
Un ouvrage somptueux paru en juin dernier aux éditions Cohen&Cohen propose de (re)découvrir l’œuvre du maître du symbolisme à la lumière d’une documentation inédite.
Son origine remonte à 2016, lorsque les ayants droit du grand collectionneur d’Odilon Redon, Gustave Fayet, et de la petite-fille de ce dernier, l’éminente conservatrice Roseline Bacou, décédée en 2013, ont progressivement ouvert les archives du peintre à la communauté scientifique, avec l’idée de favoriser la diffusion à un large public des recherches qui seraient dès lors menées. C’était tout un continent qui s’ouvrait, d’autant plus précieux qu’en dépit de la publication d’une maigre portion de la correspondance de l’artiste, le secret sur Odilon Redon avait été bien gardé, par Redon lui-même (« Pour ce qui est de moi, je détourne habituellement ma pensée de ma genèse endolorie », disait-il) et par ses admirateurs après lui. Or Redon était un homme d’archives, et son travail à bien des égards un incessant retour sur des souvenirs, des notes, des œuvres passées. Six années de recherches plus tard, la tâche à mener est encore immense, mais des études approfondies ont déjà été conduites. S’éclairant les unes les autres (par leur diversité même), elles justifient ce premier projet de publication, où sont par ailleurs impeccablement reproduites les nombreuses œuvres mentionnées dans les documents. Dans les limites qu’il se propose et qu’il assume, cet ensemble est tout simplement passionnant et s’adjoint en outre trois carnets de dessins inédits (portant à neuf le nombre de carnets connus).

Lumière sur les vingts premières années de l’œuvre
En particulier, les vingt premières années de la carrière d’Odilon Redon, des premiers envois au Salon jusqu’à la fin des années 1880, paraissent sous un jour nouveau à la lumière de la correspondance familiale du peintre, des liens du jeune artiste avec le domaine de Peyrelebade où il créa une grande partie de ses « noirs », des cercles de sociabilité fréquentés par Redon rive gauche, entre 1872 et 1885 (où de cafés en salons on partage, plus encore que les lectures, l’écoute des compositeurs romantiques allemands), sans compter l’analyse fort instructive des œuvres qui n’eurent pas l’honneur d’être acceptées au Salon, où l’artiste fut « copieusement refusé » – un arrière-plan essentiel, émouvant aussi, des années où il murissait patiemment son art. Les lettres échangées avec ses frères sont extraordinaires – celle de Gaston par exemple, où il mentionne Le Jeune Homme et la Mort de Moreau, qu’il a vu présenté par la Société des amis des arts de Bordeaux, accompagnant son commentaire d’un croquis du tableau ; celle encore où Odilon fait part de sa joie d’avoir été « jugé de manière toute neuve » par Huysmans à son frère aîné, Ernest, talentueux pianiste qui collectionna et diffusa les gravures de Redon jusque dans les années 1890. Dans un chapitre réunissant des documents touchant aux imprimeurs, encadreurs et autres marchands de Redon, on découvre parmi bien des curiosités, non loin de sa reproduction, un cliché de 1904 montrant l’éblouissante Barque accrochée chez Andries Bonger. Quant aux carnets et dessins inédits, ils fascinent non seulement parce qu’ils le sont, mais aussi parce qu’on y découvre par exemple des copies par le jeune artiste de dessins de la Renaissance du Louvre qui témoignent du renouvellement de l’accrochage au musée en 1866, ou encore des études de composition à la sanguine sans doute inspirées de Corot, lequel fut pour Redon très tôt un modèle. Ce ne sont là que quelques merveilles réunies dans cet ouvrage de haute tenue. Les lecteurs passionnés par la vie culturelle européenne de l’époque liront parallèlement la correspondance complète (soit quelque 300 lettres) d’Odilon Redon avec Andries Bonger, qui fut, plus que le collectionneur et mécène du peintre, son grand ami hollandais et fin amateur d’art. Elle est parue en mars dernier chez le même éditeur.
Armelle Fayol

Redon retrouvé. Œuvres et documents inédits sous la direction de Dario Gamboni, Laurent Houssais et Pierre Pinchon, 480 p., 300 ill., 95 €

Sans adieu. Andries Bonger – Odilon Redon. Correspondance 1894-1916 sous la direction de Merel van Tilburg et Dario Gamboni, 872 p., 274 ill., 85 €

À retrouver dans :
Dossiers de l’Art n° 301
Edvard Munch « un poème de vie, d’amour et de mort »
82 p., 9,90 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com