les monographies essentielles de l’histoire de l’art

Exposition Ingres à Chantilly : la Stratonice

Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Stratonice, dit aussi La Maladie d’Antiochus, 1840. Huile sur toile, 57 x 98 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN (domaine de Chantilly) – H. Bréjat
Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Stratonice, dit aussi La Maladie d’Antiochus, 1840. Huile sur toile, 57 x 98 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN (domaine de Chantilly) – H. Bréjat

Ingres a laissé cinq versions peintes et trois versions dessinées de ce sujet. L’exposition présentée à Chantilly réunit un remarquable ensemble d’une vingtaine de feuilles donnant la mesure des inlassables travaux préparatoires de l’artiste.

L’un des plus influents historiens de l’Antiquité, Plutarque, dans ses Vies parallèles écrites entre 100 et 120 de notre ère, relate une étonnante histoire (Vie de Démétrius, XXXVIII) survenue au IIIe siècle avant J.-C., récit dont Ingres recopia le passage dans l’un de ses carnets. Le roi Seleucos Ier Nicator, fondateur de la dynastie des Séleucides qui régna sur le Proche-Orient après la disparition d’Alexandre le Grand, avait épousé Stratonice, fille de Démétrius, roi de Macédoine. Son fils Antiochus se mourait – littéralement – d’amour pour la belle Stratonice, ce que le perspicace médecin Érasistrate décela (quand Stratonice venait visiter le malade dans sa chambre, le prince, subjugué, défaillait, son pouls devenant irrégulier, et il n’était plus que « détresse, angoisse et pâleur »). Le roi l’apprenant accepta finalement de renoncer à son épouse et de la céder à Antiochus plutôt que de perdre son héritier…

Un hommage à l’opéra

Comptant parmi les « bréviaires » des artistes de la période moderne et du XIXe siècle, les Vies parallèles offrirent des sujets sans nombre aux peintres d’histoire européens, aux écrivains et aux musiciens. Cette histoire sentimentalo-dynastique digne d’un péplum de Cinecittà (si l’on exclut l’arrière-plan incestueux) inspira à Jacques Louis David un tableau qui lui valut le prix de Rome en 1774 (Paris, École nationale supérieure des beaux-arts). Outre la peinture de son ancien maître, on doit surtout citer, parmi les sources d’Ingres, l’opéra d’Étienne Nicolas Méhul1 qui fut créé à Paris en 1792 puis inscrit au répertoire de l’orchestre du Capitole à Toulouse alors qu’Ingres y tenait un pupitre de violon (1794-1797). Le traitement très « scénique » du drame, la concordance de l’épisode avec l’unique solo de Stratonice dans l’œuvre de Méhul sont autant d’indices de l’hommage rendu à un opéra qui émut le peintre. Ingres réalisa la version de Chantilly à Rome en 1840 à la demande du duc d’Orléans, fils de Louis-Philippe, qui en avait passé commande dès 1834.

Un célèbre pendant

L’œuvre était destinée à servir de pendant, chez le duc, à L’Assassinat du duc de Guise présenté au Salon en 1835 par Paul Delaroche sous les applaudissements de la critique. Le contraste était marqué entre le drame romantique traité dans une veine « troubadour » par Delaroche et le caractère poussinien très antiquisant du tableau d’Ingres, qui situa néanmoins son récit dans un décor plus pompéien qu’hellénistique (conçu par le talentueux Victor Baltard, futur architecte des Halles de Paris). Le duc d’Aumale racheta en 1853
ce tableau, d’emblée très prisé par les contemporains, qui avait jadis appartenu à son frère, ainsi que L’Assassinat du duc de Guise de Delaroche.

Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Stratonice, dit aussi La Maladie d’Antiochus (détail), 1840. Huile sur toile, 57 x 98 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN (domaine de Chantilly) – H. Bréjat
Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), Stratonice, dit aussi La Maladie d’Antiochus (détail), 1840. Huile sur toile, 57 x 98 cm. Chantilly, musée Condé. Photo service de presse. © RMN (domaine de Chantilly) – H. Bréjat

Alexis Merle du Bourg

1 Musicien aujourd’hui bien oublié, Méhul, associé à son librettiste François Benoît Hoffman, s’inspira plus directement d’un récit d’un autre auteur grec antique, La Déesse syrienne de Lucien de Samosate.

Article à retrouver dans :
Dossiers de l’Art n° 310
Ingres et ses princes

82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com


« Ingres. L’artiste et ses princes »
Jusqu’au 1er octobre 2023 au château de Chantilly
Salle du Jeu de Paume, 60500 Chantilly
Tél. 03 44 27 31 80
www.chateaudechantilly.fr

Catalogue, coédition château de Chantilly / In Fine éditions d’art, 288 p., 34 €.

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