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Toulouse-Lautrec à Albi : cinq clés pour percer les secrets de ses affiches

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Divan Japonais (détail après restauration), 1892. Lithographie, 81,7 x 60,8 cm.

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Divan Japonais (détail après restauration), 1892. Lithographie, 81,7 x 60,8 cm. © cliché F. Pons, musée Toulouse-Lautrec, Albi

En seulement trente-et-une affiches imaginées entre 1891 et 1900, Henri de Toulouse-Lautrec a de toute évidence contribué à hisser l’affiche au rang d’œuvre d’art. Alors que le musée d’Orsay célèbre actuellement l’extraordinaire essor de l’affiche illustrée au tournant du XXe siècle, le musée portant son nom à Albi, qui est l’un des rares à conserver l’intégralité de ses affiches, a choisi de les restaurer et de les présenter pour la toute première fois au public. Une exposition-événement accompagnée d’un catalogue qui fera date.

Après la mort prématurée de son fils, la comtesse de Toulouse-Lautrec propose en vain de faire don du fonds d’atelier d’Henri au musée du Luxembourg, une aubaine pour Albi qui devient en 1922 l’heureuse propriétaire de cette exceptionnelle collection révélant sous toutes ses facettes le talent de l’enfant du pays.

« Personne ne reverra plus le prodige qu’aura fait éclater, sur les murs de Paris, à la fin du siècle dernier, l’apparition des affiches de Lautrec. »

Thadée Natanson, Un Henri de Toulouse-Lautrec, Genève, Pierre Cailler, 1951. 

La Belle Époque à l’affiche

La jeune directrice du musée, Fanny Girard, a pu y puiser avec bonheur gravures, esquisses et travaux préparatoires afin de concocter un passionnant parcours ponctué d’œuvres signées par des contemporains de Lautrec. Devenues pour la plupart emblématiques de la Belle Époque, ses affiches révèlent enfin tous leurs secrets. Une playlist est proposée à ceux qui souhaitent s’immerger pleinement dans l’ambiance de ce tournant de siècle, une vidéo retrace les dessous de la restauration et des espaces ludiques invitent petits et grands à se pencher sur la technique de la lithographie.

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Confetti. Lithographie, 57 x 44,7 cm.

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), Confetti. Lithographie, 57 x 44,7 cm. © cliché F. Pons, musée Toulouse-Lautrec, Albi

Premier coup d’éclat

C’est par l’entremise de Pierre Bonnard que l’Albigeois découvre la lithographie en 1891. En l’espace de dix ans, il en réalisera plus de 300, largement diffusées sous forme de dessins de presse, d’illustrations de livres, de partitions et d’affiches, bien sûr. Destiné à remettre en selle le Moulin Rouge, son coup d’essai est à l’évidence un coup de maître : contrairement au célèbre Jules Chéret, auquel il se mesure d’emblée, « l’enfant de Montmartre » nous propulse à l’intérieur du cabaret, à quelques pas de Valentin le désossé et de La Goulue, vedette absolue des lieux. Les contrastes puissants et les couleurs franches, comme la modernité de la composition, contribuent à son succès immédiat.

Quand l’affiche attisait les passions

Toulouse-Lautrec a su tirer parti de la vague d’affichomanie qui a traversé la décennie 1890, portée par l’émulation entre professionnels de l’affiche (Jules Chéret, Eugène Grasset) et peintres de l’avant-garde (Alfons Mucha, Théophile Steinlen). Présent en bonne place dans les expositions et publications spécialisées qui se multiplient alors, on le retrouve sans surprise au fameux Salon des cent, créé à Paris en 1894 pour promouvoir l’estampe. Pour cette affiche destinée à annoncer l’événement, Lautrec reprend une lithographie figurant une élégante rencontrée sur le paquebot Le Chili. La « lettre » est (comme bien souvent) de sa main, mais l’on sent toutefois qu’elle a été ajoutée à une composition originellement dépourvue de texte. 

De plumes et de fourrure

Bien inséré dans certains cercles intellectuels de son temps, l’artiste est sollicité par Arthur Huc, amateur d’art et directeur de La Dépêche de Toulouse, pour promouvoir deux romans-feuilletons. C’est néanmoins pour l’éclectique Revue blanche des frères Natanson que Lautrec crée l’une de ses compositions les plus appréciées. Prenant le parti de toujours représenter des individus de chair et d’os, il choisit pour modèle la belle Misia Natanson patinant. L’aplat bleu tacheté de rouge de la robe contraste avec l’exubérance des plumes d’autruche et le moelleux de la fourrure, pour lequel l’artiste utilise la technique du crachis1. La confrontation avec une étude préparatoire révèle en outre le travail de synthétisation nécessaire pour répondre aux impératifs propres à l’affiche.

L’essor de la société de consommation

En cette fin de XIXe siècle, alors qu’industrialisation rime avec consommation, l’affiche envahit les façades, kiosques et palissades pour vanter les mérites de produits en tout genre (biscuits, bicyclettes, chemins de fer, papier à cigarette). Toulouse-Lautrec excelle dans ce domaine et séduit même au-delà de l’Hexagone, comme en témoignent les commandes des Britanniques J. & E. Bella, fabricants de confettis, ou des Américains Ault & Wiborg, qui proposent des encres d’imprimerie. Il faut dire que le style de l’artiste se révèle redoutablement efficace. La lettre rouge vif et le format panoramique se conjuguent ici à une composition dynamique et à une parfaite lisibilité des plans pour célébrer les atouts de la chaîne Simpson.

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), La Chaîne Simpson, 1896. Lithographie, 124,6 x 86,9 cm.

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), La Chaîne Simpson, 1896. Lithographie, 124,6 x 86,9 cm. © cliché F. Pons, musée Toulouse-Lautrec, Albi

D’un cabaret à l’autre

Ami de longue date de Lautrec, l’impétueux Aristide Bruant ne s’y trompe pas lorsqu’il lui commande cette affiche. Mais il doit d’abord batailler pour l’imposer au directeur du café-concert des Ambassadeurs, lequel a fait réaliser en secret une composition des plus classiques conçue par l’imprimerie Charles Lévy d’après un portrait photographique. Bruant tient bon et exige de jouer, encadré par deux exemplaires de l’affiche de Lautrec dont il fait « couvrir tous les murs de Paris » ! Le journal La Vie parisienne affirme même que l’on « ne peut plus faire un pas sans en trouver en face de soi »…

« Toulouse-Lautrec et l’art de l’affiche », jusqu’au 31 août 2025 au musée Toulouse-Lautrec, palais de la Berbie, 81000 Albi. Tél. 05 63 49 48 70. www.musee-toulouse-lautrec.com

Catalogue, sous la direction de Fanny Girard, Dario Cimorelli editors, 2025, 206 p., 30 €.

1 Goutelettes d’encre projetées à l’aide d’une brosse.