L’acquisition et la restauration récente par la cathédrale Notre-Dame de Paris de l’esquisse du May de 1706 peint par Pierre Jacques Cazes (1676-1754) a permis d’en apprendre davantage sur la technique de cet artiste méconnu qui fut pourtant le maître de Chardin et l’un des peintres d’histoire les plus prolifiques du début du XVIIIe siècle.
De 1630 à 1707, tous les ans au mois de mai, le corps des orfèvres de Paris regroupé dans la confrérie de Sainte-Anne et de Saint-Marcel offrait à la mère de la Vierge, sa protectrice, un grand tableau votif pour orner les piliers de la cathédrale Notre-Dame. Cet ensemble de tableaux appelés « Mays » fut démembré à la Révolution et dispersé à travers la France au cours du XIXe siècle.
Un épisode de l’Évangile de saint Matthieu
Fin 1705, alors que la confrérie supportait de plus en plus mal ce don annuel, qui pesait désormais sur elle comme une obligation, les orfèvres Jacques Le Nattier et Jean Le Bastier commandèrent à Pierre Jacques Cazes une toile ayant pour sujet un épisode miraculeux de l’Évangile de saint Matthieu : Le Christ guérissant l’hémorroïsse. Âgé de 30 ans, l’artiste venait de s’établir rue Neuve-Saint-Eustache après sa réception à l’Académie en 1703 et son mariage avantageux avec Reine Geneviève Joran en 1704. Cazes savait l’opportunité que représentait ce tableau pour établir sa réputation auprès du public et des commanditaires. C’est sans doute d’ailleurs pour élaborer cette grande composition, aujourd’hui conservée dans les réserves du musée des Beaux-Arts d’Arras, qu’il fut absent durant les vingt-cinq séances de l’Académie de l’année 1705.
La redécouverte de l’esquisse
Avant d’exécuter son May, Cazes dut d’abord faire approuver sa composition par le chanoine Jean Passart en présentant une esquisse. Cette dernière était considérée comme perdue et seules deux réductions du tableau avaient été redécouvertes en 2017 par Nicolas Lesur et publiées en 2021 par Delphine Bastet dans sa monographie consacrée aux Mays : l’une comme une réplique autographe destinée à l’un des deux orfèvres donateurs, l’autre comme une copie d’atelier. Suite à cette publication, un nouveau tableau fut identifié dans une collection particulière. Achetée en juin 1986 sur le marché de l’art parisien sous une attribution à Jean-François de Troy, l’œuvre a été généreusement offerte par ses propriétaires à la cathédrale Notre-Dame en novembre 2021. À cette date, la nature du tableau fortement endommagé restait à définir : était-ce le modello validé par le chanoine ou un second ricordo ? Tout en redonnant son entière lisibilité à l’œuvre, la restauration minutieuse menée – grâce au soutien de la fondation Friends of Notre-Dame de Paris – par l’atelier Arcanes au cours de l’année 2022 a permis de répondre à cette question.
Les enseignements de la restauration
L’allègement des anciens vernis a d’abord mis en évidence les repentirs observables avant la restauration sur les mains gauches du saint Pierre et de l’hémorroïsse ainsi qu’au niveau de la sandale du Christ. L’analyse avant nettoyage a également permis de découvrir des craquelures prématurées au niveau de la tunique de la malade guérie par le Christ. Autant d’indices d’une exécution rapide mais soucieuse des détails de composition. Débarrassée des chancis et des effets uniformisant des vernis, la toile révèle un style bien plus enlevé que les deux réductions déjà connues. Les témoins du miracle placés dans l’ombre à gauche sont rendus par quelques touches allusives sur la préparation ocre rouge de la toile laissée en réserve. Cette économie de moyens et les différents accidents de surface laissent présager une réalisation hâtive probablement en vue de la présentation de la toile aux commanditaires. Ainsi, malgré son format inhabituel pour une esquisse de May, cette toile paraît être le modello du Christ guérissant l’hémorroïsse, l’une des compositions les plus ambitieuses de l’artiste et les plus appréciées de son vivant, comme en témoignent les nombreux éloges qu’elle reçut et son emplacement privilégié dans la croisée de la cathédrale durant le XVIIIe siècle. D’après Dezallier d’Argenville, biographe et ami du peintre, c’est à la suite de la présentation de ce tableau que son « école devint nombreuse1 ». Aux côtés du ricordo du May de 1649 d’Eustache Le Sueur et de la copie d’atelier de celui peint par Jean Jouvenet en 1673, ce petit tableau, précieux témoignage du May de 1706 aujourd’hui fortement abîmé, permettra d’évoquer à la fois les débuts de Cazes comme peintre d’histoire mais également la naissance de son atelier, où se formèrent notamment François Lemoyne, Robert de Séry et Jean Siméon Chardin.
Enzo Menuge
1 Dezallier d’Argenville, 1762, t. IV, p. 398.
Article à retrouver dans :
Dossiers de l’Art n° 305
Vermeer, dernières découvertes autour du « sphinx de Delft »
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