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Le calendrier des Très Riches Heures du duc de Berry décrypté mois par mois. Mars : « Les premiers travaux des champs »

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs » (détail). Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm.

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs » (détail). Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado

Réalisées au XVe siècle, les Très Riches Heures du duc de Berry sont sans doute le manuscrit le plus célèbre au monde. Enluminées par les frères de Limbourg, éminents artistes attachés à la cour de Bourgogne puis de Berry, qui ont révolutionné l’histoire de l’art, elles se composent de 121 miniatures qui captivent par leurs représentations de châteaux historiques, de scènes princières et des travaux des champs rythmés par les saisons. À l’occasion de la restauration de ce chef-d’œuvre, montré seulement deux fois au public depuis la fin du XIXe siècle, il est possible d’admirer les 12 folios du calendrier dérelié jusqu’au 5 octobre dans la salle du Jeu de Paume du château de Chantilly. Nous vous proposons aujourd’hui de plonger au cœur du folio 3 v°, « Les premiers travaux des champs », illustrant le mois de mars.

En toile de fond du mois de mars se déploie le premier château du calendrier, choisi très symboliquement par le duc de Berry. Le château de Lusignan fut en effet conquis par celui-ci au terme de l’une des campagnes les plus difficiles de sa carrière militaire.

Messieurs les Anglais

La forteresse était inexpugnable grâce à son système défensif d’enceintes successives parfaitement rendu ici, trahissant une connaissance sans doute directe des lieux par les frères de Limbourg. Après avoir reçu le comté de Poitou en apanage de son père Jean II le Bon en 1356, puis de son frère Charles V en 1369, Jean de Berry fut nommé lieutenant en Poitou, Angoumois et Saintonge, à charge de reprendre ces terres aux Anglais. Le long siège de Lusignan, entamé le 12 mars 1373, forma la dernière étape de cette entreprise de longue haleine.

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs » (détail). Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm.

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs » (détail). Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado

Un dragon dans la baignoire

La reddition des Anglais en 1374 est rappelée par la présence d’un dragon au-dessus de la tour Poitevine. Il s’agit de la fée Mélusine, dont l’histoire est immortalisée par Jean d’Arras dans son roman Roman de Mélusine ou la Noble histoire de Lusignan offert en 1393 au duc de Berry qui se voulait l’héritier légitime des Lusignan, par sa mère Bonne de Luxembourg. La fée serpent, qui aurait édifié le château, a été trahie par son époux le comte Raymondin trop curieux qui, ne respectant pas l’interdiction de la voir le samedi, l’a surprise dans son bain : ce jour-là, la partie inférieure de son corps prenait la forme d’un dragon. Elle s’enfuit alors sous cette forme et demeura la gardienne du château, apparaissant quand l’un des seigneurs du lieu devait mourir ou que la forteresse devait changer de propriétaire, comme ce fut le cas pour le duc de Berry. Elle s’apparente ici à une girouette placée au-dessus de la tour Poitevine.

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs » (détail). Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm.

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs » (détail). Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado

Labourage et pâturage

Toute la campagne environnante se déploie en contrebas. Un édicule gothique, appelé montjoie, permet de marquer le carrefour de deux chemins qui délimitent les parcelles et confèrent beaucoup de profondeur à l’espace. Les travaux des champs reprennent à la sortie de l’hiver. Barthélemy d’Eyck y a peint des dessins préparés par les Limbourg. Près du château, deux bergers et leur chien mènent leur troupeau de moutons semblant fuir une giboulée menaçante. Dans l’enclos surplombé par une tour crénelée, des vignerons taillent la vigne et sarclent la terre. À côté, dans un champ, un paysan sort les grains d’un sac pour les semer. Au premier plan, parallèle au cadre de la miniature et prenant la direction inverse du char du Soleil surplombant le tout, le laboureur et sa charrue à versoir, tirée par deux bœufs, trace de francs sillons. Pour l’esquisser, les Limbourg se sont sans doute inspirés du traité d’agronomie de Pietro de’ Crescenzi qu’abritait alors la bibliothèque ducale. La mise en peinture et les ombres projetées par le groupe renvoient à la manière de Barthélemy d’Eyck, qui acheva de peindre l’image vers 1446.

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs ». Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm.

Les frères de Limbourg, vers 1411-1416, et Barthélemy d’Eyck, vers 1446, Très Riches Heures du duc de Berry, ms. 65, folio 3 v°, le mois de mars, « Les premiers travaux des champs ». Chantilly, bibliothèque du musée Condé. 21 x 29 cm. © GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly)/Michel Urtado

« Les Très Riches Heures du duc de Berry » jusqu’au 5 octobre 2025 au Château de Chantilly, Salle du Jeu de Paume, 60500 Chantilly. Tél. : 03 44 27 31 80. chateaudechantilly.fr

Art de l’enluminure n° 93, Éditions Faton, 16 €.