Les profondeurs de la Terre inquiètent et fascinent depuis des millénaires. Démonstration au Louvre-Lens, qui révèle l’ambivalence de ces mondes souterrains, associés tantôt aux ténèbres et à la mort, tantôt à la lumière et à la vie. Parmi les prêts exceptionnels de cette vaste exposition figure Nymphées, une grotte monumentale et enchanteresse, conçue en 2022 par Eva Jospin, artiste dont l’actualité est décidément chargée puisqu’elle sera bientôt accueillie en majesté dans l’orangerie du château de Versailles.
Découpé, taillé, façonné, le carton est le matériau fétiche d’Eva Jospin. Peu onéreux, abondant, léger, il présente de multiples atouts pour une artiste qui, comme elle, apprécie la monumentalité. Depuis La Forêt, qui l’a révélée au grand public voici une douzaine d’années, cette ancienne élève des Beaux-Arts aujourd’hui âgée de 49 ans ne se lasse pas de le plier, coller, assembler, pour mieux le métamorphoser. Les spectateurs s’y laissent prendre, peinant à reconnaître dans les multiples raffinements de ses constructions ce matériau industriel, pauvre et sans éclat.
Ciselé comme de la dentelle
Dans Nymphées, l’illusion opère une fois de plus, et le carton ondulé suggère tantôt l’aspect brut des concrétions rocheuses, tantôt les formes harmonieuses et symétriques des décors architecturaux du passé (colonnes, niches…). Travaillé avec précision, ciselé comme de la dentelle, il est enrichi çà et là d’incrustations de coquillages, notes ornementales et colorées qui parent sa surface monochrome d’une préciosité inattendue. Cet effet est encore sublimé par les jeux de lumière, qui apportent une dimension féerique à cette grotte artificielle de plus de cinq mètres de haut, héritière des nymphées de l’Antiquité ou de la Renaissance.
Une œuvre féérique et théâtrale
« Eva Jospin entretient un lien étroit avec le monde naturel, sylvestre ou souterrain, et nous avons été très heureux qu’elle nous prête cette œuvre, idéale pour illustrer la seconde partie de notre propos : les grottes enchanteresses, sièges de l’amour et du merveilleux », explique Alexandre Estaquet-Legrand, directeur du Mudo-musée de l’Oise, et l’un des commissaires de l’exposition « Mondes souterrains » au Louvre-Lens. Après avoir plongé dans les replis obscurs des grottes et de l’imaginaire humain, avoir frôlé la mort, les flammes de l’Enfer et les châtiments de créatures tapies dans les ténèbres, le visiteur est en effet appelé vers des cavités plus clémentes : celles des nymphes et autres divinités bienveillantes, qui inspirent aux puissants et aux princes, à partir de l’Antiquité, des grottes de fantaisie, intégrées dans leur palais ou nichées dans leurs jardins. Un univers fantastique qui a enflammé l’imagination des artistes… jusqu’à nos jours.
Traverser l’œuvre
« L’œuvre d’Eva Jospin associe l’Eau et la Terre, le végétal et le minéral, la Vie et la Mort. Elle offre une synthèse subtile, et en même temps théâtrale, de notre thématique. Avec Nymphées, on pénètre dans la dualité du monde souterrain », souligne Alexandre Estaquet-Legrand. Et ce n’est pas qu’au sens figuré ! Alors qu’au Palais des papes d’Avignon, où
elle a été présentée jusqu’en janvier 2024, il était impossible de s’aventurer à l’intérieur de l’œuvre, à Lens, on vous invite à la traverser.
Eva Bensard
Article à retrouver dans :
Dossiers de l’Art n° 318
Marie-Antoinette au Petit Trianon
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com
« Mondes souterrains. 20 000 lieux sous la terre »
Jusqu’au 22 juillet 2024 au Louvre-Lens
99 rue Paul Bert, 62300 Lens
Tél. 03 21 18 62 62
www.louvrelens.fr