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Françoise Pétrovitch rend hommage à George Sand à Aubusson

Françoise Pétrovitch retouchant le carton d’Hommage à George Sand (le carton est inversé par rapport à la maquette).

Françoise Pétrovitch retouchant le carton d’Hommage à George Sand (le carton est inversé par rapport à la maquette). Photo service de presse. © Cité internationale de la tapisserie / Françoise Pétrovitch 2023

La Cité internationale de la tapisserie, dont la mission est de transmettre les savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson et de promouvoir la création contemporaine, a fait appel à Françoise Pétrovitch pour créer la maquette de la plus longue tapisserie jamais réalisée, Hommage à George Sand, à l’occasion des 150 ans de la disparition de la femme de lettres. Très impliquée dans la réalisation de l’œuvre, l’artiste a suivi le travail de la cartonnière, celui de la coloriste et, maintenant, celui des lissières.

Propos recueillis par Gabrielle Julia

Comment a commencé pour vous l’aventure d’Hommage à George Sand ?

Il s’agissait d’une commande publique, publiée dans la presse. Je réponds rarement aux appels à projet mais celui-ci m’a été signalé par mon entourage parce qu’il pouvait particulièrement m’intéresser. J’avais réalisé auparavant un grand décor pour l’opéra L’Abrégé des Merveilles de Marco Polo, qui a été joué à Rouen en mai 2022. Cette peinture mesurait au total 37 mètres de long sur 9 mètres de haut. Je ne me sentais donc pas illégitime à postuler pour ce projet de tapisserie. J’étais très intéressée par le défi d’imaginer un ruban de 23 mètres et, pour ce qui est du sujet, je connaissais finalement assez peu George Sand mais j’ai été attirée par sa personnalité. J’ai rédigé mon projet, présentant mes intentions avec des croquis. Cinq artistes ont été retenus et je suis venue défendre ma maquette devant le jury. Je m’étais vraiment imprégnée de la personne qu’était George Sand, j’ai été très émue de visiter sa maison de Nohant, j’ai lu quelques romans et surtout son autobiographie, Histoire de ma vie, qui m’a touchée. C’est une femme multiple, complexe, pleine de contradictions, et cela fait sa richesse.

« J’ai envie que le visiteur se promène librement dans l’œuvre »

F. Pétrovitch

Quelles sont les orientations prises par votre travail pour cette tapisserie ?

Il s’agit d’un format panoramique où je voulais sublimer des moments de la vie de George Sand, montrer son influence et dire qu’elle est très contemporaine. Il n’était donc pas question de recontextualiser le personnage au XIXe siècle mais de la faire vivre aujourd’hui. Sand a beaucoup œuvré pour l’éducation des filles, elle a créé un journal dont elle a été rédactrice en chef, elle a beaucoup écrit. C’était quelqu’un de très prolifique et fédérateur. Elle a accueilli dans sa maison de Nohant presque toute la vie romantique artistique du XIXe siècle. C’est pourquoi, à la fin de la tapisserie, j’ai peint un petit théâtre semblable à celui qu’elle avait construit chez elle, où l’on voit Musset, Dumas, Liszt, Delacroix, Chopin, Pauline Viardot… un peu comme dans les caricatures du XIXe siècle. La nature aussi est un personnage important pour elle. D’une manière linéaire, la représentation de l’eau est très présente, thème qui traverse son œuvre avec la cascade, les ruisseaux et les mares, même les cheveux des femmes deviennent liquides. J’ai voulu une nature très présente où apparaissent des personnages romantiques et contemporains. Il y a des fragments, typiques de cette époque, comme la main moulée de Chopin. Je fais référence, à travers une mille-fleurs contemporaine, à la Dame à la licorne, car George Sand a permis à Prosper Mérimée de découvrir cette tenture. Elle a toujours aimé les oiseaux, les chiens – elle avait un lévrier. Je les ai peints. Je n’ai pas oublié son jardin, ni les dendrites, une technique d’empreinte qu’elle a inventée avec son fils Maurice et qu’ils utilisaient pour peindre des paysages oniriques. J’ai mis beaucoup de moi aussi dans ce projet : mes paysages d’îles, mes personnages allongés, mes fumeurs. J’avais envie que le spectateur se promène librement dans l’œuvre, qu’on puisse être attiré par des choses très précises et qu’après adviennent de larges plages colorées.

La lissière Agathe Juillet (sur la photo) travaille actuellement avec la lissière Sarah Chassain à la tapisserie Hommage à George Sand à la manufacture Four.

La lissière Agathe Juillet (sur la photo) travaille actuellement avec la lissière Sarah Chassain à la tapisserie Hommage à George Sand à la manufacture Four. Photo service de presse. © Cité internationale de la tapisserie, photo Zoé Forget

On retrouve totalement votre travail de peintre dans ce projet…

C’est effectivement ma vision. J’ai choisi une atmosphère aqueuse et j’ai travaillé au lavis d’encre qui est une technique très fluide où les choses apparaissent par capillarité. Il y a beaucoup de dégradés liquides, ce qui est presque antinomique avec la tapisserie. Souvent les cartons sont peints à la gouache avec la prédominance des contours, là on est presque à l’opposé. Cette diffusion de l’encre rend le travail de la tapisserie très compliqué, l’élément liquide est figé par la laine et par le point. Le très grand écart plastique est intéressant, c’est un enjeu ajouté à ce grand format et à cette figure historique. La cartonnière et les lissières ont complètement compris, intégré et restitué ce côté aqueux. Il y a aussi le nombre impressionnant de couleurs qui permettent de nous emmener dans un récit qui va se déployer sur 23 mètres. Il y a des moments de douceur où la couleur est absorbée, puis des choses beaucoup plus marquées, où le trait est très important. C’est une combinaison de peinture et de dessin et dans la vie de George Sand, d’une manière métaphorique, on trouve aussi cela. À certains moments, elle revient à Nohant, se replonge dans la nature, et à d’autres, elle va porter ses opinions, avoir des actions politiques. Je suis constamment entre ces deux eaux. Si je l’ai pressenti quand j’ai dessiné, je peux le formuler maintenant grâce au travail en équipe à la manufacture Four. Je vois cette tapisserie comme un peu différente des autres, je voulais faire confiance à la plasticité, à la couleur, au dessin.

« L’équipe qui réalise la tapisserie a dû montrer beaucoup d’intelligence de traduction, parce que tout est nouveau, la longueur inhabituelle de cette tapisserie comme l’utilisation des couleurs. »

Voyez-vous Hommage à George Sand comme un défi ­technique ?

J’avais déjà créé un carton de tapisserie pour la manufacture des Gobelins. C’est un portrait nommé Paul, une grande figure intime. J’avais peint le carton à la gouache, avec des rapports de couleurs tranchés. C’est donc très différent, mais j’ai acquis, en côtoyant les lissières, une expérience du tissage, j’ai pu assimiler le langage de la tapisserie. Aux Gobelins, mon carton était beaucoup plus codé et je m’étais amusée avec ces codes. J’avais un tout petit peu compris les impératifs techniques et j’ai utilisé cette connaissance pour Hommage à George Sand. Par exemple, le thème du « ruban d’eau » est une façon de reprendre la bordure classique de la tapisserie et j’avais envie, pour qu’il y ait des reflets, qu’on emploie des fils un peu différents. On a pu me proposer une solution technique qui allait dans ce sens. L’équipe qui réalise la tapisserie a dû montrer beaucoup d’intelligence de traduction, parce que tout est nouveau, la longueur inhabituelle de cette tapisserie comme l’utilisation des couleurs. D’habitude, on a affaire à un dessin qui se lit d’une façon globale et uniforme et pour lequel on a une méthode qu’on applique. Ici, il fallait inventer.

N’avez-vous pas dû, vous aussi, imaginer une solution ­technique en vue de l’exposition de la tapisserie ?

Pour une tapisserie de 23 mètres de long, il est difficile de trouver des murs appropriés. Donc, dès l’étape du concours, le principe était qu’elle soit autoportante. Nous avons imaginé une structure en métal qui permette de voir diverses parties de l’arrière, avec les fils et les nœuds. Dans certains musées, on a la chance parfois de pouvoir voir l’envers de quelques-unes d’entre elles, mais en général, ce n’est pas le cas. J’ai donc décidé qu’il y aurait cinq meurtrières au verso d’Hommage à George Sand. La tapisserie sera d’abord présentée dans l’extension en construction de la Cité, qui sera terminée à l’automne. Elle va aussi être exposée ensuite dans d’autres lieux. La structure pourra prendre trois formes : une ronde qui s’adaptera à des espaces plutôt carrés, une très longue pour le cas où on aurait la chance de la voir sous sa forme linéaire, tel un ruban, dans son intégralité, et une troisième, plus souple.

L’estampe George vient d’être dévoilée. S’agit-il d’une image extraite de la tapisserie ?

Il s’agit d’une commande de la Cité internationale de la tapisserie pour marquer le premier anniversaire du début du tissage et la perspective, dans un an, du dévoilement de l’œuvre. Je suis graveur de formation et nous sommes tombés d’accord sur une estampe, une sérigraphie. Il s’agit d’un art accessible, multiple, contrairement à la tapisserie qui est unique. J’ai voulu un portrait de George Sand assez direct, où la couleur, avec ses jeux de superposition, est essentielle. Il ne s’agissait pas de reproduire un détail de la tapisserie car, pour moi, l’estampe est un art de création et non de reproduction. Mais je tenais à restituer l’importance de la couleur qui va apparaître dans le travail de la laine et du tissage.

Estampe George, sérigraphie en cinq couleurs numérotée et signée, 65 x 50 cm. Prix : 380 €. En vente à la Cité internationale de la tapisserie. www.cite-tapisserie.fr