
Autour d’une précieuse série de dessins d’Adrien Karbowsky prêtée par l’INHA, le musée Nissim de Camondo se propose d’évoquer la riche collection XVIIIe réunie entre le milieu des années 1870 et 1912 par Jacques Doucet, que l’on connaît mieux pour avoir, par la suite, aimé et soutenu l’art moderne.
Bien qu’ils ne se soient pas fréquentés, le banquier Moïse de Camondo (1860-1935) et le couturier Jacques Doucet (1853-1929) ont plusieurs points communs. Tous deux grands collectionneurs, ils se sont passionnés pour le XVIIIe siècle et ont décidé de faire bâtir un hôtel particulier qui servirait d’écrin à leur collection. Lorsque Doucet vend la sienne en 1912, leurs chemins se rejoignent : Camondo y achète plusieurs objets qui trouvent place dans sa demeure rue de Monceau.
Jacques Doucet collectionneur
Homme aux multiples facettes, Jacques Doucet est une personnalité aujourd’hui mal connue du grand public. Couturier réputé en son temps, il est également sensible à la littérature et aux arts. En témoignent les deux exceptionnelles bibliothèques consacrées à ces sujets, qui appartiennent aujourd’hui respectivement à l’Université de Paris et à l’Institut national d’histoire de l’art. À partir de 1875-1880, Doucet commence également à s’intéresser à l’art du XVIIIe siècle. Il acquiert des dessins de Watteau, des toiles de Chardin, de nombreux pastels, mais aussi des sculptures de Clodion et Houdon ou encore des meubles signés Roentgen ou Foliot. Au fil du temps, il réunit ainsi une belle collection, qui n’a toutefois rien de novateur. Doucet s’inscrit en effet dans un goût bien établi pour l’art du siècle des Lumières, comme le prouvent les collections de ses contemporains : les frères Goncourt, Ernest Cognacq, Camille Groult, Édouard André, Étienne Moreau-Nélaton et bien sûr Moïse de Camondo.

Un écrin architectural sur mesure
Tout comme ce dernier, Doucet décide de faire bâtir un hôtel particulier expressément destiné à abriter ses collections. Situé au numéro 9 de la rue Spontini (XVIe arr.), il est élevé d’après les plans de l’architecte Louis Parent entre 1903 et 1906 et aménagé par le peintre Adrien Karbowsky et le décorateur Georges Hoentschel. Tout le premier étage de la demeure est dédié à la présentation des œuvres du XVIIIe siècle, dans des décors cohérents. Bien que l’hôtel ait été détruit en 1959, de nombreux témoignages iconographiques permettent encore aujourd’hui de se faire une idée très précise de son aménagement intérieur. Karbowsky a d’abord réalisé une série d’études rapides au crayon et à l’aquarelle, puis des dessins très détaillés sur lesquels les différentes œuvres sont parfaitement identifiables. Ils éclairent la démarche de Doucet, qui privilégie l’harmonie d’ensemble et les rapprochements thématiques, au détriment d’un accrochage par école ou par période. Dans le grand salon, il glisse ainsi malicieusement le Lièvre (mort) de Manet au milieu des natures mortes de Chardin. Cet accrochage figé et très symétrique n’est pas sans rappeler celui d’un musée, ce que confirme la présence d’un éclairage zénithal. Il ne reflète par ailleurs que partiellement les goûts de Doucet, qui s’intéresse déjà à cette époque à l’art moderne.

D’un collectionneur à l’autre
À la surprise générale, alors qu’il est installé dans son hôtel particulier depuis 1906 seulement, Doucet décide en 1911 de vendre sa collection et de déménager. Véritable événement artistique et mondain où 357 lots se succèdent sous le feu des enchères, la vente est organisée par la galerie Georges Petit du 5 au 8 juin 1912. Parmi les enchérisseurs se trouve Moïse de Camondo, alors en pleine construction de son propre hôtel particulier. Il achète six lots, répertoriés dans ses carnets ; on retrouve ainsi le fauteuil de Nadal dans le grand salon ou la table à écrire de Dubut dans le salon des Huet. Après cette vente, Doucet développera d’autres centres d’intérêt : les impressionnistes, les avant-gardes et l’Art déco. En 1923, il achètera ainsi Les Demoiselles d’Avignon de Picasso sur les conseils d’André Breton. Un pan de sa vie qui mériterait également une exposition !
Camille Jolin

Article à retrouver dans :
Dossiers de l’Art n° 308
Les collections royales britanniques
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com
« Doucet et Camondo, une passion pour le XVIIIe siècle »
Jusqu’au 3 septembre 2023 au musée Nissim de Camondo
63 rue Monceau, 75008 Paris
Tél. 01 53 89 06 50
www.madparis.fr