Collection Trust © His Majesty King Charles III 2023
Un goût médiéval
Lors de la restauration des Stuarts, l’orfèvre royal Sir Robert Vyner eut la lourde (et coûteuse) charge de recréer un ensemble complet comprenant notamment la Saint Edward’s Crown, la couronne du sacre. Un modèle médiéval (corrigé par un certain baroquisme) s’imposa. Ce médiévisme trouvait son explication dans le désir de marquer la continuité, depuis le roi Édouard le Confesseur (qui régna avant la conquête normande de 1066), d’un principe monarchique si brutalement interrompu, voire de faire croire que la couronne utilisée lors du sacre de Charles II en 1661 était l’objet originel. Faite d’or et de velours violet, la couronne du sacre est enrichie de 444 pierres précieuses et semi-précieuses et pèse pas moins de 2,23 kg.

Robert Vyner (1631‑1688), couronne du sacre, dite Saint Edward’s Crown, 1661 (altérations et ajouts postérieurs). Or, argent, platine, émail, tourmalines, topazes, rubis, améthystes, saphirs, grenat, péridot, zircons, spinelle, aigues-marines, velours et hermine, 30,2 cm. Jewel House. Photo service de presse Royal Collection Trust © His Majesty King Charles III 2023
Diamonds are the Crown’s best friends
Soulignons que les regalia comprennent d’autres couronnes, la plus prestigieuse étant l’Imperial State Crown, plus légère, que porte le monarque le jour du sacre à sa sortie de Westminster ou lors de l’ouverture annuelle de la session du Parlement. L’actuelle est une réplique (faite en 1937) de celle qui avait été exécutée pour la reine Victoria en 1838. Elle dut être mise à la taille de la jeune Elizabeth II lors de son sacre en 1953. La couronne impériale est ornée de 2 868 diamants, 273 perles, 17 saphirs, 11 émeraudes et 5 rubis et surtout, depuis 1909, de l’un des plus gros diamants connus, le Cullinan II ou Second Star of Africa (plus considérable encore, le Cullinan I, plus gros diamant taillé incolore du monde, orne le sceptre du souverain)2. On y trouve aussi plusieurs pierres réputées provenir du Moyen Âge, dont le « rubis du prince noir » (un spinelle en vérité), qui doit son nom au prince de Galles Édouard de Woodstock (1330-1376). La pierre fut réintégrée aux collections royales en 1661.

Garrard & Co, couronne impériale, 1937. Or, platine, argent, diamants, rubis, émeraudes, saphirs, spinelle, perles, velours et hermine, 31,5 cm. Photo service de presse. Royal Collection Trust © His Majesty King Charles III 2023
Florilège
On ne saurait décrire par le menu un tel ensemble de joyaux, et le faire brièvement donnerait lieu à une poussive litanie. On considérera dans cet article, et dans le portfolio qui l’accompagne, quelques pièces insignes datant presque toutes de la période victorienne et du début du XXe siècle, qui virent l’apogée de la puissance britannique et furent particulièrement fastes en matière de commandes aux joailliers.
Le diadème de diamants
Tel n’est pourtant pas le cas d’un diadème de diamants célèbre parce que souvent arboré par feu la reine Elizabeth II (y compris sur les timbres et billets de banque). Évoquant les fleurs nationales du Royaume-Uni (rose anglaise, chardon écossais et trèfle irlandais), le diadème, réputé avoir été dessiné par le chief designer de Rundells, Philip Liebart, fut réalisé pour George IV qui le porta, sur un large chapeau de velours, lors de son avènement en 1820.

Cecil Beaton (1904‑1980), La reine Elizabeth II arborant le diadème de diamants (Rundell Bridge & Rundell, 1820, diamants, or, argent et perles), ainsi que le collier et les boucles d’oreille de diamants de la reine Victoria (R. & S. Garrard & Co, 1858, diamants, or, argent et platine), 1955. Londres, Victoria and Albert Museum. © Scala, Florence / V&A Images / Victoria and Albert Museum, London
Jarretière royale
Pour en venir à la période victorienne et subséquente, on s’arrêtera sur un insigne du plus prestigieux ordre chevaleresque subsistant, l’ordre de la Jarretière fondé par Édouard III en 1348, et sur la commande par la reine Victoria d’une jarretière ornée de diamants. Réalisé par Rundell, Bridge & Co et orné de la devise de l’ordre, Honi (avec l’orthographe médiévale) soit qui mal y pense3, ce luxueux objet fut offert par la souveraine au prince Albert en 1840 comme cadeau de mariage.

Rundell Bridge & Rundell, jarretière du prince Albert, 1840. Or, diamants et velours, 35,5 x 11,5 cm.
La parure de couronnement
Dus à R. & S. Garrard & Co (1858), le collier de diamants et les boucles d’oreille qui l’accompagnent sont désignés comme « du couronnement » parce qu’ils furent, notamment, portés par Elizabeth II lors de son sacre en 1953. Remarquables joyaux de la période victorienne, ils se signalent par l’utilisation d’un diamant en pendant spectaculaire, le Lahore Diamond qui fut offert à la reine Victoria en 1851.
Les diamants Cullinan
Dans le même registre « pyrotechnique », on citera évidemment la broche Cullinan (Joseph Asscher & Co) qui consiste en un diamant taillé en poire (le Cullinan III) et l’autre en coussin (Cullinan VI). Taillées dans le diamant sud-africain que nous avons déjà évoqué, les pierres furent montées en broche pour l’épouse de George V, la reine consort Mary, en 1911. On conclura avec une pierre fameuse, le Koh-i-nûr (« Montagne de lumière » en persan), qui rappelle que l’un des signes historiques irréfutables de la puissance des empires, considérée sans illusions, consiste à s’emparer des richesses de peuples asservis. Saisie à Lahore en 1849, lors de l’annexion du Penjab par les Britanniques, cette pierre d’une pureté exceptionnelle fut offerte à la reine Victoria par l’East India Company en 1850. Jugée piètrement taillée, elle fut examinée par Sebastian Garrard puis retaillée. Le Koh-i-nûr est à présent une pièce autonome des collections royales qui a été utilisée de diverses manières (broche, collier) par les reines successives – il possède, en effet, la réputation de porter malheur aux hommes.
1 Une large partie des objets volés fut retrouvée et le voleur pendu, avec les moins habiles de ses complices.
2 Les deux pierres (et d’autres) furent taillées à partir du Cullinan, plus gros diamant brut (3 106 carats) jamais trouvé. Extrait en 1905 d’un gisement d’Afrique du Sud (son nom provient de celui du directeur de la compagnie minière), le diamant fut offert au roi Édouard VII en 1907.
3 Rappelons que les rois d’Angleterre de la dynastie Plantagenêt ne savaient généralement pas l’anglais.







