Les Étrusques en France, une mise au point archéologique (2/4). Rayonnement du banquet étrusque

Pièces en bronze étrusques de la tombe princière de Vix : bassin à anses d’Étrurie tyrrhénienne centrale (Vulci), vers 500 avant notre ère. Châtillon-sur-Seine, musée du Pays Châtillonnais - Trésor de Vix. © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau
La présence étrusque est bien connue en Italie. Mais qu’en est-il de la France ? Situé au carrefour de deux grands itinéraires terrestres et maritimes, entre la péninsule Italique, l’Europe tempérée et le nord-ouest de la Méditerranée, notre territoire est celui qui, en dehors de l’Italie, a livré le plus grand nombre de données sur les relations commerciales, culturelles et politiques avec l’Étrurie entre le VIIIe et le IVe siècle avant notre ère. Qui étaient ces Étrusques ? Quand, pourquoi et selon quelles modalités se sont-ils installés sur le pourtour méditerranéen provençal et languedocien ? De récentes opérations de fouilles livrent aujourd’hui d’importants éléments de réponse.

Reconstitution d'un quartier du village de Brigue-Glis (Valais) vers 600 avant notre ère. © Musées cantonaux du Valais, Sion. Dessin André Huot
À partir du début de l’époque orientalisante, à la fin du VIIIe et au début du VIIe siècle avant notre ère, les grandes villes étrusques deviennent les pôles de rayonnement des usages aristocratiques méditerranéens vers le nord. Elles intègrent à la culture villanovienne préexistante les principaux traits de l’idéologie royale orientale, qui se marque par de nouvelles formes de consommation cérémonielle de la boisson alcoolisée.
De la Méditerranée au centre de l’Europe
L’est de la France constitue, encore une fois, l’extension nord-occidentale maximale de cette nouvelle culture aristocratique. Dans les riches tombes à épée hallstattiennes sous tumulus de la Bourgogne (Poiseul-la-Ville) et de l’Alsace (Appenwihr), on a ainsi trouvé des phiales (coupe sans pied ni anse d’origine orientale) godronnées importées de Vétulonia en Étrurie septentrionale, qui reproduisent un modèle assyrien et qui sont associées à d’autres types de vases métalliques produits en Italie du Nord. Dans la tombe d’Andone en Charente, l’épée hallstattienne côtoie une hache à douille étrusque, probablement utilisée pour le sacrifice animal.
« Aux époques archaïque et classique, la vaisselle métallique étrusque accompagnait régulièrement le banquet aristocratique occidental. »
Par la suite, aux époques archaïque et classique, la vaisselle métallique étrusque accompagne régulièrement le banquet aristocratique occidental. Les découvertes les plus nombreuses proviennent des tombes à char de l’Allemagne du Sud, comme celles de Vilsingen et de la Heuneburg dans la vallée du Danube. Dans l’est de la France, diverses trouvailles isolées documentent une phase mal connue (celle des deux premiers tiers du VIe siècle avant notre ère) de la production étrusque de vaisselle métallique. On connaît ainsi, dans un petit nombre de dépôts métalliques, de tombes et de trouvailles fluviales, une forme très particulière de seau tronconique en bronze à anse en fer caractéristique des ateliers de Volsinies (l’actuelle Orvieto) en Étrurie interne. Ainsi cette situle en bronze contenait-elle des fragments de lingots, de bracelets et d’anneaux de jambe et de haches récoltés dans le centre et le sud de la France.

Dépôt de fragments de bronze de Roque-Courbe à Saint-Saturnin (Hérault), première moitié du VIᵉ siècle avant notre ère. © Élaboration S. Verger d’après D. Garcia
Une inscription en étrusque archaïque
Il s’agit de la plus ancienne inscription en langue celtique gravée au nord des Alpes. Elle utilise des caractères de l’alphabet étrusque archaïque transmis par l’intermédiaire de la culture de Golasecca du nord-ouest de l’Italie. Les quatre lettres forment sans doute l’abréviation d’un nom personnel gaulois : Brixios, Brixia ou Brixianos. Brixia était par ailleurs le nom celtique de l’actuelle ville de Brescia en Lombardie.

Fragment de coupe en céramique locale inscrite de Montmorot (Jura), première moitié du VIᵉ siècle avant notre ère. © David Vuillermoz, Musées de Lons-le-Saunier
Le cas de la tombe de Vix
La tombe princière de Vix, qui conserve quatre vases en bronze étrusques associés au grand cratère grec, permet d’entrevoir la complexité des relations entre les grands centres de l’Étrurie ainsi que la transformation des réseaux d’échange entre l’Italie centrale et le domaine nord-alpin à la fin de l’époque archaïque. Les objets qui forment le mobilier funéraire couvrent deux générations, de 530 à 480 avant notre ère environ. À la première génération appartient un grand bassin fabriqué dans l’un des meilleurs ateliers de l’Étrurie interne. Avant d’arriver en Bourgogne, il a suivi un itinéraire qui longeait la côte adriatique, remontait la vallée du Pô et traversait les Alpes par un col occidental. À la seconde génération, on voit apparaître les plus anciens vases du nouveau centre producteur de Vulci, qui, à partir de la fin du VIe siècle avant notre ère, exportait vers le nord des vases fabriqués en série, à travers l’Étrurie tyrrhénienne et par l’intermédiaire de la culture de Golasecca (en Lombardie et dans le Piémont). Les ressources nécessaires à cette production devaient être connues par les Grecs de Sicile et d’Italie du Sud et par les Étrusques tyrrhéniens dès la seconde moitié du VIIe siècle avant notre ère. Elles expliquent en partie les premières navigations qu’ils effectuèrent à cette époque vers les côtes du Sud de la France.

Carte des grands districts métallifères du Massif Central potentiellement exploités au Iᵉʳ millénaire avant notre ère. © Élaboration P. Ambert, M. Laroche, B. Cauuet ; DAO LabEx TransferS
La vaisselle de Vulci, un succès d’exportation
Pendant tout le Ve siècle avant notre ère, les ateliers de Vulci, en Étrurie centrale, semblent avoir bénéficié d’une sorte de monopole de l’exportation des vases de banquet en bronze. C’est à Bourges que l’on en a retrouvé la plus grande concentration.
Ces vases consistent en de cruches à long bec (que l’on retrouve dans les tombes à char de la Champagne dans la seconde moitié du Ve siècle) mais aussi des vases pour la distribution du vin parmi les convives (les « situles stamnoïdes ») – qui servent d’urne cinéraire dans les tombes de personnages éminents de la Bourgogne et du Berry, selon un usage funéraire emprunté aux élites nord-italiques dans la première moitié du Ve siècle. Les vases en bronze étrusque de Vulci sont décorés de compositions végétales, source d’inspiration pour les premières compositions ornementales celtiques, apparues vers le milieu du Ve siècle dans l’ouest de l’Allemagne. Dans le nord-est de la France, le premier art celtique est essentiellement composé de motifs géométriques à base de cercles entrecroisés. S’il semble réfractaire aux ornementations figurées d’origine méditerranéenne, il laisse transparaître des motifs d’inspiration étrusque sur certains objets du vêtement, comme sur les plaques de ceinture qui reproduisent des fleurs de lotus ou des palmettes associées à des volutes.
La situation privilégiée de Bourges
En France, la plus grande concentration de ces vases métalliques de Vulci se trouve autour de la grande agglomération protohistorique de Bourges. C’était l’un des plus grands centres urbains nord-alpins du Ve siècle avant notre ère, qui rivalisait avec les centres « princiers » de l’Allemagne du Sud et de la France de l’Est et qui survécut un temps à la crise qui toucha ces derniers dans la première moitié du Ve siècle. Bourges – l’Avaricum de l’époque de la Guerre des Gaules – comportait des quartiers artisanaux très étendus et entretenait des relations régulières avec les agglomérations indigènes et grecques du sud de la France. Y ont été retrouvés de nombreux fragments de céramiques grecques et d’amphores de transport du vin grec de Marseille. C’est sans doute ce rôle d’intermédiaire entre la Méditerranée nord-occidentale et le nouveau monde celtique qui explique la prospérité et la longévité de Bourges, l’une des plus anciennes villes de France.

Pièces en bronze étrusques de la tombe princière de Vix : cruche de type Schnabelkanne d’Étrurie tyrrhénienne centrale (Vulci), vers 500 avant notre ère. Châtillon-sur-Seine, musée du Pays Châtillonnais – Trésor de Vix. © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau
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