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Le nouveau musée Carnavalet

La cour des Drapiers.

La cour des Drapiers. Photo service de presse. © C. Weiner

Le musée de l’Histoire de la ville de Paris, l’un des plus chers au cœur des Parisiens, vient de rouvrir ses portes après quatre ans de travaux qui ont permis, non seulement d’assurer la protection d’un exceptionnel patrimoine architectural, mais surtout de repenser en profondeur l’ensemble du parcours muséographique en y accueillant pour la première fois la période allant de la Préhistoire au Moyen Âge ainsi que l’époque contemporaine. C’est désormais une histoire complète de Paris, plus ambitieuse et en prise avec notre temps, qui s’offre aux visiteurs. Entretien avec Valérie Guillaume, directrice du musée.

Propos recueillis par Armelle Fayol

Le musée Carnavalet, c’est d’abord un ensemble patrimonial architectural inestimable, que vous avez mis en valeur au fil de la visite. Comment ?

Nous avons la chance d’occuper un îlot du quartier sauvegardé du Marais, qui est un cadre exceptionnel. Par sa situation à l’intersection de plusieurs rues, les bâtiments du musée disposent de nombreuses ouvertures donnant à la fois sur ces rues et sur les cours et jardins intérieurs. La rénovation nous a permis de conforter cette relation avec l’extérieur en rouvrant notamment des fenêtres longtemps obstruées pour protéger les œuvres de la lumière. Les éclairages d’aujourd’hui, beaucoup plus adaptés, rendaient en effet cette précaution inutile. Le parcours de visite se trouve quant à lui ponctué de « focus architecturaux » qui expliquent aux visiteurs ce qu’ils voient depuis les fenêtres du musée. La restauration du patrimoine architectural permet de redécouvrir un grand ensemble de façades et de toitures restaurées. En ce qui concerne l’hôtel Carnavalet, l’architecte François Chatillon s’est concentré sur les parties du XVIe siècle au XIXe, là où le clos couvert était le plus dégradé. Rappelons que les façades sur la rue de Sévigné ou sur le jardin des Drapiers étaient sous filet depuis plus de dix ans pour des raisons de sécurité ; c’est donc pour le public une véritable redécouverte !

L’adoption d’une chronologie beaucoup plus ample, idée majeure du nouveau parcours, vous a-t-elle confrontés à des difficultés ?

L’amplitude chronologique désormais couverte, de la Préhistoire à nos jours, est en effet considérable. Pour la période qui s’étend de la Préhistoire au Moyen Âge, déployée dans des salles au sous-sol du musée spécialement aménagées, il faut souligner l’aide précieuse que nous a apportée le Département d’histoire de l’architecture et d’archéologie de la Ville de Paris (DHAAP). Afin de pouvoir présenter les objets par grands sites de fouilles du territoire parisien, il nous a accordé de très nombreux dépôts, tout comme l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), que je remercie également. Nous présentons ainsi les fouilles de la rue Henry-Farman, de Bercy ou encore celles de la rue de Lutèce. Dans les collections du musée, les XVIIe et XVIIIe siècles occupent une place privilégiée, en raison notamment des salles à décor historique. Certaines périodes sont donc plus développées que d’autres, avec l’objectif de relier les collections au cadre décoratif qui leur est contemporain.

Vue de l’une des salles de l’époque Renaissance au sous-sol du musée. 

Vue de l’une des salles de l’époque Renaissance au sous-sol du musée.  Photo service de presse. © P. Antoine

L’histoire de Paris qui est racontée au fil du parcours intègre-t-elle les évolutions récentes de la vision des historiens sur ce sujet ?

Le parcours dans les salles est enrichi d’une vaste offre éditoriale numérique, élaborée en effet avec la collaboration d’historiens, femmes et hommes, spécialistes. Deux exemples : nous avons ainsi bénéficié des recherches menées par l’historienne Héloïse Bocher sur l’entrepreneur Palloy, qui fut en charge de la démolition de la Bastille ; cela fait l’objet d’un entretien filmé. Sylvie Brodziak, professeure de littérature et spécialiste de l’œuvre de Georges Clemenceau, a apporté un éclairage sur la collection d’œuvres réunie par le père de Clemenceau, témoignant de son opposition à Napoléon III et de ses convictions républicaines. Je tiens enfin à souligner le concours précieux de Valentine Weiss, responsable du centre de topographie parisienne au sein des Archives nationales, qui nous a aidés à augmenter, à préciser, les cartes et plans reproduits.

L’hôtel Carnavalet

L’hôtel Carnavalet est un monument historique exceptionnel, classé depuis 1846. Il est considéré comme l’archétype même de l’hôtel classique parisien de la Renaissance.

À partir de 1545, Jacques des Ligneris, président du Parlement de Paris, acquiert cinq parcelles dans le quartier du Marais, et fait construire un hôtel particulier, dont les dispositions originelles restent lisibles dans la cour d’honneur. Le corps de logis est situé entre cour et jardin. Orné de quatre bas-reliefs des Saisons surmontés des signes du zodiaque, attribués au sculpteur Jean Goujon, il donne sur une cour presque carrée, bordée à l’origine à droite par une cour des écuries et, à gauche, par une galerie à arcades jusqu’au corps d’entrée. Celui-ci comprenait au XVIe siècle un passage cocher au centre et deux pavillons, une grande cuisine à gauche et une écurie à droite. Le portail est d’inspiration italienne. Son bossage rustique côté rue, sa décoration sculptée à la clef de l’arc (La Justice côté cour, L’Abondance côté rue) et ses deux lions en bas-relief sont remarquables. L’historien Henri Sauval l’attribua à l’architecte Pierre Lescot et au sculpteur Jean Goujon. Longtemps débattue, cette attribution pour l’ensemble de l’hôtel est désormais proposée1. Acheté par Claude Boylesve, intendant des Finances, en 1654, l’hôtel est confié à l’architecte François Mansart qui le densifie. Il surélève le portail d’entrée et la galerie à gauche, ferme la cour à droite sur le modèle de l’aile gauche et uniformise toutes les toitures par un comble brisé. Le nouveau décor sculpté est dû à Gérard van Opstal. L’ensemble est achevé en 1661. C’est dans cet hôtel transformé que s’installe Mme de Sévigné, locataire de 1677 à 1696.

L’hôtel au temps du musée

En 1866, le baron Haussmann acquiert l’hôtel pour y installer le musée municipal de l’histoire de Paris. La restauration de l’édifice revient à Victor Parmentier. Il s’appuie sur des gravures de Jean Marot, du milieu du XVIIe siècle, qui correspondent à un projet non réalisé2, et modifie sensiblement les toitures. La façade sur rue, rehaussée par Mansart, reste quant à elle inchangée. Le développement du musée nécessite rapidement de nouveaux bâtiments. L’hôtel est étendu autour de trois cours par les architectes Félix Roguet, Joseph Antoine Bouvard puis Roger Foucault, entre 1872 et 1921 : la cour des Drapiers à l’emplacement de son jardin, les cours Henri IV et de la Victoire sur des parcelles adjacentes. En 1921, le musée a ainsi quadruplé ses espaces. C.S.

La cour d’honneur.

La cour d’honneur. Photo service de presse © A. Mercusot

1 Jean-Marie Pérouse de Montclos, Pierre Lescot, Paris, Picard, 2018, pp. 42-60.

2 Jean-Pierre Babelon, « Du ”Grand Ferrare” à Carnavalet : naissance de l’hôtel classique », Revue de l’art, n° 40-41, 1978, pp. 83-108.

Avez-vous renouvelé la présentation des extraordinaires décors conservés par le musée ?

Anne Forray-Carlier avait mené un formidable travail, dans les années 1990, pour retrouver les couleurs de ces décors. Nous avons bien évidemment conservé ces apports, tout en rafraîchissant les peintures et en restaurant les tableaux en dessus-de-porte. L’un des grands changements a consisté à transférer, du rez-de-chaussée au 1er étage, le salon de compagnie de l’hôtel d’Uzès. Un comité scientifique, spécialement mis en place, a veillé à tout et notamment aux bonnes proportions de l’espace. Ce décor dispose enfin d’un niveau de plinthe, peinte en faux marbre, et aussi d’une hauteur de corniche suffisante. La lumière légèrement jaune du lustre permet quant à elle de faire ressortir les ors des boiseries.

Présentation de figurines de la Commedia dell’Arte.

Présentation de figurines de la Commedia dell’Arte. Photo service de presse. © P. Antoine

La variété des objets demeure l’un des grands atouts de ce musée. Est-elle mieux encore exploitée ?

Avec 184 vitrines, le nouveau parcours s’appuie plus encore sur la diversité des collections. Et le département « Objets d’histoire et de mémoire », incluant des céramiques, insignes, médaillons, tabatières, miniatures etc., a largement bénéficié de ce chantier de rénovation. Les peintures exposées sont nombreuses et le nouvel accrochage permet de faire une place aux dessins, aux estampes et à la photographie. La diversité des œuvres du parcours a été privilégiée.

Vous avez imaginé deux vastes espaces introductifs. Qu’abordez-vous ici et pourquoi ?

La visite commence par deux vastes salles exposant des enseignes ; nous avons souhaité nous inscrire dans la filiation de nos prédécesseurs, lesquels dès 1914 exposaient ces objets qui disparaissaient peu à peu des rues parisiennes. Deux autres espaces introductifs, inédits, posent ensuite des points de repère pour aborder l’histoire de Paris et celle du musée. Une salle d’actualité permet enfin d’exposer des œuvres nouvellement acquises ou restaurées, ou encore de marquer un hommage, un anniversaire. Cet espace propose un film tourné par des enfants, à hauteur de leur regard. Rappelons que 10 % des œuvres exposées se trouvent placées à hauteur d’enfant. Avec l’élaboration de dispositifs de médiation attractifs et ludiques favorisant la mixité des publics, nous avons ainsi développé une démarche d’accessibilité universelle.

La salle dédiée au Paris des Lumières.

La salle dédiée au Paris des Lumières. Photo service de presse. © P. Antoine

L’hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau

Michel Le Peletier de Souzy, intendant des Finances de Louis XIV, avait demandé à l’architecte Pierre Bullet un hôtel sans ostentation. Quelques années après le procès de Nicolas Fouquet, les intendants des Finances veillaient à ne pas trop montrer leur fortune. Achevé dans les années 1690, l’hôtel obéit au plan parisien classique, entre cour et jardin.

L’hôtel a conservé intacte son emprise dans le parcellaire : comme au XVIIe siècle, il s’ouvre sur la rue de Sévigné par un porche orné d’un fronton au chiffre de son propriétaire ; une cour suit, d’une grande austérité, que nul décor sculpté ne vient animer. À l’arrière, l’orangerie a été conservée, bordant un jardin devenu, dans ses limites originelles, le square Georges-Cain. C’est là que l’on trouve les seules sculptures, sur des frontons triangulaires : au centre et à l’arrière du logis central (Le Temps) et au centre de l’orangerie (La Vérité), attribuées à Laurent Magnier. Le révolutionnaire Louis-Michel Le Peletier de Saint-Fargeau hérita de l’hôtel. Député de la noblesse aux états généraux de 1789, il fut président de l’Assemblée nationale constituante en 1790. Favorable à l’abolition de la peine capitale, il vota néanmoins la mort du roi, ce qui lui valut d’être poignardé par un royaliste la veille de l’exécution de Louis XVI, le 20 janvier 1793. Acquis par la Ville de Paris en 1895, l’hôtel fut affecté au musée Carnavalet en 1990. Les façades d’origine ont été conservées ; seul le bâtiment sur rue a été modifié, rehaussé d’un étage au XIXe siècle. Les façades du corps de logis, au fond de la cour, et des deux ailes en retour sont identiques, rythmées par le seul jeu des baies : arcades au rez-de-chaussée, fenêtres rectangulaires ou cintrées aux étages. L’aile nord, à droite, était occupée par les écuries et les remises. Dans l’aile sud, l’escalier d’honneur, qui donnait accès aux appartements, présente un garde-corps en fonte de fer qui est l’un des plus anciens témoignages de cette technique à Paris. L’autre unique vestige de l’aménagement d’origine est un petit cabinet doté de boiseries blanc et or (le « cabinet doré »). J.L.L.

La façade sur jardin, l’orangerie à gauche.

La façade sur jardin, l’orangerie à gauche. Photo service de presse. © A. Mercusot