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La nouvelle vie du mausolée d’Auguste

Bartolomeo Pinelli, Manège de taureaux dans le mausolée d’Auguste en 1810.

Bartolomeo Pinelli, Manège de taureaux dans le mausolée d’Auguste en 1810. © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

Fermé au public depuis 2007, le mausolée d’Auguste, plus grand tombeau circulaire du monde antique, rouvre enfin ses portes. Construit en 28 avant notre ère, trois ans après la victoire d’Auguste sur Antoine et Cléopâtre à Actium, le mausolée a connu au fil des siècles une histoire tourmentée que les récents travaux de restauration, dirigés par la Sovrintendenza Capitolina ai Beni Culturali, ont permis de mieux connaître. Le chantier est toujours en cours, mais le public peut désormais visiter en toute sécurité une grande partie du site et suivre un itinéraire qui illustre les états historiques successifs du monument.

Traduction par Carole Cavallera

Le 19 août 14, l’empereur César Octave Auguste mourait, à l’âge de 76 ans, dans sa villa familiale de Nola, près de Naples, frappé par de fortes douleurs intestinales. Selon l’historien Dion Cassius, sa femme Livie fut soupçonnée de l’avoir empoisonné avec des figues, craignant que son fils Tibère ne soit écarté de la succession de l’Empire. Dès son édification, sa tombe majestueuse suscitait l’admiration des contemporains. « On l’appelle, écrit Strabon, mausolée. Il s’agit d’un énorme tumulus, qui s’élève à peu de distance du fleuve, au-dessus d’un soubassement en pierre blanche, ombragé d’arbres verts jusqu’à son sommet. Il est surmonté d’une statue en bronze d’Auguste et recouvre, avec les restes de ce prince, les cendres de ses familiers et de ses amis les plus intimes. Derrière, se trouve un merveilleux bois sacré ouvert au peuple, dont les allées offrent de magnifiques promenades. »

« Les dernières fouilles ont révélé en effet une structure beaucoup plus élaborée qu’on ne le pensait. »

Un immense mausolée familial

Pendant plus d’un siècle, le mausolée a servi de sépulcre monumental à la famille impériale, comme en témoignent les sources littéraires et surtout les remarquables documents épigraphiques découverts à différentes époques à l’intérieur du monument ou dans ses environs immédiats. Auguste avait choisi d’élever son tombeau colossal – 45 m de hauteur et près de 90 m de diamètre – dans la zone nord du Champ de Mars, un vaste espace non encore urbanisé entre le Tibre et la via Flaminia (l’actuelle via del Corso) dans lequel il voulait inscrire les symboles de son pouvoir : après le mausolée construit sur le modèle hellénistique, il ordonna la réalisation du Panthéon en 27/25 avant notre ère, de l’Ara Pacis en 13 avant notre ère et enfin de l’horloge solaire en 10 avant notre ère – plus grand cadran solaire du monde antique, qui marquait le temps d’Auguste, entre mythe et réalité. Si le mausolée était déjà en ruine dans l’Antiquité tardive, nous savons par Dion Cassius que, sous le règne d’Hadrien (117-138), il était encore intact ; il n’y avait cependant plus de place pour de nouvelles dépouilles. À l’entrée étaient placées les tablettes de bronze du testament d’Auguste, sa Res Gestae, dont l’original a disparu au cours des siècles de pillages (la version qui nous est parvenue est la copie gravée sur les murs en marbre du temple d’Auguste et de Rome à Ancyra, l’actuelle Ankara). De part et d’autre se dressaient deux obélisques en granit rose, découverts au milieu du XVIe siècle près de l’église de San Rocco (l’un est aujourd’hui installé sur la piazza dell’Esquilino, l’autre sur la piazza del Quirinale). « Nous pensons, note Elisabetta Carnabuci, directrice des fouilles, qu’aux Ve et VIe siècles, le tumulus était encore debout bien qu’abandonné. En 410, les Goths ont commis le premier pillage des urnes impériales. Depuis, le mausolée a connu toutes sortes de vicissitudes. Une chapelle dédiée à Sant Angelo de Agosto y fut construite in cacumine (au-dessus du monument) au Xe siècle et le tombeau princier, recouvert de terre, ressemblait à une colline. »

Jardin Soderini et le mausolée d’Auguste à Rome. Gravure sur cuivre de Marcus Sadeler, d’après un dessin d’Étienne Dupérac (1575).

Jardin Soderini et le mausolée d’Auguste à Rome. Gravure sur cuivre de Marcus Sadeler, d’après un dessin d’Étienne Dupérac (1575). © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

Destructions et aménagements

Au début du IIe millénaire, il a été transformé en forteresse par la famille Colonna et, au cours des siècles suivants, les parements de marbre furent réemployés en chaux de construction. Lorsque l’on retira les gros blocs de pierre qui soutenaient le monument, notamment ceux du pilier central, les voûtes s’effondrèrent et obstruèrent l’espace vide du cylindre central. On peut encore voir les traces des coups de masse médiévaux : une plaque en marbre, portant l’inscription funéraire de Marcellus – le premier à avoir été enterré dans le tumulus avec sa mère Octavie (la sœur d’Auguste) –, est grignotée par les dents d’une scie qui devait le réduire en poussière. On a également trouvé un grand fragment du cippe qui contenait l’urne cinéraire d’Octavie. Celle d’Agrippine l’Aînée, enlevée dès les premières dévastations, a même été réutilisée comme unité de mesure du grain au marché du Capitole, où elle est restée pendant des siècles avant de trouver place dans le lapidaire des musées du Capitole. Aucune trace, en revanche, de l’urne d’Auguste. À l’aube du XVe siècle, l’humaniste Poggio Bracciolini décrivit le monument entouré de petites maisons et devenu pâturage pour le bétail qui grimpait sur les murs en ruine.

Inscription funéraire de Marcellus et d’Octavie. On remarque la trace des dents d’une scie qui devait la réduire en poussière.

Inscription funéraire de Marcellus et d’Octavie. On remarque la trace des dents d’une scie qui devait la réduire en poussière. © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

Des jardins suspendus aux spectacles de manège

En 1519, l’architecte et peintre des vestiges romains antiques, Baldassarre Peruzzi, parvint à pénétrer dans la chambre funéraire centrale et découvrit quelques-unes des anciennes urnes impériales encore in situ, aujourd’hui dans les musées du Capitole et du Vatican. C’est aussi à Peruzzi et à ses croquis, conservés au musée des Offices à Florence, que nous devons le témoignage le plus fiable et le plus précieux sur l’architecture première du tombeau. Au XVIe siècle, la famille florentine Soderini acheta le Monte Augusto et aménagea un jardin suspendu à l’italienne à la place de l’ancien sépulcre. Les structures internes s’étant effondrées et étant donc enterrées depuis les déprédations massives du Moyen Âge, le jardin a été créé au niveau du deuxième étage du mausolée, entouré par un haut mur réticulé, sur le modèle de l’hortus conclusus, le jardin clos du Cantique des Cantiques. Au fil des années, le jardin fut abandonné jusqu’à l’arrivée des nouveaux propriétaires, les marquis Correa, au début du XVIIIe siècle, qui aménagèrent un amphithéâtre à l’intérieur du complexe. Puis le marquis Vivaldi-Armentieri l’acheta et le transforma en cirque, construisant des gradins tout autour et organisant des spectacles de manèges, des courses de chevaux et surtout des joutes de taureaux et de buffles – réinterprétation romaine de la corrida espagnole. Aujourd’hui encore, il reste des traces des attaccaglie, ces anneaux où étaient attachés les animaux avant d’entrer dans l’arène.

Le mausolée d’Auguste au cœur du centre historique de Rome.

Le mausolée d’Auguste au cœur du centre historique de Rome. © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

Démantèlement

Connu désormais sous le nom d’amphithéâtre de Correa, le mausolée passa en 1907 à la municipalité de Rome et fut transformé en salle de concert, le célèbre Auditorium Augusteo. Doté d’une acoustique parfaite, couvert d’un magnifique dôme de verre et de fer, sa capacité d’accueil de 3 500 spectateurs en faisait le plus grand d’Europe. En 1936, il fut démantelé par Mussolini. « Ces interventions successives ont causé des dommages incalculables, déplore l’archéologue Elisabetta Carnabuci, presque tout le matériel résultant de l’effondrement de la tombe impériale (à l’exception d’une petite partie miraculeusement conservée dans le déambulatoire central) a été perdu à jamais, et avec lui la possibilité de son interprétation. Or, ce monument est un des plus complexes de Rome. Son plan est organisé selon une structure centrale cylindrique, entourée d’enceintes annulaires concentriques. Au centre, un élément quadrangulaire, peut-être la chambre sépulcrale du princeps, était probablement le support de la sculpture en bronze d’Auguste mentionnée par Stabon, dont la célèbre statue trouvée dans la villa de Livie à Primaporta serait une copie en marbre. »

Le mausolée aménagé en salle de concert en 1907 (auditorium Augusteo).

Le mausolée aménagé en salle de concert en 1907 (auditorium Augusteo). © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

Une structure complexe

L’architecture du monument est organisée selon une planimétrie complexe ; un long dromos ouvert au sud mène à la chambre funéraire centrale, complètement bouleversée, mais dont on peut encore repérer le plan circulaire et les trois niches rectangulaires où étaient placées les urnes. Ce cylindre central était entouré de couloirs circulaires concentriques auxquels seul le dromos donnait accès. Les trois murs circulaires les plus extérieurs, construits en opus reticulatum, étaient reliés entre eux par des cloisons radiales régulièrement espacées et construites selon la même technique. Elles délimitaient, dans chaque couloir, une succession de 12 pièces, jadis attenantes, aux plans différents : vers l’extérieur, des pièces rondes séparées en deux par des cloisons, tandis que les 12 pièces qui se trouvent vers le centre sont de forme trapézoïdale. Le tambour extérieur conserve une partie du revêtement de travertin.

Cylindre central à l’intérieur duquel se trouvent les trois niches où étaient placées les urnes funéraires.

Cylindre central à l’intérieur duquel se trouvent les trois niches où étaient placées les urnes funéraires. © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

L’apport des fouilles

Les dernières fouilles ont révélé en effet une structure beaucoup plus élaborée qu’on ne le pensait. Un couloir circulaire étroit a notamment été mis au jour dans un espace où l’on avait seulement identifié un mur de plus de 5 m d’épaisseur, entre les deux couloirs connus. « Nous avons constaté que l’organisation interne du monument est beaucoup plus sophistiquée que celle qui avait été reconstituée jusqu’à présent, explique la directrice des fouilles. Le labyrinthe créé par les trois couloirs annulaires mitoyens mène au chemin des cortèges funéraires. Il a également été établi que les deux murs extérieurs du mausolée, très hauts et réticulés, étaient complètement enterrés dans l’Antiquité. Le mur d’enceinte du tombeau devait donc être beaucoup plus élevé que ce qu’il en reste. Cette donnée est très importante pour la reconstitution de l’extérieur du mausolée que les spécialistes se représentaient comme une superposition de volumes annulaires concentriques et décroissants ; les preuves archéologiques suggèrent plutôt que sa forme était celle d’un tumulus ceint d’un haut cylindre puissant. » Les fouilles ont aussi révélé une vaste surface pavée qui s’étendait exclusivement sur le devant du mausolée, datable cependant d’une époque plus tardive, entre la dynastie des Flaviens et le règne d’Hadrien. La deuxième phase de restauration prévoit, outre la réalisation d’espaces verts, l’investigation archéologique de la zone extérieure qui, à la grande satisfaction d’Elisabetta Carnabuci, permettra d’étudier une séquence stratigraphique intacte puisque Mussolini n’avait fait démolir les bâtiments alentour que jusqu’au niveau des caves de la Renaissance. La première partie des travaux, financée à hauteur d’environ 4 millions d’euros par l’État et de 2 millions par la municipalité de Rome, a concerné la consolidation du monument, en particulier celle des voûtes et de certaines salles, à l’aide de poutres en fer et de tirants en acier. Le financement de la Telecom Italia Mobile (TIM) permettra l’aménagement paysager et l’achèvement de l’itinéraire muséal.

Esculape. Statue colossale en marbre blanc. Iᵉʳ siècle de notre ère. Elle était placée dans une niche du monument à l’époque où les Soderini avaient transformé le mausolée en jardin suspendu au XVIᵉ siècle. Elle se trouve actuellement à la villa Borghèse.

Esculape. Statue colossale en marbre blanc. Iᵉʳ siècle de notre ère. Elle était placée dans une niche du monument à l’époque où les Soderini avaient transformé le mausolée en jardin suspendu au XVIᵉ siècle. Elle se trouve actuellement à la villa Borghèse. © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

Quinze sépultures de renom

23 avant notre ère : Marcellus, fils d’Octavie, et premier mari de Julia (fille unique d’Auguste)
12 avant notre ère : Marcus Vipsianus Agrippa, ami d’Auguste, deuxième mari de Julia
11 avant notre ère : Octavie, sœur d’Auguste
9 avant notre ère : Drusus, fils de Livie (épouse d’Auguste)
2 : Lucius
4 : Caius, fils de Marcus Vipsianus Agrippa et de Julia
14 : Auguste, premier empereur romain
19 : Germanicus, fils de Drusus
29 : Livie, épouse d’Auguste
37 : Agrippine, épouse de Germanicus et mère de Caligula
37 : Tibère, deuxième empereur romain, fils de Livie
41 : Caligula, troisième empereur romain, fils de Germanicus
54 : Claude, quatrième empereur romain, fils de Drusus
79 : Vespasien, neuvième empereur romain, enterré ici temporairement
98 : Nerva, douzième empereur romain
217 : Julia Domna, épouse de Septime Sévère, vingt-et-unième empereur romain, enterrée ici temporairement. Condamnée pour adultère et trahison, Julia n’a pas été enterrée dans ce mausolée. Néron, dont la damnatio memoriae avait été prononcée par le Sénat, n’y a pas trouvé non plus le repos éternel. 

La piazza Augusto Imperatore dans les années 1960.

La piazza Augusto Imperatore dans les années 1960. © Archivio fotografico Sovrintendenza Capitolina

Réservation en ligne : www.mausoleodiaugusto.it