Le roman des momies (4/4). Passé retrouvé, mystères dévoilés : les momies égyptiennes de Montréal

Vases canopes de Djedbastetiuefankh. XXXᵉ dynastie, vers 380-343 avant notre ère, EA 22374, 22375, 22376 et 22377. © The Trustees of the British Museum
Les plus vielles datent de 7 000 ans, bien avant l’âge d’or de la civilisation égyptienne à laquelle on les associe habituellement. Leur étude a fait des progrès considérables ces dernières années, grâce aux avancées de la médecine, notamment celles de l’imagerie 3D ainsi que des analyses biomoléculaires. Selon le vieux précepte de l’anatomie clinique Mortui vivos docent, « les morts enseignent aux vivants », et par le biais de la bio-archéologie, elles sont venues enrichir les connaissances médicales dans leur profondeur historique. Mais qui sont ces momies, fascinantes et envoûtantes, devenues pour certaines des stars ? Réponse, dans ce dossier, au fil d’exemples saisissants.

Modèle de barque funéraire. XIIᵉ dynastie, vers 1985-1795 avant notre ère, provenance inconnue, bois de figuier sycamore, EA 9525. © The Trustees of the British Museum
Les momies égyptiennes fascinent. Leur présentation dans des expositions sont toujours l’occasion pour les visiteurs d’en apprendre davantage sur les gestes funéraires antiques. Après avoir fait halte à Sydney, Hong Kong et Taïwan, l’exposition du British Museum Momies égyptiennes : passé retrouvé, mystères dévoilés s’installe au musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM) où elle révèle la vie de six personnes ayant vécu le long du Nil il y a 3 000 ans. Laura Vigo, conservatrice au MBAM, en dévoile les secrets de fabrication.
Propos recueillis par Éléonore Fournié
Comment est né ce projet d’exposition ?
Créée par le British Museum de Londres, cette exposition permet de découvrir les momies égyptiennes d’une manière tout à fait inédite. À la croisée des sciences et des arts, elle montre comment les nouvelles technologies (notamment non invasives) peuvent renouveler en profondeur notre regard sur ces défunts. Avec le plus grand respect possible, nous tentons de dresser leur « portrait ». Âge, croyance, profession, maladie, chaque momie a une histoire à raconter !
L’exposition présente six personnes momifiées entre 900 avant notre ère et 180 de notre ère. Pourquoi avoir choisi des momies d’une époque plutôt récente ?
Les vestiges du Ier millénaire avant notre ère et l’Égypte romaine sont particulièrement bien conservés. La tradition de la momification est alors bien ancrée dans les gestes funéraires égyptiens. C’est cette pratique que nous avons souhaité mettre en lumière : les ingrédients utilisés, la connaissance des agents chimiques et les ressources disponibles font que la momification se perfectionne à des niveaux jamais atteints auparavant et les procédés développés depuis le IVe millénaire sont alors à leur apogée. Ces siècles sont parfois nostalgiques des époques passées ; les Égyptiens de la IIIe époque intermédiaire et de la Basse Époque sont obsédés par leur glorieux passé et veulent faire aussi bien, voire mieux, qu’auparavant.
Une galerie de portraits
L’exposition permet de découvrir six « personnalités » égyptiennes. Qui est la première d’entre elles ?
Chaque salle du parcours est en effet dédiée à une personne et la première d’entre elles est Nestaoudjat, dite « La femme au foyer », décédée entre 35 et 49 ans. Grâce aux objets issus des collections du British Museum, l’histoire individuelle de cette femme nous est contée. Mais les deux cent quarante œuvres présentées servent aussi de prétexte pour aborder une thématique plus large. Aussi cette première salle s’intéresse au processus de momification ainsi qu’à la décoration et à la datation des cercueils égyptiens. D’après le style et la qualité de ses trois cercueils, Nestaoudjat était originaire de Thèbes (l’actuelle Louxor), un centre religieux très important dans l’Égypte ancienne. Elle appartenait à une famille riche, comme le confirme sa dépouille soigneusement momifiée. Son corps a été préservé grâce à des techniques d’embaumement sophistiquées : séché dans le natron, il a été oint, selon les rites, d’huiles parfumées, puis rembourré. Enfin, il a été orné d’amulettes et enveloppé de lin. Si tous les objets exposés n’ont pas forcément appartenu aux défunts, ils sont représentatifs de leur histoire ou de l’époque et de la thématique choisies.

Cercueil intérieur de Nestaoudjat. XXVᵉ dynastie, vers 700-680 avant notre ère, EA 22812a. © The Trustees of the British Museum
La deuxième salle est également dédiée à une femme. Qui était-elle ?
Il s’agit de Tamut, une chanteuse prêtresse d’Amon, le roi des dieux. Décédée entre 35 et 49 ans, elle a vécu vers 900 avant notre ère. Fille de Khonsoumose, prêtre d’Amon, elle participait aux rituels du temple de Karnak, le plus important complexe religieux de Thèbes. Sa momie illustre les préoccupations du début du Ier millénaire avant notre ère pour l’au-delà. Les scans numériques en 3D ont révélé de nombreux objets rituels magiques – notamment des amulettes – placés sur son corps, sous les bandelettes, la protégeant et l’aidant à accéder à l’immortalité. Parmi eux, était posé sur sa poitrine un « scarabée de cœur », amulette gravée d’un sortilège empêchant les dieux de voir les méfaits cachés dans le cœur du mort lors du jugement de l’âme.

Momie de Tamut et visualisation de son corps. Troisième Période intermédiaire, début de la XXIᵉ dynastie, vers 900 avant notre ère, EA 22939. © The Trustees of the British Museum
Pathologies en série
Qu’apportent les nouvelles technologies à notre connaissance de ces momies ?
Elles nous permettent d’avoir une meilleure idée de la personne et de mieux cerner sa santé. Ainsi notre troisième « invité » s’appelait Irthorrou ; il était prêtre dans la ville d’Akhmim (à 200 km au nord de Thèbes). Si la salle offre l’occasion de s’intéresser à la prêtrise et la médecine (des papyrus nous éclairent sur les remèdes pharmaceutiques utilisés, notamment le nénuphar, employé pour soigner la douleur, le miel, pour ses vertus antiseptiques, et même l’opium), on y apprend également que cet homme, qui menait probablement une vie sédentaire et aisée, était atteint de lésions dentaires, peut-être d’un abcès dentaire, d’athérosclérose et qu’il souffrait du cœur. À notre grande surprise, la plupart des visualisations de momies ont révélé quantités d’abcès dentaires, avec des pertes de dents et d’os ! Négligées, ces pathologies pouvaient engendrer infection majeure du sang et sérieux problèmes cardiaques. Minutieusement momifié, Irthorrou a été doté d’un masque doré, élément inhabituel pour l’époque, qui lui confère un visage idéalisé pour l’éternité. D’ordinaire ce type de masque recouvrait toute la tête, mais la tomodensitométrie a prouvé que celui d’Irthorrou couvrait seulement son visage, un linceul de lin dissimulant habilement le reste.
Certaines techniques permettent de « déshabiller » virtuellement les momies. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est tout à fait exact ! La tomodensitométrie, dont nous venons de parler, permet d’enlever virtuellement toutes les bandelettes afin d’observer, avec une précision de détail inégalée, les restes soigneusement momifiés des individus. Concrètement, les rayons X s’insinuent au travers des tissus, quelle que soit leur épaisseur, et captent des images (scans) de tout le corps. Grâce à un logiciel spécifique, les milliers d’images capturées sont rendues en trois dimensions parfaitement lisibles. Dans le cas d’un jeune homme mort entre 17 et 20 ans, et présent dans la dernière salle, des excès de peau, très nets dans la visualisation de sa momie, nous indiquent qu’il était probablement obèse. Néanmoins pour qu’il ait l’apparence d’un homme svelte, vigoureux et en bonne santé, les embaumeurs l’ont « compressé » le plus possible ! À cette époque, le pays est passé sous domination romaine et les modes d’inhumation changent ; l’une des principales innovations est l’utilisation d’un panneau de bois peint représentant le mort, que l’on appelle un « portrait de momie », et dont font partie les célèbres portraits du Fayoum. Afin que l’on garde éternellement son souvenir sous des traits idéalisés, ce jeune homme est représenté avec des cheveux noirs bouclés, les sourcils épais, de grands yeux et imberbe, signe de jeunesse.

Momie d’enfant et visualisation de son squelette. Époque romaine, vers 40-60 avant notre ère, Hawara, Égypte, EA 22108. © The Trustees of the British Museum
Des jeux d’enfants
L’exposition présente aussi la momie d’un jeune enfant. Ce procédé était-il fréquent ?
Non, il demeurait rare car très coûteux. Comme le « Jeune homme romain », ce jeune enfant âgé de deux ans a vécu au Ier siècle de notre ère, époque où cette pratique serait néanmoins devenue plus courante, de nombreuses momies d’enfants ayant été exhumées dans le cimetière d’Hawara. Située à l’entrée de l’oasis du Fayoum, cette nécropole a été abondamment utilisée à l’époque gréco-romaine, les sépultures rudimentaires contenant parfois plusieurs corps. Ce très jeune garçon a été découvert parmi d’autres momies, dont celles d’une femme et de deux enfants. La tomodensitométrie montre que sa colonne vertébrale et ses côtes ont été endommagées – peut-être durant l’embaumement –, mais son corps a été enveloppé avec grand soin dans de nombreuses couches de bandelettes. Le masque en cartonnage, doré et finement décoré, laisse supposer que l’enfant était issu d’une famille appartenant à l’élite locale. Les objets exposés permettent d’évoquer la famille égyptienne, les rites de passage et les jeux de la petite enfance. Ces momies nous semblent parfois exotiques mais elles sont, par certains aspects, très proches de nous dans le soin apporté au défunt et dans l’émotion ressentie par les proches lors du décès.

Masque en cartonnage. Fin de l’époque ptolémaïque – début de l’époque romaine, vers 100 avant notre ère – 100 de notre ère. EA 51146. © The Trustees of the British Museum
Des momies parées et maquillées
Si les vestiges en ont rarement conservé la trace, hommes et femmes étaient souvent maquillés lors de leur momification ; de même, ils étaient souvent parés, comme en témoigne la momie d’une chanteuse prêtresse de la région de Thèbes, décédée entre 35 et 49 ans. Son abdomen ne contient que quelques amulettes, mais plusieurs petites boules de métal (probablement en or, réputé imputrescible) étaient disséminées sur son corps. Sa tenue funéraire était sans doute composée d’habits somptueux et de parures précieuses, et la jeune femme était probablement maquillée et enduite d’huiles et de parfums. Pour souligner le contour de ses yeux et les faire paraître plus grands, cette chanteuse utilisait du khôl (fabriqué à partir de galène ou de vert malachite), un fard aux propriétés antibactériennes qui repoussait le mauvais œil. Elle ornait peut-être son corps de simples parures en os ou de colliers multicolores extravagants. Les bijoux servaient aussi à chasser les esprits malins. Faisant partie de l’élite, les chanteurs et prêtres portaient des perruques et gardaient leurs cheveux très courts, voire rasés, la pilosité corporelle étant considérée comme impure. É.F.
« Momies égyptiennes : passé retrouvé, mystères dévoilés », du 14 septembre 2019 au 2 février 2020 au musée des Beaux-Arts de Montréal, pavillon Michal et Renata Hornstein, 1380 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, QC H3G 1J5, Canada. Tél. + 1 514-285-2000. www.mbam.qc.ca
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Le roman des momies
4/4. Les momies égyptiennes de Montréal





