
Le château de Versailles et le musée des Beaux-Arts de Rennes s’associent en 2023 et 2024 pour célébrer Noël Coypel (1628-1707), qui œuvra aux décors versaillais sous la houlette de Charles Le Brun et sur le chantier du parlement de Bretagne. Père et grand-père de peintres reconnus, célèbre et respecté en son temps, présent sur tous les chantiers royaux du règne de Louis XIV, jamais l’artiste n’avait encore bénéficié d’une exposition
monographique alors même qu’une large part de son œuvre a été restaurée au cours des vingt dernières années. Ses talents de décorateur seront particulièrement à l’honneur à Versailles où l’une de ses plus belles réalisations est toujours en place, tandis qu’à Rennes sera retracée toute la carrière du peintre. Béatrice Sarrazin et Guillaume Kazerouni, commissaires de l’événement, reviennent sur l’œuvre de Noël Coypel et sa place dans
la peinture du Grand Siècle.
Propos recueillis par Armelle Fayol.
Noël Coypel a traversé le Grand Siècle, fondé une dynastie de peintres, tenu de hautes fonctions académiques et mené une longue carrière jalonnée de commandes royales. Pour quelles raisons est-il relativement méconnu
aujourd’hui ?
Béatrice Sarrazin : Précisément, deux aspects de la carrière que vous venez de rappeler ont sans doute contribué à cette relative méconnaissance. D’une part, les peintres de Louis XIV, au nombre desquels figure Noël Coypel, sont d’une façon générale rarement reconnus à leur juste valeur. Charles Le Brun est l’exception, et l’idée selon laquelle il a exercé une emprise très stricte sur l’équipe de peintres des chantiers royaux a nui à la notoriété de ses collaborateurs ; on a longtemps pensé qu’ils avaient tous produit la même peinture, ce qui est évidemment faux. D’autre part, la dynastie fondée par Noël Coypel a peut-être participé de l’oubli dans lequel il est tombé, les amateurs ayant eu tendance à l’occulter au profit de son fils Antoine, et les amoureux de peinture du XVIIIe siècle appréciant beaucoup son petit-fils, Charles Antoine.
Guillaume Kazerouni : Parmi les peintres de Louis XIV, les seuls que l’on connaisse un peu mieux sont ceux qui ont été remis en lumière récemment, comme Jean-Baptiste Champaigne qui a bénéficié de deux expositions, l’une de peintures, l’autre de dessins. Il n’est pas non plus inutile de rappeler que la peinture sous Louis XIV est un art du grand décor, et qu’en ce domaine la célébrité de l’ensemble (parlement de Rennes, Invalides, Tuileries…) prime parfois sur les artistes qui y ont travaillé.
Comment définiriez-vous la place qu’occupe Noël Coypel parmi les peintres de son temps et dans l’art du règne de Louis XIV ?
G.K. : Définir cette place est difficile pour plusieurs raisons. D’abord, il vit presque trop longtemps, en un sens, pour qu’on puisse la cerner aisément. Pour les peintres de son temps, l’espérance de vie moyenne est de 65 ans. Coypel meurt à presque 80 ans, et dans ses dernières années il produit assez logiquement un art un peu décalé par rapport à l’esprit du temps. De fait, il a eu en quelque sorte deux carrières : des années 1660 aux années 1680 il travaille dans un esprit totalement louisquatorzien sur les grands chantiers royaux dirigés par Le Brun, et dans un style très inspiré de Poussin ; dans les années 1680, tandis que d’autres de sa génération disparaissent, il se remarie et s’attelle à des choses nouvelles : sous la direction de Louvois il se met à travailler pour la tapisserie, et au début des années 1680 il peint aux Invalides son premier décor à fresque ! J’ajoute que son fils Antoine mène déjà une belle carrière quand son père meurt, et leurs parcours qui se chevauchent compliquent encore l’appréciation de son legs personnel.

et de Trianon, dépôt du musée du Louvre, Paris. Photo service de presse. © Château de Versailles, dist. RMN – C. Fouin
Vous avez mené pour ces deux expositions une campagne d’étude et de restauration. A-t-elle été source de découvertes ?
B.S. : Pour ce qui est de Versailles, nous avons restauré toutes les œuvres du Grand Trianon qui le nécessitaient. Les examens menés dans ce cadre ont permis de confirmer largement ce que l’on pressentait de la technique du peintre : Coypel commence par exécuter des dessins préparatoires, puis dès l’ébauche de la première composition il reprend largement le dessin et finit par le modifier complètement en cours de route. En observant par imagerie scientifique Nymphes présentant une corne d’abondance à Amalthée, on a pu par exemple apercevoir sous la composition une figure d’Hercule que Coypel n’a pas conservée. Des repentirs sont également visibles sous les compositions de la salle des Gardes de la reine.
G.K. : Sur les petits tableaux de chevalet du musée de Rennes, on a observé la même chose ; Coypel ajuste sa composition au fur et à mesure, directement sur la toile. Parmi les œuvres religieuses restaurées à l’occasion de l’exposition figurent Le Christ et la Samaritaine de l’église Saint-Merry à Paris, mais aussi le tableau du musée des Beaux-Arts de Dijon, Sainte Geneviève recevant une médaille de saint Germain. C’est l’un des chefs-d’œuvre de Coypel. Il a retrouvé une palette magnifique et rejoindra après l’exposition le musée pour y être accroché dans le parcours permanent. Au-delà des restaurations menées ces derniers mois, il faut rappeler qu’une large part de l’œuvre avait déjà bénéficié d’interventions. La restauration de la salle des Gardes de la reine a été menée il y a quelques années par le château de Versailles, et c’est à cette occasion qu’est né le projet d’une exposition commune à nos deux institutions. Au cours des vingt années précédentes, le décor des Invalides a été restauré, sans compter le décor du parlement de Rennes après l’incendie, et presque tous les tableaux du musée de Rennes. Quant au may de Notre-Dame, il avait été restauré pour le Grand Louvre. Il est rare qu’un artiste bénéfice ainsi d’une exposition lorsque la presque totalité de son œuvre a déjà été restaurée.

Y aura-t-il d’autres temps forts dans le parcours dont vous vous réjouissez particulièrement ?
B.S. : À Versailles nous présentons un tableau peint pour le décor des Tuileries qui provient d’une collection particulière américaine. Intitulée La Rosée, cette œuvre est tout à fait exceptionnelle, et très spectaculaire en raison de son coloris invraisemblable mêlant des tons bleu-vert canard et des harmonies de rose.
G.K.: Au musée de Rennes sera présentée pour la première fois quasi intégralement la tenture de tapisserie tissée d’après les cartons de Coypel et conservée au Mobilier national. Cela promet d’être également très spectaculaire. À l’exposition de Versailles le public découvrira un carton de tapisserie des Gobelins lié à cette tenture, qui fait l’objet d’une restauration exceptionnelle menée par le musée du Grand Siècle, le château de Versailles et le Mobilier national. Un autre tableau mérite d’être mentionné, c’est un étonnant autoportrait du peintre avec sa seconde épouse et des membres de sa famille. Nous avons beaucoup de chance d’avoir pu obtenir le prêt de cette œuvre conservée en collection privée.

Mobilier national, en dépôt au musée du Grand.Siècle, Saint-Cloud. Photo service de presse. © Mobilier national – I. Bideau

Entretien à retrouver en intégralité dans :
Dossiers de l’Art n° 311
Noël Coypel, peintre de Louis XIV
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com
« Noël Coypel, peintre de grands décors »
Jusqu’au 28 janvier 2024 au château de Versailles
Salle des gardes de la Reine et Grand Trianon
Place d’Armes, 78000 Versailles
Tél. 01 30 83 78 00
www.chateauversailles.fr
« Noël Coypel, peintre du roi »
Du 17 février au 5 mai 2024 au musée des Beaux-Arts de Rennes
20 Quai Emile Zola, 35000 Rennes
Tél. 02 23 62 17 45
www.mba.rennes.fr
Catalogue, Snoeck, 352 p., 39,90 €.