Cinq ans après l’exposition dédiée au Versailles de Louis-Philippe, qui avait révélé au public les salles d’Afrique décorées par Horace Vernet, le château consacre au peintre une rétrospective qui entend le sortir de longues années de purgatoire. Magistrale incarnation du XIXe siècle français, de son histoire et de ses contradictions, la longue carrière de l’artiste, qui fut aussi populaire que décrié en son temps, y est retracée en 200 œuvres. On y découvre un Vernet fier de sa lignée, habité par son époque, rompu aux voyages mais surtout passionnément peintre, capable d’entreprendre les projets les plus démesurés comme de toucher à la vérité la plus intime dans le genre du portrait. Entretien avec Laurent Salomé, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.
Propos recueillis par Armelle Fayol.
Peu de peintres donnent autant qu’Horace Vernet le sentiment qu’on ne peut comprendre leur œuvre si l’on ne comprend pas leur siècle. Pensez-vous que cela éloigne sa peinture du public d’aujourd’hui ?
Il est difficile de dire dans quelle mesure l’ancrage d’Horace Vernet dans son époque, qui le fait parfois paraître un peu exotique, l’éloigne du public, justement parce qu’il est encore méconnu. Les historiens de l’art se sont assez peu intéressés à ce personnage politiquement incorrect, qui contraste avec la figure idéale de l’artiste du XIXe siècle entier, progressiste, avant-gardiste. Sa carrière prend en quelque sorte le contrepied de cette image, mais elle nous donne l’occasion de comprendre le métier et la place du peintre dans la société de son temps. Issu d’une lignée d’artistes qui remonte au XVIIIe siècle, Vernet a voué sa vie à la peinture et il a une façon d’être peintre qui me paraît plus moderne qu’on ne le croit. D’ailleurs, les artistes d’aujourd’hui ne sont-ils pas un peu plus proches de Vernet que de Courbet ? Parce qu’il a bien géré sa carrière, on l’a souvent considéré comme un opportuniste, mais c’était un peintre engagé, qui a pris au contraire des positions assez risquées, sans jamais craindre de dire ce qu’il pensait, notamment sous la Restauration. Selon moi, c’est un peintre qui a toutes les raisons de retrouver le public.
Le moment où Vernet arrive à Versailles est important dans l’histoire du lieu. Sait-on ce que pensait le peintre du projet de Louis-Philippe ?
Ce que l’on sait, c’est que Louis- Philippe s’est investi de façon très personnelle dans le projet et qu’il s’est installé sur place pour suivre le chantier. Il a eu l’œil sur le choix des œuvres rassemblées pour être montrées à Versailles, puis sur toutes les commandes passées aux artistes pour compléter l’ensemble. La folie de ce projet, c’était en effet de viser l’exhaustivité en relatant une histoire de France complète depuis Pharamond jusqu’à Louis-Philippe lui-même. Horace Vernet avait sans conteste un rapport privilégié avec le roi. C’était son peintre préféré, une sorte de premier peintre, et celui qui allait faire son fameux portrait entouré de ses fils sortant du château. Il avait déjà beaucoup peint pour le Palais- Royal. Il n’est pas exclu qu’il ait donné au souverain un certain nombre de conseils concernant le futur musée, mais on n’en a pas de trace. C’est en tout cas très probable au moins pour les salles d’Afrique, qui reposent entièrement sur ses grands tableaux.
La Prise de Tanger, que vous présentez à l’exposition, n’a jamais été montrée. Pour quelles raisons ?
C’est un tableau inachevé, que l’on ne trouvait pas présentable, mais l’exposition nous donne un excellent prétexte pour le restaurer et le montrer. Il a été peint pour la salle du Maroc, la seule des trois salles d’Afrique qui a été complètement dépouillée, et c’est pourquoi nous sommes très tentés de le laisser en place après la présentation de cet hiver. On a envisagé, pour l’exposition, de placer à son côté un escabeau de peintre parce que la partie supérieure est plus achevée, tandis qu’en bas la toile blanche laisse voir le dessin, ce qui permet d’imaginer le peintre au travail. Tout le paysage au ciel rougeoyant est sublime et très poétique ; ce sera l’une des révélations de l’exposition. Il y a une espèce de sérénité de l’antique qui rend ce tableau à la fois étrange et magnifique.
D’autres tableaux que vous présentez sont inédits, certains encore très peu connus. Y a-t-il des œuvres qui vous ont surpris ?
Certains portraits, qui seront réunis dans une salle dédiée à ce genre dans le parcours, m’ont frappé. Aux côtés de chefs-d’œuvre comme le portrait de Louise, la fille du peintre, prêté par le Louvre, le public découvrira des tableaux admirables qui sont différents de tout ce qu’on trouve à la même époque en matière de portrait. Chez Vernet, il y a vraiment quelque chose de très spécial, qui peut paraître en contradiction avec la dimension théâtrale et la vision « par la surface » évoquées plus haut. Dans les portraits, on le voit, lui qui est si attaché à la question de l’élégance, du brio, obligé de se confronter à la recherche psychologique et atteindre une virtuosité étonnante, plus sensible et émouvante, comme dans le sublime portrait du prince Bariatinsky conservé à Rome. Il touche à une vérité qui se traduit aussi dans des portraits féminins assez fermés, un peu boudeurs, parfois presque tristes, et des effigies masculines où perce souvent l’inquiétude.
Entretien à retrouver en intégralité dans :
Dossiers de l’Art n° 313
Horace Vernet (1789-1863)
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com
« Horace Vernet (1789-1863) »
Jusqu’au 17 mars 2024 au château de Versailles
Salles d’Afrique et de Crimée
Place d’Armes, 78000 Versailles
Tél. 01 30 83 75 05
www.chateauversailles.fr
Catalogue de l’exposition
Horace Vernet (1789-1863)
448 p., 54 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com