
« Naples à Paris » est une exposition qui, à tous égards, sort de l’ordinaire. Cette invitation lancée par le Louvre au prestigieux musée napolitain qui conserve, entre autres trésors, l’illustre galerie de peintures réunie par la famille Farnèse, est l’occasion d’admirer à Paris des chefs-d’œuvre universels, fraîchement restaurés. Elle jette un pont entre deux collections qui, ensemble, retracent les heures les plus glorieuses de la peinture italienne, mais aussi entre deux anciens palais royaux transformés en musées d’exception. Sylvain Bellenger, directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte, et Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre, évoquent pour nous cet événement hors norme.
Propos recueillis par Armelle Fayol.
L’invitation adressée au musée de Capodimonte à venir montrer au Louvre une ample sélection de chefs-d’œuvre coïncide, pour vos deux institutions, avec un moment important dans l’histoire de leurs collections. Pouvez-vous revenir, l’un et l’autre, sur cet agenda particulier et ses enjeux ?
Sébastien Allard : La proposition faite par Sylvain Bellenger de prêter des tableaux de Capodimonte au Louvre pendant la fermeture du musée nous a conduits à concevoir un dispositif inédit : non pas réaliser une exposition de chefs-d’œuvre du musée napolitain dans un espace dédié, mais les mêler aux nôtres dans la Grande Galerie. En prévision de la rénovation de la Grande Galerie en 2025, il me semblait intéressant de profiter de cette magnifique occasion pour porter un regard critique sur notre présentation de la peinture italienne. En raison des mouvements d’œuvres que ce dispositif suscitait, mais aussi parce que certains de nos manques allaient être provisoirement comblés (la peinture napolitaine insuffisamment présente) ou nos forces consolidées (le portrait à la Renaissance), nous avons, provisoirement, modifié l’histoire que nous racontons. Par exemple, la veine naturaliste, celle de Ribera, absente habituellement des cimaises de la Grande Galerie, y est aujourd’hui magnifiée par les prêts du musée de Capodimonte.

Sylvain Bellenger : À l’exception d’une salle, la salle Causa, qui restera ouverte pour les expositions, le musée de Capodimonte va fermer ses galeries à l’automne prochain pour de très importants travaux. Le chantier, confié au cabinet napolitain Corvino/ Multari, vise à refaire intégralement les infrastructures techniques, l’éclairage et l’air conditionné, et à installer des toits de tuiles photovoltaïques totalement intégrées. Ces tuiles photovoltaïques, un procédé Engie-Italia, permettront de produire 91% de notre énergie électrique. Parallèlement sera mené un autre chantier d’envergure, celui du réaménagement des collections : l’ouverture de dix galeries de porcelaines, confiées au décorateur Federico Forquet, et le nouveau parcours des galeries Farnèse, confié à François-Joseph Graf. Le musée de Capodimonte a ceci de paradoxal qu’en dépit de ses collections considérables et prestigieuses, malgré sa grande histoire, il reste, même en Italie, un secret bien gardé. L’invitation faite par le Louvre est aussi une magnifique reconnaissance qui incitera les touristes, en particulier les Français qui sont le premier public étranger de Naples, à ne plus ignorer cette collection qui a longtemps été réservée à une élite.

Le chantier de réaménagement de la Grande Galerie, auquel le Louvre travaille, débutera après les Jeux olympiques de 2024. Cette exposition a-t-elle fait avancer la réflexion menée autour de ce chantier ?
S.A. : Le musée du Louvre, pour ce qui concerne le XVIIe siècle, est particulièrement riche en peintures bolonaises et romaines. Cela correspond à l’histoire de nos collections, au goût des souverains, des collectionneurs d’Ancien Régime, mais aussi à certaines saisies révolutionnaires. Guido Reni, Annibal et Ludovic Carrache ou Guerchin sont magnifiquement représentés. En revanche, en dehors de Caravage, la veine naturaliste, voire expressionniste, est plus rare. Et cela d’autant plus qu’au Louvre, le classement par « écoles nationales » exclut certains de ces peintres de la Grande Galerie. Ainsi Ribera, né en Espagne, mais essentiellement actif à Naples, alors sous domination espagnole, est exposé au sein de l’école espagnole et non avec la peinture napolitaine. La question se pose de sa place. Les extraordinaires toiles de cet artiste prêtées par Capodimonte sont, dans l’exposition, accrochées dans la Grande Galerie, face à Guido Reni.

Dans la Grande Galerie et le Salon carré sont réunies des œuvres qui incarnent les sommets de l’art italien des années 1420 aux années 1680. En quoi ces deux collections, de ce point de vue, se complètent-elles ?
S.A. : Je dirais qu’elles se complètent en positif et en négatif (au sens photographique). D’une part, les prêts de Capodimonte viennent renforcer les points forts des collections du Louvre : la rencontre des chefs-d’œuvre de Raphaël, Titien, Sebastiano del Piombo, Savoldo… de nos deux musées offre l’une des plus éblouissantes réunions de portraits peints entre 1515 et les années 1530. D’autre part, les œuvres napolitaines viennent aussi combler provisoirement quelques manques du Louvre. Le plus frappant est celui de Parmesan, dont Capodimonte abrite des toiles exceptionnelles, comme le Portrait de Galeazzo Sanvitale ou Antea. Sans même parler de la peinture à Naples : Ribera, Giordano, Guarino, Mattia Preti y sont merveilleusement représentés.

Dans la salle de la Chapelle est évoquée l’histoire prestigieuse du musée de Capodimonte. Pouvez-vous évoquer une ou deux pièces présentées dans la salle de la Chapelle, qui vous semblaient indispensables pour retracer cette histoire ?
S.B. : Outre les portraits des membres de la famille Farnèse par Titien, deux objets me paraissent incarner l’ambition des Farnèse et celle des Bourbons de Naples de façon spectaculaire. D’une part, la « Cassette Farnèse », un coffret de vermeil, de lapis-lazuli et de cristaux de roche gravés d’après des dessins de Perino del Vaga par Giovanni Bernardi, commandé par le cardinal Alexandre Farnèse et réalisé par Manno di Bastiano Sbarri, un élève de Benvenuto Cellini. Ce coffret compte parmi les productions les plus virtuoses de l’orfèvrerie du XVIe siècle italien et résume la stratégie du luxe et de l’art mise en œuvre par les Farnèse qui, du petit duché de Parme, sont devenus l’une des plus grandes familles européennes. Autre pièce remarquable, La Chute des géants due au sculpteur Filippo Tagliolini. Ce véritable chef-d’œuvre est le plus grand biscuit jamais réalisé par une manufacture de porcelaine au XVIIIe siècle. Cette pièce incroyable et particulièrement fragile illustre l’alliance de l’inspiration antique, très vive à Naples, et d’une sensibilité presque baroque que l’on trouve dans les plafonds des Carrache au palais Farnèse à Rome. Elle quitte pour la première fois le musée de Capodimonte pour venir au Louvre.
![Manno Sbari et Giovanni Bernardi (1494-1553), Perino del Vaga (1501-1547) (dessin), coffret dit « Cassette Farnèse » [Il Cofanetto Farnese], 1548-61. Argent doré, gaufré et ciselé, cristal de roche sculpté, émail et lapis-lazuli, 42,3 x 26 x 23,5 cm. Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte. Photo service de presse. © Per gentile concessione del MIC – Ministero della Cultura, Museo e Real Bosco di Capodimonte](https://www.actu-culture.com/wp-content/uploads/2023/06/10.-Cofanetto-Farnese.-Museo-e-Real-Bosco-di-Capodimonte.-Per-gentile-concessione-del-MIC-Ministero-della-Cultura-Museo-e-Real-Bosco-di-Capodimonte-scaled.jpg)

Entretien à retrouver en intégralité dans :
Dossiers de l’Art n° 309
Le musée de Capodimonte s’invite au musée du Louvre
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com
« Naples à Paris. Le Louvre invite le musée de Capodimonte »
Jusqu’au 8 janvier 2024 au musée du Louvre
99 rue de Rivoli, 75001 Paris
Tél. 01 40 20 53 17
www.louvre.fr
Catalogue, coédition Gallimard / musée du Louvre éditions, 320 p., 42 €.