Méconnue du grand public, la Société des Amis de Notre-Dame de Paris fondée en 1939 est un acteur incontournable du chantier de restauration comme du projet de musée en germe. Son président, Jean-Michel Leniaud, éminent historien de l’art spécialiste du patrimoine, de l’histoire religieuse des XIXe et XXe siècles, et de l’œuvre de Lassus et Viollet-le-Duc, a accepté de répondre aux questions de L’Objet d’Art.
Comment les collections de la Société se sont-elles constituées ?
Mes prédécesseurs ont rassemblé, principalement grâce à des dons, des centaines de gravures, médailles, dessins, livres et peintures retraçant l’histoire de la cathédrale. Les collections n’ont pas sensiblement crû depuis le décès de Pierre Joly qui en était le premier conservateur. L’une de nos priorités est désormais de restaurer. Vingt-et-une toiles viennent de retrouver leur éclat, notamment les peintures représentant l’intérieur de Notre-Dame. Nous restaurons également des livres, pour certains très précieux, à l’instar des deux registres de délibérations capitulaires dont l’un détaille l’incendie de l’Hôtel-Dieu en 1772.
Ces œuvres et documents ont donc été exposés au sein du musée Notre-Dame ?
Cet ensemble, significatif à notre échelle, a en effet été présenté pendant plus de cinquante ans dans la maison des chanoines, jusqu’à ce que les locaux ne soient récupérés pour installer les services diocésains. Ce musée, chaleureux et assez romantique, était aussi un lieu d’étude. J’y ai travaillé auprès d’Anne-Marie Joly lorsque je faisais ma thèse de l’École des chartes sur l’architecte Jean-Baptiste Lassus, chargé de la restauration de Notre-Dame avec Viollet-le-Duc. La collection n’est plus visible, en revanche, des œuvres sont régulièrement prêtées (six dessins et un objet figuraient à l’exposition « Le Trésor de Notre-Dame » qui vient de s’achever au musée du Louvre), ou choisies pour illustrer des ouvrages, je pense à la monographie sur les Mays publiée par Delphine Bastet.
Où sont conservées les collections depuis qu’elles ont quitté la maison des chanoines ?
Elles sont longtemps restées dans les réserves du musée Carnavalet, mais il a été question de les intégrer partiellement au parcours permanent lorsque le musée a été restructuré. J’ai donc décidé de reprendre tous nos objets. Nous avons pu les déposer dans les tribunes de Notre-Dame, quelques mois avant l’incendie… Rien n’a souffert heureusement, et le directeur de la Médiathèque du patrimoine et de la photographie a immédiatement accepté d’abriter notre fonds.
Dès sa fondation, la Société envisageait de créer un musée, s’agit-il toujours d’un de vos objectifs ?
Un musée est indispensable ! Avec un autre membre du bureau de la Société, j’ai notamment fait paraître en octobre 2022 une tribune dans Le Figaro, « Pour un vrai musée Notre-Dame » – qui n’a pas reçu d’écho du ministère de la Culture – et j’ai plusieurs fois échangé avec Charles Personnaz auquel j’ai confirmé notre volonté de collaborer. J’insiste sur un point : cette institution présentera bien sûr des œuvres retraçant l’histoire de Notre-Dame, son rôle politique, liturgique, urbain ; elle devra rassembler le maximum d’éléments archéologiques provenant du chantier (il faut être très vigilant sur ce point et éviter de détruire inutilement !), mais ce doit aussi être un lieu d’étude et un centre d’interprétation. J’espère que ce quadripartisme fonctionnel sera prévu dans le rapport définitif qui sera rendu en avril.
Que pensez-vous d’un musée « de l’Œuvre » qui serait installé dans l’Hôtel-Dieu ?
C’est une jolie expression mais il me paraît plus logique de parler de « musée de Notre-Dame ». Beaucoup préfèreraient éviter le terme « œuvre », notamment parce qu’il personnalise complètement le musée de Strasbourg. Quant à l’emplacement, il s’agit d’une problématique majeure ; nous découvrons que l’AP-HP est un État dans l’État… J’ai un temps suggéré de construire le musée sur le parvis, soit devant la Préfecture de police soit à l’emplacement de l’ancien Hôtel-Dieu, mais cette idée n’a pas eu de suite. Le parvis réaménagé dans les années 1970 est un échec, il est hors d’échelle, et le projet choisi par la Ville de Paris pour les abords de la cathédrale n’est pas digne d’une capitale internationale…
Vous étiez partisan d’une reconstruction à l’identique : que pensez-vous du débat autour des vitraux contemporains figuratifs souhaités par Monseigneur Ulrich pour remplacer les grisailles, pourtant intactes de Viollet-le-Duc, dans les chapelles de la nef ?
En fait, l’histoire bégaie à nouveau. Regardez ce qui s’est passé pour les douze verrières en grisailles de la nef : en 1937, il avait été décidé, malgré la résistance des partisans de l’état Viollet-le-Duc et une très vive polémique, de les remplacer par une série de saints en pied réalisés par douze artistes différents. Au début de la Seconde Guerre mondiale, la plupart de ces vitraux contemporains sont mis en caisses jusqu’à ce qu’on décide de les faire restaurer et de les déposer à la Cité du vitrail à Troyes où ils seront exposés de mai à septembre. Entre-temps, la modernité étant éphémère, une nouvelle commande a été confiée en 1952 à Jacques Le Chevallier, qui a créé l’ensemble homogène et abstrait que l’on voit aujourd’hui. Il y a fort à parier qu’il en ira de même pour les grisailles des chapelles latérales : condamnation de l’œuvre de Viollet-le-Duc au mépris des intérêts du patrimoine ; commande de vitraux contemporains ; sénescence rapide, comme d’habitude, de la modernité. Le tout s’enveloppera d’une polémique inutile, portant sur la conservation patrimoniale et les partis pris de création, en particulier sur l’iconographie des vitraux puisque, depuis Malraux, la quasi-totalité des commandes du ministère de la Culture pour les vitraux de cathédrales adopte prudemment le parti du non-figuratif. Depuis des décennies, nous vivons une crise de l’iconographie chrétienne et ce n’est pas une éventuelle commande pour Notre-Dame qui règlera la question. Ce n’est pas à Notre-Dame qu’il faut tenter une expérience en ce sens.
Focus : le musée Notre-Dame
C’est en 1951 que le musée est inauguré au 10 rue du Cloître Notre-Dame, actuel siège de l’archevêché, au niveau du chevet de la cathédrale. La maison canoniale, qui abritait déjà les archives et collections des Amis, accueille dès lors le public dans trois salles du rez-de-chaussée. Sous la houlette du conservateur Pierre Joly, l’institution organise une dizaine d’expositions : après avoir célébré le cent-cinquantenaire du sacre de Napoléon (1954), le centenaire de la mort du père Lacordaire (1961), le huit centième anniversaire de la cathédrale (1963) et le travail de Viollet-le-Duc (1965), le musée s’intéresse aux fouilles récentes du parvis (1967). En 1970, une ultime manifestation met en lumière les périodes de la Révolution et du Consulat. « Ces expositions étaient certes ramassées mais très riches », souligne Anne-Marie Joly qui a pris la suite de son père en 1971. « Je travaillais et n’ai pas eu le temps d’organiser de telles manifestations. Nous avons tout de même continué à faire quelques acquisitions et à ouvrir le musée trois jours par semaine, jusqu’à ce qu’en 2008 nous soyons contraints de quitter les lieux. » Outre des dizaines de dossiers documentaires, le fonds compte aujourd’hui quelque 1 500 ouvrages, près de 2 000 gravures et des centaines de photographies, 650 objets (des médailles pour l’essentiel), des centaines de dessins et d’estampes, en particulier sur les pompes funèbres d’Ancien Régime, et vingt-cinq peintures.
Myriam Escard-Bugat
Retrouvez les épisodes précédents de notre série « La renaissance de Notre-Dame de Paris » :
Épisode I : une année riche en événements
Épisode II : cinq ans de polémiques
Épisode III : vers un « musée de l’Œuvre » ?
Épisode IV : imaginer le futur musée
Dossier à retrouver dans :
L’Objet d’Art n° 608
Notre-Dame, vers un musée de l’Œuvre ?
98 p., 11 €.
À commander sur : www.estampille-objetdart.com
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