
Pendant méridional de l’exposition « Arts et Préhistoire » qui s’est achevée fin mai au musée de l’Homme à Paris, « L’art préhistorique de l’Atlantique à la Méditerranée » du musée d’Aquitaine fait le point sur les découvertes réalisées ces vingt dernières années dans la région franco-cantabrique, entre France, Espagne et Portugal. C’est dans cette région en effet que l’art préhistorique avait été révélé, dans la première grotte ornée découverte au monde, à Altamira, en 1879. Entretien avec les commissaires de l’exposition Vincent Mistrot, attaché de conservation, et Laurent Védrine, directeur du musée d’Aquitaine.
Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier.
Pourquoi consacrer à Bordeaux une exposition à l’art préhistorique de la région franco-cantabrique, qui se déploie pourtant plus au sud, de part et d’autre des Pyrénées ?
Vincent Mistrot : L’exposition a vraiment été conçue en complémentarité de celle du musée de l’Homme ; les deux événements devaient se tenir au même moment et si, finalement, ils se succèdent, c’est en raison des décalages entraînés par la crise de la Covid-19. Notre exposition répond au même besoin de faire le point sur les nombreuses avancées de la recherche : la dernière exposition de synthèse sur l’art préhistorique des Pyrénées remontait à 1996 ! Or ces vingt-cinq dernières années ont été riches en découvertes, grâce à une politique volontariste de prospection, notamment au Pays basque, jusque-là pauvre en grottes ornées ; ce sont parfois de nouvelles galeries qui ont été révélées au sein de grottes déjà connues, par exemple dans la grotte d’Atxurra, parfois des grottes entièrement nouvelles, comme la Cova de Eirós, fouillée depuis 2008, et seule grotte ornée de Galice connue à ce jour.
Laurent Védrine : Capitale régionale du grand Sud-Ouest, Bordeaux est largement tournée vers l’Espagne et le Portugal et, après plusieurs expériences de collaborations ponctuelles sur des expositions de moindre ampleur, ce grand projet transfrontalier s’est imposé à nous. D’autant que le musée d’Aquitaine possède de très riches collections préhistoriques, qui permettent une mise en résonance intéressante entre différents territoires. Nous évoquons notamment dans l’exposition la grotte de Pair-non-Pair, découverte en 1896 en Gironde, qui est, historiquement, la première grotte dont l’art pariétal n’a pas été remis en cause, vingt ans après la découverte des premières peintures paléolithiques à Altamira.

Quelles sont les spécificités de ce vaste espace franco-cantabrique ?
L. V. : Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les Pyrénées ne constituent pas une barrière : il existe des points de passage et l’on voit bien des circulations, des échanges, des influences très nettes d’une région à l’autre, dans cette vaste aire culturelle qui s’étend de l’Atlantique à la Méditerranée. Cet espace dépassait d’ailleurs largement les limites actuelles, puisqu’au Paléolithique, le niveau de la mer était plus bas de 120 mètres : toute la frange littorale est aujourd’hui submergée et il est probable que des grottes ont été englouties, comme l’a été la grotte Cosquer.
V. M. : Dans la région, les hommes se déplaçaient sans doute dans un rayon de 100 ou 200 kilomètres. Les échanges se faisaient de proche en proche, mais pouvaient couvrir, in fine, de grandes distances. En témoignent les coquillages percés appartenant à des espèces méditerranéennes retrouvées dans les grottes de Cantabrie, près de Santander, ou certains silex d’Altamira provenant en réalité du sud des Landes, plus précisément de Chalosse, terroir qui a fourni également une partie de ceux mis au jour dans la grotte de Gazel, dans l’Aude. Les idées elles-mêmes voyageaient sur plusieurs milliers de kilomètres le long de la chaîne pyrénéenne : les contours découpés, représentant de petites têtes d’animaux – souvent des chevaux –, sont très présents des Asturies à l’Ariège et, dans une moindre mesure, jusqu’en Dordogne. Certaines influences ont une aire plus restreinte, comme les décors en spirales, typiques du Pays basque, que l’on retrouve sur des baguettes semi-rondes servant de pointes de projectiles, notamment à Isturitz, site majeur des Pyrénées-Atlantiques et grand carrefour culturel.


Entretien à retrouver en intégralité dans :
Archéologia n° 621 (juin 2023)
Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale
81 p., 11 €.
À commander sur : www.archeologia-magazine.com

À lire :
Dossiers d’Archéologie n° 417
Art paléolithique. Nouvelles découvertes
80 p., 12 €.
À commander sur : www.dossiers-archeologie.com
« L’art préhistorique, de l’Atlantique à la Méditerranée »
Jusqu’au 7 janvier 2024 au musée d’Aquitaine
20 cours Pasteur, 33000 Bordeaux
Tél. 05 56 01 51 00
www.musee-aquitaine-bordeaux.fr
Catalogue, Actes Sud, 272 p., 39 €.