
Dans le numéro de février 2022 (Archéologia n° 606), nous vous racontions le retour de l’ensemble funéraire égyptien de Neskafâa dans « son » musée de Picardie à Amiens, après plusieurs mois de restauration et d’étude au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Cette année, c’est celui de Setjaimengaou, et sa momie, qui sont revenus après un an d’absence. Ce retour à domicile est célébré par une exposition nous dévoilant quelques avancées majeures sur ces œuvres insignes, comme nous l’explique Agathe Jagerschmidt-Séguin, conservatrice du patrimoine, responsable des collections archéologiques du musée de Picardie.
Propos recueillis par Éléonore Fournié.
Qui est Setjaimengaou, la momie icône du musée de Picardie ?
Setjaimengaou est une femme ayant vécu au VIIe siècle avant notre ère. Sa momie et ses deux cercueils sont acquis en 1839 par la Société des antiquaires de Picardie et la ville d’Amiens pour le futur musée. Fragilisé et encrassé par le temps, cet ensemble funéraire a fait l’objet de consolidations, d’un minutieux nettoyage pour les cercueils et d’un dépoussiérage pour la momie, très fragile notamment au niveau des pieds, conduits dans le plus grand respect des différents matériaux et en particulier du corps de la défunte. La batterie d’analyses menées au C2RMF ainsi que le travail des restaurateurs ont permis de comprendre de nombreux éléments qui sont présentés dans l’exposition sous forme de bandes dessinées très didactiques. Des dossiers documentaires sont par ailleurs à disposition de ceux qui souhaiteraient en savoir plus.

Quels sont ces nouveaux éléments ?
Ils sont très nombreux ! Nous écrivions que la momie est très grande – et c’est vrai, elle mesure 1,74 mètres – mais les restaurateurs se sont aperçus grâce aux radios et aux mesures des os des jambes que Setjaimengaou elle-même était plus petite – autour d’1,53 mètres. Sa momie a été abîmée et distendue, soit lors de la momification, soit lors du débandelettage. De même, concernant son âge, on pensait qu’elle avait environ 40 ans ; or elle serait plus jeune, une trentaine d’années. Le travail des restaurateurs sur les textiles a également été très fructueux : certaines pièces ont été repositionnées, notamment sur la tête. Nous écrivions qu’elle portait un petit « bonnet » sur les jambes ; or ce textile a été déplié : c’est un grand rectangle qui porte une inscription propitiatoire en hiéroglyphes, peut-être le sceau d’un embaumeur. Enfin, l’étude des différents tissus entourant la momie a permis de reconstituer les couches qui la composaient et aide à comprendre le processus de momification. Nous sommes par ailleurs parvenus à retracer un peu l’histoire du cercueil, en particulier lors de son pillage : le bois présente des traces de pied de biche dues à l’ouverture (violente) du couvercle ; un côté du cercueil interne a été arraché à ce moment-là, même si tout cela a été camouflé lors de la vente de 1839. Les analyses menées sur les bois des cercueils ont permis de déterminer leur essence (figuier sycomore et acacia du Nil), les processus de leur fabrication et la manière dont ils ont vieilli.
Le 21 janvier dernier, la momie a également été passée au scanner au CHU Amiens Picardie, a connu une endoscopie et des prélèvements de parties mobiles à l’intérieur du crâne. Quels sont les résultats ?
Il y avait eu un premier scanner en 1994 qui avait déterminé le sexe de la momie. Les technologies actuelles, plus précises, nous permettent de répondre à certaines questions. Parmi elles, nous nous intéressons aux paquets présents dans le thorax (il s’agirait de linges enduits de résines, de sable, et renfermant peut-être des cristaux de natron, placés là pour redonner du volume à l’abdomen), aux stries de croissance (déjà repérées en 1994) au niveau des os longs des jambes (il pourrait s’agir d’arrêt de croissance indiquant que le sujet était plus ou moins bien alimenté ou qu’il a souffert de maladies durant son enfance ou son adolescence), ou encore à son bassin, qui porte des traces de fractures (liés à des accouchements traumatiques ou à un traumatisme). Grâce à un prélèvement dans la calotte crânienne, nous espérons pouvoir identifier la nature de la matière blanche que l’on observe à l’endoscopie. Enfin, nous savons que la personne momifiée a souffert d’une carie et a perdu une dent de son vivant.

Ces nouvelles données ont été complétées par de précieuses découvertes en archives...
Tout à fait ! Nous avons pu retrouver, dans les archives de la Société des antiquaires de Picardie, trace des débats sur l’opportunité de l’achat de cette momie auprès du marchand (en pleine égyptomanie du début du XIXe siècle, c’est une pièce que tous les musées veulent pour leur collection). Mais contrairement à ce que l’on pensait, elle est arrivée complète et c’est la Société des antiquaires qui l’a débandelettée pour récupérer d’éventuels bijoux et fragments de papyrus – débandelettage qui, nous l’apprenons indirectement, aurait été très décevant pour les membres de la Société, qui n’ont pas découvert les richesses escomptées… Le fait que la momie soit parvenue avec ses bandelettes montre que ses yeux n’ont pas été placés au XIXe siècle. Les analyses du C2RMF indiquent qu’ils ont été rajoutés lors de la momification, selon un procédé documenté à cette époque (XXVe et XXVIe dynasties), et qu’ils sont en albâtre égyptien et en obsidienne.
Concernant Nesskafâa, avez-vous fait de nouvelles découvertes depuis l’année dernière ?
Oui ! En décembre dernier, nous avons complètement par hasard (et par déduction) retrouvé le visage du couvercle du cercueil extérieur de ce grand prêtre d’Amon, de la XXIe dynastie, qui vécut aux alentours de 1096-945 avant notre ère (pour lequel nous avons le cercueil et la plaque de momie, mais pas la momie). Ce visage était exposé depuis toujours mais jusqu’à présent nous n’avions pas fait le rapprochement entre le couvercle et ce visage orphelin ! Nous ne savons toutefois pas quand ils ont été séparés l’un de l’autre.
Comment la momie est-elle désormais présentée ?
Cela a fait l’objet d’une longue réflexion. Nous devions combiner contrainte technique, respect du défunt et souhait du public. Le choix a été fait de présenter l’ensemble funéraire en couches superposées, le cercueil externe en haut et en bas, le cercueil interne au milieu et la momie au centre. Elle n’est plus présentée frontalement mais de profil. On peut ainsi à la fois mieux la voir et observer ses bandelettes, en évitant le face-à-face qui était proposé jusqu’à présent.
Musée de Picardie
2 rue Puvis de Chavannes, 80000 Amiens
Tél. 03 22 97 14 00
www.museedepicardie.fr