![Athlète se nettoyant avec un strigile pour ôter la croûte formée par l’huile, la poussière, la boue et la sueur. Amphore à figures rouges, vers 450 avant J.-C. Vienne, Kunsthistorisches Museum. © Akg-images / E. Lessing](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/3824_document.jpg)
Les Jeux olympiques que Paris accueille cette année sont l’occasion d’une exposition au musée du Louvre sur les origines de cet événement international. Si les concours grecs ont inspiré la naissance des Jeux modernes à la fin du XIXe siècle, la pratique sportive antique est fondamentalement différente de la nôtre. Ce numéro des Dossiers d’Archéologie présente les aspects spécifiques du sport en Grèce antique, à la fois dans la cité et dans les sanctuaires panhelléniques, en particulier Olympie.
De la civilisation grecque la pratique du sport est sans doute un des traits les plus connus, avec la mythologie ou la religion. Mais c’est le seul qu’on prétend tous les quatre ans ressusciter sous la forme des Jeux olympiques modernes, entretenant ainsi l’illusion d’un héritage partagé. Même si le fondateur de l’olympisme, Pierre de Coubertin (1863-1937), n’avait pas en vue de rejouer à l’antique les épreuves qui se déroulaient dans le sanctuaire de Zeus à Olympie, les olympiades successives depuis 1896 n’ont eu de cesse de s’inscrire dans une histoire dont on situe conventionnellement le début en 776 avant J.-C.
Le sport en jeux
Cet héritage revendiqué est pourtant très largement une trahison : il manipule les sources, choisit certains aspects qu’il valorise, en passe d’autres sous silence par choix ou par ignorance. C’est à lui qu’on doit le rétablissement du lancer du disque, l’invention du triple saut, la cérémonie et le parcours de la flamme. Chaque édition des Jeux s’accompagne d’un flot d’images empruntées à l’art grec qui ne fut pas avare en images à thématique sportive. Le discobole du sculpteur grec Myron (Ve siècle avant J.-C.), connu par des copies d’époque romaine, envahit les écrans et les affiches et devient le symbole explicite de cette filiation revendiquée. Les athlètes des vases attiques à figures noires ou à figures rouges suivent le même chemin. L’exposition au Louvre intitulée « L’Olympisme, une invention moderne, un héritage antique » montre justement comment a été fabriquée cette imagerie olympique contemporaine par l’artiste suisse Émile Gilliéron (1851-1924), à partir d’œuvres issues des collections du grand musée parisien et des découvertes archéologiques en Grèce. Cérémonies, épreuves, affiches, timbres commémoratifs ou trophées diffusent une représentation simplifiée et stéréotypée des pratiques sportives de l’Antiquité qui nous conviennent par leur familiarité et par le sentiment qu’ils nous donnent d’une histoire que nous poursuivons et que nous poussons toujours plus loin par des innovations techniques qui nous sont propres. Persuadés de le bien connaître, nous pouvons trouver inutile ou vaine la question : quoi de neuf en matière d’archéologie du sport grec ?
![Un athlète récupère la marque au sol de son lancer de disque ; suspendue dans le champ une paire d’haltères. Tondo de
coupe à figures rouges, Peintre de Cléomélos, vers 510 avant J.-C. Paris, musée du Louvre. © RMN-GP](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/3830_document-scaled.jpg)
Retour aux sources
Pourtant nous ne sommes pas condamnés aux stéréotypes de l’olympisme moderne. Du neuf il y en a pour ceux qui souhaitent aller au-delà des clichés et des idées reçues. Un retour aux sources qui sont abondantes et sans cesse enrichies par de nouvelles découvertes permet facilement de mesurer l’écart entre notre idée moderne et la réalité des activités physiques des Grecs. C’est l’objet du présent dossier.
Une réalité bien documentée
Nous connaissons le sport grec par des textes, des images et des vestiges. C’est un des aspects les mieux documentés de la vie antique. Aux textes théoriques ou philosophiques d’un Platon qui s’interroge sur la meilleure éducation et considère la pratique de la gymnastique comme aussi importante que celle de la musique, il faut ajouter des informations fournies par les historiens comme Hérodote ou Xénophon et surtout les quelques textes plus techniques comme le traité de Gymnastique de Philostrate (IIe siècle après J.-C.), le dialogue fictif Anacharsis ou des exercices du corps de l’écrivain grec d’époque romaine Lucien (IIe siècle après J.-C.) et les prescriptions des médecins grecs comme Hippocrate (Ve siècle avant J.-C.) et Gallien (IIIe siècle après J.-C.). De très nombreuses inscriptions offrent un aperçu très complet sur l’organisation des gymnases, des concours ou le déroulement des carrières d’athlètes et ce sur la longue durée, de l’époque des cités à leur intégration dans l’Empire romain. Tous ces textes peuvent être confrontés aux images que les artistes et artisans grecs ont fabriquées, conservées jusqu’à nous ou perdues, mais décrites ou mentionnées par des auteurs comme Pausanias qui visite la Grèce au IIe siècle après J.-C. Plusieurs milliers de vases attiques montrent des scènes d’entraînement ou de compétition avec de nombreux détails sur les gestes pratiqués. Enfin le cadre monumental de l’activité sportive est connu grâce à la découverte des bâtiments qui l’accueillent, palestre, gymnase, stade et hippodrome. Il faut ranger au nombre des vestiges qui contribuent à notre connaissance les équipements mobiliers des athlètes, disque, flacon d’huile, strigiles, haltères, etc.
![Stade d’Épidaure, construit au Ve siècle avant J.-C., où se déroulent des concours en l’honneur d’Asclépios. Une première série de gradins est aménagée à la fin du IVe siècle avant J.-C. © Adobe Stock / S. Figurnyi](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/3826_document.jpg)
Des installations récemment mises au jour
Cette documentation bien connue est exploitée depuis la fin du XIXe siècle et de nombreuses synthèses ont été publiées. Elle s’est régulièrement enrichie depuis. Dernièrement de nouvelles installations ont été mises au jour, par exemple un gymnase à Érétrie en Eubée, un hippodrome à Délos dans les Cyclades ; les archéologues sont à la recherche du stade d’Amphipolis et de l’hippodrome de Delphes. De nouveaux textes ont été découverts, comme ce papyrus extrait d’un cartonnage de momie qui a fourni des épigrammes de Posidippos de Pella, dont certaines font l’éloge de chevaux vainqueurs à Olympie ; ou encore ces grandes plaques de marbre inscrites découvertes à Naples et datées du début de l’époque impériale qui nous donnent le règlement et les listes des vainqueurs aux concours en l’honneur d’Auguste, calqués fidèlement sur ceux d’Olympie. Ce sont là des moyens efficaces pour sortir des stéréotypes.
![Vue aérienne du gymnase d’Érétrie, construit au IVe siècle avant J.-C. Il est doté de deux cours à péristyle et d’équipement de bain pour la toilette et d’une étuve sèche. © École suisse d’archéologie en Grèce / Th. Theurillat et G. Ackermann](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/3829_document.jpg)
Le sport des Grecs, une « bizarrerie » (Lucien)
Mais pour en sortir vraiment il faut aussi changer d’optique et cesser de voir dans les Grecs des ancêtres dont nous serions les héritiers. Il faut les traiter comme des étrangers, appartenant à une autre culture que la nôtre, un peu comme le prince scythe Anacharsis du dialogue imaginaire de Lucien entrant dans un gymnase d’Athènes en compagnie de Solon. À ce titre le sport grec se caractérise par deux aspects majeurs : il constitue, d’abord, un fait social original, c’est-à-dire qu’il instaure de manière très singulière une communauté humaine qui mêle politique, religion et éducation ; et il est, ensuite, techniquement complexe, ce que ne laissent pas attendre les représentations sur vases ou les statues, où les athlètes figurent nus avec un équipement réduit au minimum.
L’athlète-citoyen
En premier lieu, l’athlète grec est avant tout un citoyen ou un futur citoyen. La pratique sportive, l’entraînement comme la compétition, est une activité éminemment « politique », au sens grec du terme, de la « polis » ou cité. C’est la raison pour laquelle elle est intimement liée à l’éducation, à la guerre et à la religion. Dans les palestres ou gymnases, la jeunesse, organisée en classes d’âge, apprend, outre la littérature, la musique ou la danse, le lancement du disque ou du javelot, le saut avec haltères, la lutte ou la boxe. Ces activités physiques sont destinées à lui donner l’endurance nécessaire au combat. Certaines, comme le tir à l’arc, la course en armes, le tir sur cible, etc., forment plus précisément au maniement des armes. Devenus adultes, les hommes continuent de fréquenter les établissements sportifs pour entretenir leur forme, preuve de leur sens du devoir civique. Le gymnase est le lieu de la sociabilité masculine par excellence : l’athlète-citoyen y trouve une « agora », selon l’heureuse expression de l’épigraphiste et historien Louis Robert. Bien sûr le recrutement de mercenaires et l’affaiblissement de l’autonomie de la cité à l’époque hellénistique et romaine atténuent le lien avec l’armée, mais l’adjonction de bains chauds transforme les salles d’entraînement en clubs privés très prisés des hommes libres et de condition aisée. C’est aussi comme citoyens que les Grecs pratiquent la compétition : les concours sont en effet toujours intégrés dans le calendrier des fêtes religieuses, internationales, nationales ou locales, où les Grecs manifestent leur piété par un sacrifice et un programme d’épreuves physiques, comme dans nos anciennes fêtes votives. Les plus célèbres sont les concours panhelléniques, dont les fêtes de Zeus à Olympie sont un exemple : le dieu y est honoré comme le père d’Héraklès, fondateur mythique de ce concours, mais aussi comme dieu de la Guerre, ce qu’on oublie souvent : c’est en effet dans ce sanctuaire que se trouve l’oracle qu’on consulte en cas de conflit. La religion imprègne tout le déroulement des épreuves, du serment initial des athlètes à la consécration des champions : gagner suppose toujours le consentement de la divinité.
![Athlète tenant un haltère dans chaque main et se préparant au saut en longueur. Pélikè à figures rouges, Peintre d’Argos, vers 480-470 avant J.-C. Paris, musée du Louvre. © RMN-GP / H. Lewandowski](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/3827_document.jpg)
La place des femmes
Et les femmes ? Le sport étant une activité civique, elles ne peuvent y avoir qu’une place réduite, mais une place tout de même : certaines fêtes en l’honneur de divinités féminines, comme Héra ou Artémis, comportent aussi des épreuves athlétiques, souvent une course à pied. Futures mères de citoyens, elles doivent veiller à leur propre santé et l’exercice physique est un bon moyen de le faire. On connaît ainsi des magistrats chargés de l’éducation physique des filles et certaines cités, comme Sparte, font de cette formation une obligation très stricte.
Une nudité trompeuse
En second lieu les pratiques sportives des Grecs sont le fruit d’un système technique très élaboré qui combine une très bonne connaissance de la physiologie et de la motricité humaines ainsi qu’une parfaite maîtrise des propriétés des matériaux. La course à pied en est un bon exemple : les Grecs savaient non seulement que certains types physiques se prêtent mieux à la course de vitesse qu’à la course de fond, mais aussi que l’athlète court aussi avec ses bras et que leur mouvement, près ou loin du corps, dépend de l’effort à fournir. Bien plus, ils ont aussi mis au point toute une gamme d’aménagements de sol, souple, ferme, poussiéreux ou boueux, suivant la nature de l’épreuve et le degré du handicap souhaité. Car ils avaient en vue non pas la performance mesurable dont ils ne se souciaient guère, mais l’effet sur la musculation et l’endurance des corps. La même analyse pourrait être faite pour l’usage de l’huile, en onction ou embrocation, comme handicap dans la lutte, mais comme adjuvant dans l’échauffement des muscles. Le même degré de technicité se manifeste dans toutes les activités pratiquées en entraînement et en compétition. L’apparente simplicité des pratiques sportives grecques dont témoignerait la nudité des corps ne doit pas nous tromper : même nus les corps sont des machines dont les Grecs prennent soin. Et cette nudité est elle-même à analyser : à la fois convention iconographique pour représenter le citoyen responsable, elle est dans la pratique un « déshabillé » qui s’accompagne occasionnellement d’un suspensoir, d’un pagne, d’une tunique, d’un manteau, d’un bonnet ou de gants en lanières de cuir. Dans les activités sportives, elle constitue aussi un handicap qui vise à endurcir et augmenter la résistance à la douleur.
![Les athlètes sont souvent tournés en dérision, en particulier les boxeurs et les lutteurs dont l’activité déforme le corps et menace la santé. Boxeur grotesque découvert à Izmir. Terre cuite, époque hellénistique. Paris, musée du Louvre. © RMN-GP / H. Lewandowski](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/3831_document-scaled.jpg)
« La bonne sagesse » des Grecs
Dans ces conditions, on comprend que le sport grec est très loin du nôtre, lui qui valorise la compétition, l’exploit, le record et le champion professionnel. En Grèce, l’athlète idéal est le citoyen qui s’entraîne régulièrement, entretient son corps et honore les dieux en concourant en amateur dans des épreuves où ils pourront le distinguer. C’est là « la bonne sagesse » que recommandent les médecins, d’Hippocrate à Gallien, mais aussi les philosophes et les écrivains, de Platon et Euripide à Lucien. Et si nous voulons toujours hériter des Grecs – ce qui n’est pas obligé –, tâchons au moins de ne pas en être des héritiers indignes en les trahissant.
![Course à pied, de vitesse avec les bras « en guise d’ailes » (Philostrate) et les doigts écartés. Détail d’une amphore panathénaïque à figures noires, vers 530 avant J.-C. New York, The Metropolitan Museum of Art. © The MET, dist. RMN-GP / MMA](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/3825_document-scaled.jpg)
Alexandre Farnoux
![](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2024/05/le-sport-en-grece-antique_pdt_hd_54283.jpg)
Article à retrouver dans :
Dossiers d’Archéologie n° 423
Le sport en Grèce antique
80 p., 12 €.
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