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Archéologie extra-terrestre : naissance pragmatique d’une nouvelle science du ciel

Emplacement d’un échantillon del’expérience SQuARE, dans la zone de travail de maintenance tribord de la Station spatiale internationale.

Emplacement d’un échantillon del’expérience SQuARE, dans la zone de travail de maintenance tribord de la Station spatiale internationale. © NASA, ISSAP

« Archéologie extra-terrestre » : l’expression pourrait faire sourire. S’agirait-il d’explorer avec les outils scientifiques les vestiges laissés par le passage d’E.T. et de ses comparses, que ce soit lors de la construction des pyramides d’Égypte ou du tracé des lignes de Nazca au Pérou ? Non, bien entendu… Loin des fantaisies romanesques et complotistes, l’archéologie extra-terrestre s’intéresse plutôt aux traces laissées par les humains à distance de « la planète bleue ».

D’abord sur la Lune (où sont restés des artefacts réalisés par la main humaine, mais aussi des empreintes du passage des différentes missions Apollo) et dans la thermosphère (où gravitent de nombreux satellites artificiels), voire même dans l’espace profond, presque aux confins du système solaire, avec les deux sondes Voyager qui constituent les objets humains les plus éloignés de leurs créateurs.

Empreinte de pas d’homme sur la Lune.

Empreinte de pas d’homme sur la Lune. © DR

Une histoire objective de la conquête spatiale

C’est l’histoire objective (et matérielle) de la conquête spatiale, fruit audacieux des enjeux stratégiques et scientifiques de notre espèce (mais aussi de ses rêves d’aller plus loin !), qu’il serait possible de réécrire en travaillant sur cette « archéologie de l’espace ». Comme le soulignait Dominique Garcia, « le récit de cette aventure a été, comme souvent ailleurs dans l’histoire, écrit par les conquérants eux-mêmes. Beaucoup de points restent à vérifier ». Pour le président de l’Inrap, ce concept permettrait de « poursuivre l’écriture d’une histoire de l’humanité sur la longue durée : ses permanences et ses désirs d’ailleurs (continents ou planètes inconnus), ses audaces et ses prises de risques… : comprendre que le principal trait d’union entre l’humanité d’hier et celle de demain est l’envie de “franchir des frontières”, de progresser et de rêver ».

Première étude archéologique de terrain dans l’espace

Ensuite, plus près de nous, dans la Station spatiale internationale (ISS), de récentes investigations, menées sous la direction des université Flinders (Australie) et Chapman (USA), s’intéressent à l’archéologie du passé hyper-récent. Entre janvier et mars 2022, l’équipage de l’ISS, sous la conduite de deux chercheurs (Alice Gorman et Justin Walsh), a en effet réalisé la première étude archéologique de terrain dans l’espace : l’expérience SQuARE (pour Sampling Quadrangle Assemblages Research Experiment). Absolument innovante, elle visait à quatre buts bien différents : en utilisant des données issues de l’observation de la culture matérielle dans l’ISS, améliorer notre compréhension de l’adaptation humaine dans un contexte environnemental auquel notre espèce n’est a priori pas adaptée sur le plan évolutif ; identifier les disjonctions entre l’utilisation prévue et réelle (finale) des installations d’une station spatiale (sens et application des artefacts) ; développer et tester, de façon expérimentale, des techniques nouvelles et adaptées permettant la recherche archéologique à distance ; et enfin démontrer la pertinence des méthodes et perspectives des sciences sociales pour améliorer la vie dans l’espace (l’archéologie au service des vivants).

Réinventer la pratique d’échantillonnage classique

Dans un récent article scientifique, ils ont livré les premiers résultats de leurs investigations, décrivant notamment leur méthodologie, qui a réinventé de manière créative la pratique d’échantillonnage classique (pelle, truelle). L’équipage de l’ISS a ainsi délimité six emplacements d’échantillonnage (nos « carrés de fouilles ») dans divers sites significatifs de l’ISS (zones de vie – sport et toilettes –, de stockage, de passage) et les a documentés par des clichés quotidiens pendant 60 jours. À l’aide de photographies et d’un outil web innovant, ils ont ainsi identifié 5 438 occurrences d’objets au sein de deux « carrés », les ont classés par type et par fonction, puis ont effectué des analyses chronologiques pour déterminer l’utilisation réelle des zones documentées. Leurs résultats montrent des différences notables entre l’utilisation prévue et l’utilisation réelle, le stockage étant la fonction la plus courante de la zone d’entretien, tandis que les activités d’hygiène personnelle sont plus fréquentes dans une zone non désignée, à proximité des lieux d’exercice et de collecte des déchets.

« Carré de fouilles » 05 sur la paroi arrière du module Node 3 de la Station spatiale internationale.

« Carré de fouilles » 05 sur la paroi arrière du module Node 3 de la Station spatiale internationale. © NASA, ISSAP

Des intermédiaires non spécialistes

Voilà des conclusions que l’on pourrait trouver après l’étude du matériel en post-fouilles à l’occasion du dégagement de zones mal étiquetées d’un habitat de l’Âge du fer ou du haut Moyen Âge. À cette différence près que la technique d’investigation est radicalement différente (relevés photographiques successifs, puis interrogatoires, c’est-à-dire une archéologie non pas à rebours – rétrospective –, mais au contraire prospective), qu’il n’existe pas à proprement parler de phénomène de sédimentation (pas de substrat organique de dégradation des activités humaines)… et que les archéologues ne sont pas allés sur place mais ont travaillé avec des intermédiaires non spécialistes.

Anthropologie des techniques

La question est aussi anthropologique : de quelle archéologie s’agit-il ? Nous ne sommes pas loin d’André Leroi-Gourhan, dans la réflexion matérielle autour du sens et de l’application des objets manufacturés par l’espèce humaine, a fortiori loin du lieu de création premier (la surface terrestre). Cette anthropologie des techniques trouve ici une application stricte à près de 415 km d’altitude, dans une structure de 109 x 73 m, en vase quasi clos (sauf vaisseaux ravitailleurs et poubelles). Le problème qui va se poser dans l’avenir est celui de la datation des objets et des faits, le temps ne s’écoulant pas exactement de la même façon sur Terre et à distance…

Pour aller plus loin
DEMOULE J.-P., 2022, « L’archéologie extraterrestre », dans Archéologia no 610, Dijon, éditions Faton, p. 8-9.
https://www.linkedin.com/posts/dominique-garcia-5801961a_archéologie-et-conquête-spatiale-quelques-activity-7216110646260576257-ZWyi/
https://issarchaeology.org
WALSH J. S. P., GRAHAM S., GORMAN A. C., BROUSSEAU C., ABDULLAH S., 2024, « Archaeology in space: the Sampling Quadrangle Assemblages Research Experiment (SQuARE) on the International Space Station. Report 1: squares 03 and 05 », PLoS One, 19(8), e0304229. Doi : 10.1371/journal.pone.0304229
LEROI-GOURHAN A., 1943, L’homme et la matière. Évolution et technique, Paris, Albin Michel.