Comptant parmi les œuvres les plus significatives du jeune Horace Vernet, cette représentation d’un épisode héroïque de la défense de Paris au printemps 1814 apparaît, rétrospectivement, comme annonciatrice, dans un format encore réduit, de toute l’œuvre à venir.
Commande de l’orfèvre Jean-Baptiste Claude Odiot, figuré ici, au centre, en colonel de la Garde nationale recevant l’ordre du maréchal Moncey d’empêcher les Russes de s’assurer du contrôle de la butte Montmartre, La Barrière de Clichy plongeait les spectateurs de la Restauration au cœur d’une actualité encore brûlante.
In media res
Au cours des derniers jours du mois de mars 1814, à la fin de la Campagne de France, le millier d’hommes composant la Garde nationale – vétérans chenus, élèves de l’école polytechnique, jeunes gens (dont Vernet lui-même1) sans expérience du combat souvent – continrent l’arrivée des troupes de la large coalition alliée contre Napoléon sans empêcher la capitulation de la cité (30 mars) qui rendit inexorable la première abdication de l’empereur en avril. Vernet introduit le spectateur in media res dans une scène préparée avec soin, au sein d’un décor familier des Parisiens et qui situait fortement le drame historiquement et topographiquement – on reconnaît la régularité néoclassique du pavillon de la barrière de Clichy édifié par Claude Nicolas Ledoux aussi bien que le pittoresque Cabaret du père Lathuille qui servit de quartier général à Moncey avant d’offrir, plus tard, un sujet à Manet…
La recette du succès selon Vernet
Une étude sur toile pour la composition générale (coll. part.) ainsi qu’une esquisse préparatoire de têtes fortement caractérisées (Paris, musée Carnavalet) aident à cerner le « mode opératoire » d’un artiste pleinement inscrit, à cet égard, dans la tradition de la grande peinture d’histoire. Les différents ingrédients qui firent le succès de Vernet s’y trouvent déjà réunis : actualité intéressante de la scène abordée avec franchise, caractérisation des protagonistes « en situation » – on trouve ici de nombreux portraits (dont celui de l’auteur) – à travers la physionomie, les uniformes militaires décrits avec précision, etc. Ce « prosaïsme » de chroniqueur de l’histoire militaire française se trouve pondéré par des éléments pathétiques, éventuellement moins vraisemblables, mais susceptibles de mobiliser plus aisément l’affect du spectateur. C’est le cas ici de la femme à l’enfant, accompagnée d’une chèvre, offrant l’image même de la déréliction.
Refusé !
Le tableau fut suspecté de souffler sur les braises rougeoyantes du bonapartisme, attitude d’autant plus scabreuse que la fidélité à l’empereur se trouvait identifiée ici au patriotisme, et il rappelait sans doute trop directement que le dévouement inutile des défenseurs de Paris avait contrasté avec les défections et parfois la véritable trahison des dignitaires du régime, des notables, des magistrats, d’une partie de l’état-major lui-même ; il fut écarté par le jury d’admission du Salon de 1822. Comme le feront d’autres grands « refusés » au cours du siècle, Vernet choisit de montrer les œuvres récusées dans une sorte de « contre-exposition » privée, organisée dans son atelier parisien de la rue des Martyrs. Elle rencontra un succès qui excédait, on s’en doute, de beaucoup l’intérêt des contemporains pour la peinture moderne, mais qui assit aussitôt sa réputation.
Alexis Merle du Bourg
1 Louis XVIII (et non l’empereur comme le veut une légende tenace) accorda la Légion d’honneur au jeune sous-lieutenant de grenadier de la Garde nationale Vernet, le 7 décembre 1814.
Article à retrouver dans :
Dossiers de l’Art n° 313
Horace Vernet (1789-1863)
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com
« Horace Vernet (1789-1863) »
Jusqu’au 17 mars 2024 au château de Versailles
Salles d’Afrique et de Crimée
Place d’Armes, 78000 Versailles
Tél. 01 30 83 75 05
www.chateauversailles.fr
Catalogue de l’exposition
Horace Vernet (1789-1863)
448 p., 54 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com