Les thermes de la Cour d’Or à Metz : du nouveau sur un monument majeur

Proposition de restitution des thermes de la Cour d’Or par Jean-Claude Golvin. Réalisée en 2010, elle correspond à un état antérieur de la recherche. © Jean-Claude Golvin
Les thermes de la Cour d’Or à Metz, l’antique Divodurum Mediomatricorum, demeurent un exceptionnel témoignage de l’architecture thermale antique du Nord de la Gaule. Situés sous l’actuel musée de la Cour d’Or, ainsi que dans les sous-sols du bâtiment des Trinitaires voisin, ils ont longtemps été ignorés des grandes études sur les bains romains. À l’occasion de la parution d’une vaste monographie inédite sur le sujet, nous vous proposons de les redécouvrir et de leur offrir la visibilité qu’ils méritent.
Conservés de façon remarquable, les vestiges des thermes peuvent être comparés à ceux célèbres de Cluny à Paris et de Trèves en Allemagne. Ici aussi, le bâtiment antique n’a jamais disparu du paysage urbain, comme le prouvent ses élévations encore très importantes, jusqu’à 13 m de haut.
Un bâtiment connu anciennement
Les premières études remontent aux années 1930, lorsque le directeur du musée, Roger Clément, met en évidence des vestiges lors de l’extension du site muséal. Ces travaux, réalisés entre 1932 et 1935, conduisent rapidement à l’identification d’un ensemble thermal de grande envergure. Plusieurs fouilles, notamment dans les années 1950 et 1960 et sous l’impulsion de Jean-Jacques Hatt, en dévoilent certains aspects architecturaux. On doit la seule synthèse sur le sujet à René Jolin, parue en 1983 dans un court article des Cahiers lorrains. Elle prend alors en compte les découvertes précédentes et propose, pour la première fois, un plan global de l’édifice. Depuis lors, les thermes de la Cour d’Or se morfondaient telle une belle endormie. Depuis 2014, sous l’impulsion de l’équipe actuelle du musée, une étude inédite et globale est lancée en incluant l’histoire de la parcelle des origines jusqu’à nos jours. En s’appuyant sur les techniques les plus récentes (photogrammétrie, prospections géophysiques, etc.), ce réexamen de toutes les architectures visibles, mais aussi des mobiliers archéologiques conservés au fil du temps dans les collections, offre une vision grandement renouvelée des lieux.
Vue de la partie occidentale de la pièce III. © Alain Bouet
Un rare exemple de thermes symétriques
Les thermes de la Cour d’Or appartiennent à la catégorie des thermes dit symétriques. Ce type d’édifice apparaît à Rome à l’époque de Néron, dans ceux que l’empereur fait construire sur le Champ de Mars. Il est ensuite reproduit dans toutes les provinces de l’Empire : en Gaule, on les retrouve en Aquitaine, en Germanie Supérieure ou encore dans l’Est de la Gaule Belgique, région à laquelle appartient Metz (elles demeurent plus rares en Narbonnaise). Les thermes symétriques se divisent en deux catégories en fonction de l’itinéraire du baigneur : ceux à itinéraire unique rétrograde (où le baigneur traverse les mêmes salles à l’aller et au retour) et ceux à deux itinéraires, rétrogrades ou circulaires. Les thermes de la Cour d’Or appartiennent à la seconde catégorie selon une organisation inspirée du modèle impérial, bien qu’ils ne fassent pas partie des thermes impériaux proprement dits. En effet, ces derniers possèdent généralement une succession axiale spécifique (caldarium, tepidarium de sortie et frigidarium), créée dans les bains de la capitale de l’Empire.
« Les thermes de la Cour d’Or appartiennent à la catégorie des thermes dit symétriques. Ce type d’édifice apparaît à Rome à l’époque de Néron, dans ceux que l’empereur fait construire sur le Champ de Mars. »
Dans les pas des baigneurs
En plus d’être double, le bâtiment messin présentait deux circuits, l’un pour les baigneurs, l’autre pour le personnel de service. Les premiers empruntaient un parcours bien défini, conforme aux traditions romaines. Le plan de l’édifice leur offrait deux circuits parallèles l’un à l’ouest et l’autre à l’est. Seuls quelques espaces étaient communs dont l’accès principal, qui se faisait par la façade sud-est et un vaste espace monumental de près de 1 825 m2 (espace I), dont la fonction de gymnase avec vestiaires (apodyteria) est possible. Après s’être déshabillés, les usagers entraient d’abord dans les salles tièdes (tepidaria III et VII), pour s’échauffer passivement. Ils accédaient ensuite aux destrictaria (espaces IV et VI), salles plus chaudes, où ils se débarrassaient des impuretés de la peau, en se raclant avec un strigile après s’être enduits d’huile. Le parcours se poursuivait dans les laconia (espaces XI et XIV), des étuves très chaudes dont l’existence a été restituée à Metz à partir d’indices archéologiques ténus, mais qui rendent cohérent le circuit.

Plan général des thermes de la Cour d’Or avec restitution du cheminement des baigneurs et de celui du personnel de service au niveau inférieur. © Alain Bouet
Bain chaud, bain froid
Ces salles ouvraient sur le caldarium (espace XII), salle du bain chaud commune aux deux circuits, où l’on pouvait profiter des bassins (solia). Cette pièce, située à l’heure actuelle sous la cour du Tailleur de pierre, n’a pas encore livré son plan. Après cette étape, les baigneurs passaient dans le tepidarium de sortie (espace XVIII) avant d’atteindre une possible grande salle XXIII dotée d’un bassin chauffé (piscina calida), dont l’aménagement exact reste hypothétique. Le parcours se scindait ensuite en deux nouvelles branches, menant vers des sas thermiques, équivalents à des tepidaria de sortie (espaces XVI et XX). Enfin, il se terminait dans les frigidaria (espaces IX et XV), salles de bain froid équipées chacune de quatre baignoires rectangulaires (piscinae) – certaines remarquablement conservées – et deux vasques sur pied (labra). Le retour vers le gymnase couvert et les vestiaires se faisait par des couloirs chauffés (espaces II et VIII). En l’état actuel de la recherche, les thermes ne comptent pas de palestre, ce qui demeure étonnant pour un édifice de cette ampleur. Enfin, des latrines (espaces XXIX et XXXII), dotées chacune d’un égout périphérique, étaient présentes et accessibles depuis l’extérieur de l’édifice. Les pièces chaudes comprenaient le traditionnel système de chauffage par le sol (hypocauste) alimenté depuis des foyers (praefurnia) par le personnel de service.

Vue de l’abside quadrangulaire et de son bassin dans le mur nord-ouest du frigidarium IX. © Alain Bouet
Le circuit de service
Le circuit destiné au personnel révèle une organisation complexe et rationnelle, pensée pour assurer le bon fonctionnement de l’édifice tout en restant discrète aux yeux des baigneurs. Il s’articule autour de deux niveaux. Situé sous les pièces thermales, le long des façades ouest et est, le premier comprend deux galeries souterraines (XXII-XXIV) qui débouchaient sur des cours de service (X et XIII) où se trouvaient les foyers. Une autre galerie, totalement inconnue, mais indispensable à la circulation, devait permettre de rejoindre la chambre de chauffe (XXX), enclavée au milieu des pièces du bain. Le second niveau, établi plus en hauteur, au niveau des fenêtres des pièces chaudes, aboutissait à des escaliers en colimaçon (XXI et XXV) donnant sur la couverture du bâtiment ou sur des pièces de vie (?) des parties supérieures aujourd’hui disparues. Enfin, il est vraisemblable qu’une porte aménagée dans la paroi occidentale des frigidaria (IX et XV) permettait au personnel d’accéder rapidement aux pièces du bain depuis la cour de service qui entourait l’édifice.

Vue de l’extrémité occidentale de l’espace XXIV avec sa conduite. © Alain Bouet
Une décoration ostentatoire
Le bâtiment était richement décoré. Les plus abondants témoignages, étudiés par L. Barataud, concernent les décors en marbre, qu’ils soient blancs ou colorés. Plus de 3,5 tonnes de débris, correspondant à environ 9 500 fragments, ont été retrouvés, même si leur emplacement d’origine est difficile à établir en raison de l’ancienneté des découvertes. Ces marbres proviennent de diverses régions : si une partie est d’origine locale (notamment des diabases extraites dans la vallée de la Ruwer, près de Trèves), la majorité reste d’origine méditerranéenne, avec une nette prédominance des roches grecques (plus de 78 % des placages) issues, par exemple, de Karistos, de Skyros ou du Pentélique. D’autres, comme le greco scritto, sont extraits en Asie Mineure. Bien que marginale, la présence de marbre griotte indique aussi des circuits d’approvisionnement venant des Pyrénées. L’utilisation de tels matériaux souligne l’importance de cet établissement et reflète une volonté d’ornementation luxueuse comparable aux grands complexes thermaux de l’Empire. Il fait également écho à l’opulence des évergètes, membres de l’élite locale ou autorités impériales, qui ont financé l’édifice.

Fragment de plaque décorée de peltes affrontées. © L. Kieffer
« L’utilisation du marbre souligne l’importance de cet établissement, comparable aux grands complexes thermaux de l’Empire. »
De quand date l’édifice ?
La datation du monument ne repose malheureusement sur aucune étude stratigraphique fine. Les indices sont issus de l’analyse architecturale ou de l’étude des mobiliers conservés dans les collections anciennes. R. Jolin, se basant sur la présence des parois d’opus vittatum mixtum (alternant assises de moellons et de briques), la place au début du IIe siècle, estimation reprise par la suite. L’apparition des plans symétriques remonte à Rome à l’époque néronienne, ce qui fournit un terminus post quem pour l’édifice de Metz. Les pièces thermales comprenant une alternance d’absides quadrangulaires et semi-circulaires se développent à partir du milieu du Ier siècle de notre ère puis deviennent plus fréquentes à l’époque flavienne et au IIe siècle. Les céramiques mises au jour lors de fouilles anciennes et pour la plupart hors stratigraphie forment des lots allant de la fin de la Protohistoire au Ier siècle de notre ère, puis des IVe et Ve siècles. Beaucoup plus rares, voire quasiment inexistantes, sont celles des IIe et IIIe siècles, période correspondant sans doute à la construction et la fréquentation de l’édifice. Un dernier élément, extérieur au monument, doit enfin être pris en compte. Un édifice balnéaire d’une telle ampleur ne peut se concevoir que s’il est alimenté par un aqueduc. La construction de celui de Metz est traditionnellement placée au début du IIe siècle ou peut-être à la fin du Ier siècle. Tout converge donc pour situer la période d’utilisation des thermes aux IIe et IIIe siècles. Sa construction intervient dans le IIe siècle, peut-être au début ou dans la première moitié du siècle, à moins que certains traits architecturaux (escaliers en colimaçon) ne permettent de la placer postérieurement (milieu ? seconde moitié du siècle ?). Quoi qu’il en soit, ces grands programmes monumentaux s’échelonnaient sur le temps long. Entre le début, l’inauguration et l’entrée en service, et la fin des travaux, il pouvait s’écouler des dizaines d’années.
Un exemple parmi d’autres
Il existe pour le Haut-Empire au moins un autre grand édifice thermal à Metz, les thermes Saint-Jacques, situés au sud-est du forum. Ils comptent deux phases de construction. Les deux pièces conservées de la première appartiennent assurément à des thermes hygiéniques. Détruit au IIe siècle, l’édifice est reconstruit suivant un plan symétrique très original. Certaines caractéristiques, notamment une vaste piscine couverte circulaire de presque 250 m2, laissent penser à des bains à vocation thérapeutique. L’Antiquité tardive n’est pas en reste avec des thermes partiellement restituables et de taille non négligeable pour le IVe siècle. Ils ont été édifiés à proximité immédiate des vestiges remarquablement conservés de Saint-Pierre-aux-Nonnains, qui pourraient être à l’origine une basilique civile, à moins qu’il ne s’agisse déjà une basilique paléochrétienne.
Les thermes de la Cour d’Or font partie des grands complexes thermaux de Gaule et de l’Empire. Ils ne sont que le témoignage le plus éloquent de l’opulence de Metz et de ses élites à l’apogée de la domination de Rome.
Lexique
Les thermes hygiéniques sont ceux dans lesquels on vient se laver. Les thermes thérapeutiques sont ceux où l’on vient pour se soigner.
Pour aller plus loin
BRUNELLA P., TRAPP J. et BOUET A., dir., 2025, Les thermes antiques de Metz. Évolution d’un îlot urbain de la protohistoire à l’époque contemporaine, Metz, Musée de la Cour d’Or – Eurométropole de Metz.





