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Les retrouvailles des petits Valois à Chantilly

François Clouet (vers 1515-1572), Henri de France, duc d'Orléans, futur Henri II (1519-1559)(détail), vers 1540-1545. Huile sur chêne, 30 x 23 cm. Chantilly, musée Condé.

François Clouet (vers 1515-1572), Henri de France, duc d'Orléans, futur Henri II (1519-1559)(détail), vers 1540-1545. Huile sur chêne, 30 x 23 cm. Chantilly, musée Condé. © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

Le cabinet d’arts graphiques du musée Condé se penche sur le développement des portraits d’enfants royaux au XVIe siècle à partir des séries réalisées par Jean et François Clouet à la demande de François Ier puis de Catherine de Médicis. Pour la première fois et de manière exceptionnelle, l’exposition met les dessins en regard des tableaux qui en découlent à chaque fois que cela est possible.

 L’avenir de la Maison de Valois est devenu une réelle préoccupation dans la France de l’aube de la Renaissance. Alors que Charles VIII et Louis XII n’ont pas donné d’héritier mâle au trône, et que les souverains européens comme Henri VIII d’Angleterre ou Charles Quint n’ont engendré des garçons que tardivement, la nombreuse descendance de François Ier et de Claude de France est un motif de fierté. À partir de 1515, sept enfants naissent de leur union, dont cinq atteignent l’âge adulte. Le roi souhaite alors montrer que l’avenir de sa dynastie est solidement assuré. Il commande, sans doute pour lui ou ses proches, des effigies de ses enfants, des portraits autonomes tels que l’on commence alors à en produire depuis la fin du XVsiècle en France.

« Au XVIsiècle, le portrait individualisé d’enfant est dans la plupart des cas celui d’un enfant royal. »

Le développement de ce type de portraits va alors de pair avec l’intérêt accru pour l’enfant et l’évolution du regard porté sur lui. Au XVIsiècle, le portrait individualisé d’enfant est dans la plupart des cas celui d’un enfant royal. Le destin de ce dernier intéresse le royaume, tout comme sa bonne santé, traduite par une apparence qui se voulait avantageuse. L’enfant royal est en effet une personne publique, incarnant la continuité de la dynastie. Son image doit donc être diffusée dans le royaume et au-delà, par la gravure ou la miniature, tirée de portraits dessinés ou peints. Le portrait rend son absence présente, car c’est aussi une personne que l’on ne voit pas : jusqu’à leur adolescence, les Enfants de France sont généralement élevés loin de la cour, loin de Paris aussi, à l’abri des intrigues et des fatigues d’incessants déplacements.

Les portraits des enfants de François Ier

À l’aube de son départ pour la guerre en Italie en 1524, François Ier demande ainsi à son portraitiste en titre, Jean Clouet, de capturer sur le papier les vibrantes frimousses de ses enfants, afin d’en tirer des portraits. Cette série de dessins aux crayons est, grâce à la formidable action d’Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897) – dont nous célébrons cette année le bicentenaire de la naissance (cf. EOA n° 588, p. 52) – aujourd’hui conservée à Chantilly.

« Le portrait intime se fait également politique, et doit rassurer quant à la perpétuation de la dynastie, surtout pendant les temps troublés des guerres de Religion. »

Deux séries peintes en ont été tirées : la première, de petites dimensions, due à Jean Clouet, ne nous est que partiellement parvenue. La seconde, que les études menées à l’occasion de l’exposition attribuent à François Clouet, travaillant au début des années 1540 d’après des dessins de son père Jean, est plus complète. Pour la première fois, les portraits redécouverts des enfants de François Ier par François Clouet, aujourd’hui en collection privée, retrouvent leurs dessins préparatoires et un tableau de la même série, conservés au musée Condé de Chantilly : les petits Henri (futur Henri II), Marguerite et Charles de France sont de nouveau réunis après plusieurs siècles de séparation ! Cette seconde série est sans doute initiée par le roi François Ier qui souhaite se remémorer, à la fin de son règne, l’époque des jours heureux, alors que plusieurs de ses enfants et leur mère, Claude de France, sont morts.

François Clouet (vers 1515-1572), Marguerite de France, future reine de Navarre (1553-1615), vers 1561. Pierre noire, sanguine, aquarelle et gouache, rehauts d’aquarelle, 29,8 x 21,5 cm. Chantilly, musée Condé.

François Clouet (vers 1515-1572), Marguerite de France, future reine de Navarre (1553-1615), vers 1561. Pierre noire, sanguine, aquarelle et gouache, rehauts d’aquarelle, 29,8 x 21,5 cm. Chantilly, musée Condé. © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

La petite cour de Saint-Germain-en-Laye

Henri II et Catherine de Médicis donnent naissance à leur tour à une abondante descendance. François Clouet reprend le flambeau de portraitiste de la famille royale dès la mort de son père, Jean, en 1540. Soucieuse de recevoir régulièrement des nouvelles de ses enfants élevés loin d’elle, Catherine de Médicis lui commande sans cesse des portraits. D’autres portraitistes sont également missionnés, comme Germain Le Mannier. C’est là une manière pour la reine de s’enquérir de la bonne santé de sa progéniture. Celle-ci forme une cour miniature, souvent installée au château de Saint-Germain-en-Laye, qui accueille également des princes étrangers (comme la petite Marie Stuart, destinée à épouser le futur François II) et les enfants des grandes familles du royaume. François Clouet établit pour chacun d’entre eux un modèle de portrait, actualisé dès que les enfants grandissent. Les lettres de la reine nous renseignent sur ses préoccupations et les commandes régulières de portraits aux crayons. Le 1er juin 1552 par exemple, elle demande à la gouvernante des enfants, madame d’Humières, « de faire paindre au vif par le painctre que vous avez par delà tous mes ditz enfans, tant filz que filles, avec la royne d’Escosse [Marie Stuart], ainsi qu’ilz sont, sans rien oblier de leurs visaiges, mais il suffist que ce soit en créon pour avoir plus tost fait, et me les envoiez le plus tost que vous pourrez ».

Au temps des rois enfants

Les années passent sans que les commandes ne cessent. Les portraits sont actualisés, notamment par François Clouet, mais aussi Jean Decourt, portraitiste de Marie Stuart qui prend le titre de peintre de Charles IX après la mort de Clouet en 1572. L’accident mortel d’Henri II lors d’un tournoi en 1559 provoque une succession de minorités : après l’éphémère roi François II, le trône est relevé par son jeune frère Charles IX. On s’empresse de représenter les enfants royaux encore vivants pour rassurer l’opinion et légitimer le pouvoir de la reine-mère Catherine de Médicis, par ailleurs grande amatrice de portraits. Le portrait intime se fait également politique, et doit rassurer quant à la perpétuation de la dynastie, surtout pendant les temps troublés des guerres de Religion.

François Clouet, François, dauphin de France, futur François II, roi de France et d’Écosse (1544-1560), vers 1549. Pierre noire et sanguine, 33,4 x 23,2 cm. Chantilly, musée Condé.

François Clouet, François, dauphin de France, futur François II, roi de France et d’Écosse (1544-1560), vers 1549. Pierre noire et sanguine, 33,4 x 23,2 cm. Chantilly, musée Condé. © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

La captivité des fils de François Ier

Le 24 février 1525, François Ier subit une cuisante défaite contre l’empereur Charles Quint à Pavie. Il négocie sa libération par le traité de Madrid de 1526 en échange de la captivité de ses deux fils aînés, François et Henri (futur Henri II), envoyés en Espagne comme otages dès le mois de mars de la même année. On leur commande alors des manuscrits destinés à servir à leur éducation. La libération des petits princes près de quatre ans plus tard, en juillet 1530, offre l’occasion de représenter la famille réunie après cette terrible épreuve qui a vu la Couronne être privée de ses héritiers.

François Iᵉʳ et ses trois fils. Diodore de Sicile (Iᵉʳ siècle avant notre ère). Traduction par Antoine Macault, Les troys premiers livres de l’histoire de Diodore de Sicile des antiquitez d’Egipte, Ethiopie et autres pays d’Asie et d’Affrique. Paris, vers 1534 ; enluminé par Noël Bellemare, le Maître de François de Rohan et Jean Clouet. Chantilly, bibliothèque du musée Condé.

François Iᵉʳ et ses trois fils. Diodore de Sicile (Iᵉʳ siècle avant notre ère). Traduction par Antoine Macault, Les troys premiers livres de l’histoire de Diodore de Sicile des antiquitez d’Egipte, Ethiopie et autres pays d’Asie et d’Affrique. Paris, vers 1534 ; enluminé par Noël Bellemare, le Maître de François de Rohan et Jean Clouet. Chantilly, bibliothèque du musée Condé. © bibliothèque du musée Condé

Germain Le Mannier, peintre des enfants royaux

Germain Le Mannier a le privilège de résider auprès des enfants d’Henri II et de Catherine de Médicis. Institué peintre et huissier du dauphin François, futur François II, puis son valet de chambre, il entretient une réelle proximité avec les petits princes. Il est surtout chargé d’envoyer régulièrement des portraits aux crayons de ces derniers, pour rassurer leurs parents inquiets. Ses crayons au trait franc et au rendu plastique, aux tonalités grises qui mettent en valeur les touches de sanguine, constituent un ensemble unique permettant d’entrer dans l’intimité de la petite cour de Saint-Germain-en-Laye.

Germain Le Mannier (actif entre 1537 et 1560), Henri (Alexandre Édouard) de France, duc d’Orléans, puis d’Anjou, futur Henri III, roi de France et de Pologne (1551-1589), vers 1555. Pierre noire et sanguine, 33,7 x 23,5 cm. Chantilly, musée Condé.

Germain Le Mannier (actif entre 1537 et 1560), Henri (Alexandre Édouard) de France, duc d’Orléans, puis d’Anjou, futur Henri III, roi de France et de Pologne (1551-1589), vers 1555. Pierre noire et sanguine, 33,7 x 23,5 cm. Chantilly, musée Condé. © RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda

« Clouet. À la cour des Petits Valois », du 4 juin au 2 octobre 2022 au cabinet d’arts graphiques du musée Condé, château de Chantilly, avec le partenariat exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France et celui de la Collection Ortiz. www.chateaudechantilly.fr

Catalogue, par Mathieu Deldicque avec la collaboration de Pauline Chougnet et d’Alexandra Zvereva, éditions Faton, 96 p., 22 €. À commander sur www.faton.fr