Le média en ligne des Éditions Faton

La Grotte Cosquer a sa réplique terrestre

Vue extérieure de la Villa Méditerranée. L’agence de l’architecte Corinne Vezzoni a été en charge du projet « Cosquer Méditerranée » dans la Villa Méditerranée construite par l’architecte Stéphane Boeri en 2013. Ce bâtiment est doté d’une grande avancée en porte-à-faux de 40 m de long.

Vue extérieure de la Villa Méditerranée. L’agence de l’architecte Corinne Vezzoni a été en charge du projet « Cosquer Méditerranée » dans la Villa Méditerranée construite par l’architecte Stéphane Boeri en 2013. Ce bâtiment est doté d’une grande avancée en porte-à-faux de 40 m de long. © Stéphane Boeri / Région Provence-Alpes-Côte d’Azur / Michèle Clavel

Découverte dans les années 1990 par Henri Cosquer, à 37 m sous l’eau, la grotte qui porte le nom de son inventeur est un trésor de l’art pariétal paléolithique. Fréquentée vers 33 000 puis 19 000 avant notre ère, elle abrite un bestiaire peint inédit où se côtoient chevaux, bouquetins, bisons, aurochs, cerfs, pingouins et phoques ! Aujourd’hui inaccessible, elle fait l’objet d’une spectaculaire restitution abritée dans la Villa Méditerranée à Marseille. Frédéric Prades, directeur de ce nouveau site géré par la société Kléber Rossillon, explique la genèse de cet ambitieux projet.

Propos recueillis par Lucie Hoornaert

Dès le numéro 274 de décembre 1991, Archéologia mentionnait dans un article consacré à la toute récente découverte de cette grotte ornée que « l’accès au public du site pourrait se faire grâce à un fac-similé comparable à celui de Lascaux ». Il a fallu plus de 30 ans pour qu’une telle restitution voit le jour, mais c’est désormais chose faite.

En effet, depuis le 4 juin, tous les visiteurs peuvent admirer des copies des peintures, gravures et autres spéléothèmes restés accessibles aux seuls chercheurs jusqu’alors. Cela fait plusieurs années que nous travaillons sur ce projet. La société Kléber Rossillon a d’abord répondu à un appel d’offre de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour proposer sa version de la grotte Cosquer dans la Villa Méditerranée. Puis est venu le temps de la conception et de la réalisation de l’ensemble dans toute sa complexité, puisqu’il s’agissait de faire entrer une grotte préhistorique dans un bâtiment très contemporain, qui n’avait pas été initialement conçu pour cela.

Pourquoi ce lieu ?

Il a été choisi par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui souhaitait, d’une part, faire découvrir au public cette grotte merveilleuse, complètement inaccessible et surtout menacée de disparition à moyen terme en raison de la montée des eaux, et, d’autre part, investir la Villa Méditerranée, un vaste espace disponible qui n’avait pas encore trouvé sa vocation auprès du grand public. Fort de ces deux constats, le projet de la grotte Cosquer dans ce bâtiment s’est imposé assez naturellement. Il faut enfin ajouter que le site originel se trouve à quelques kilomètres à peine de la Villa, dans les Calanques.

Cosquer Méditerranée en cours de construction.

Cosquer Méditerranée en cours de construction. © Kléber Rossillon & Région Provence-Alpes-Côte d’Azur / Sources 3D MC / Eiffage Thierry Lavernos

Découverte d’une grotte préhistorique sous la mer

L’aventure de la découverte commence en 1985, plus de 20 000 ans après le dernier passage des artistes de la grotte, lorsque Henri Cosquer, plongeur‑scaphandrier, découvre cette caverne ornée aujourd’hui en partie engloutie. Il s’agit à ce jour de la seule grotte ornée avec un accès sous‑marin connue au monde.

Située au cœur du massif des Calanques, la grotte se trouve à proximité du cap Morgiou, zone qui correspond au terrain d’exploration de Henri Cosquer. Né à Martigues, nageur et plongeur précoce, il raconte que toute sa vie professionnelle s’est construite sur ou sous l’eau. Installé à Cassis après y avoir acheté un club de plongée, il commence à explorer en 1985 une cavité sous-marine et l’étroit boyau qui y mène. Mais ce n’est que lors de l’exploration du 9 juillet 1991, menée avec des amis, que se révèle le décor peint. Le faisceau de la lampe éclaire alors le contour d’une main sur la paroi… que Henri Cosquer photographie. Le tirage en montre d’autres… La découverte bascule dans une autre dimension. Lors de la visite suivante, les parois sont explorées de façon systématique. Des dizaines de figures animales apparaissent, peintes et gravées.

Une grotte authentifiée

La découverte est déclarée aux autorités de l’archéologie française. Début septembre, une expertise est menée par Jean Courtin, préhistorien et plongeur confirmé rattaché au CNRS. Elle permet d’authentifier les représentations. Au cours de cette mission, des prélèvements de charbons conduisent à établir une première datation à 18 440 (+/- 400 ans) avant notre ère. Le Drassm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) joue un rôle d’importance dans ces premières expertises. Le 12 novembre 1991 est mise en place, par arrêté ministériel, une commission scientifique et technique, sous la présidence de Jean Clottes, spécialiste de l’art pariétal et conservateur du patrimoine pour les grottes ornées, afin de préparer les travaux et les études à venir dans la grotte. Cela n’empêche pas la polémique d’éclater : pour certains savants, il s’agirait d’un faux ! L’intérêt patrimonial de la grotte Cosquer est toutefois rapidement reconnu : le 2 septembre 1992, elle fait l’objet d’un classement au titre des Monuments historiques, avec trois cavités voisines (les grottes du Figuier, du Renard et de la Triperie qui ne sont pas ornées).

Un site en cours d’étude

Entre 1992 et 1994, des campagnes de relevés et d’études sont organisées, sous la direction de Jean Courtin. En parallèle sont entrepris des travaux de fermeture de l’entrée et d’aménagement de la grotte, afin de l’alimenter en énergie, notamment pour l’éclairage. À compter de 1995, le Drassm mandate la société de travaux acrobatiques du plongeur Luc Vanrell. En 2000, la grotte Cosquer passe sous le contrôle du Service régional de l’archéologie (Drac PACA) et de Xavier Delestre, responsable scientifique des opérations. Le représente Michel Olive (SRA Drac PACA), qui participe aux aménagements nécessaires du site et à l’encadrement des plongées. Depuis 2004, des incursions sont régulièrement organisées dans la grotte, pour effectuer des travaux de conservation et de sécurisation, des relevés pariétaux et des prospections, ainsi que pour archiver informatiquement le lieu et pouvoir en réaliser une restitution. V.M.

L’apparition de cette main négative dans le faisceau d’une lampe a révélé l’existence d’un décor pariétal insoupçonné jusque là !

L’apparition de cette main négative dans le faisceau d’une lampe a révélé l’existence d’un décor pariétal insoupçonné jusque là ! © Henri Cosquer

Pourquoi est-il important de reproduire cette grotte si particulière ?

La grotte Cosquer est sous-marine. Son entrée est très difficile à atteindre puisqu’elle se trouve à presque 40 m de fond ; elle n’est accessible que par un boyau naturel de 116 m de long. Seuls des spéléologues sous-marins confirmés et une petite poignée de scientifiques initiés peuvent aujourd’hui y pénétrer pour y mener des études. En 30 ans, une vingtaine de personnes seulement l’a visitée, pour y réaliser des relevés et des études des sols, gravures et peintures. On ne peut y envisager d’ouverture puisque cette grotte compose à elle seule un biotope particulier, avec un air sous pression, que la moindre perforation de la falaise, pour y créer une entrée, pourrait complètement déstabiliser. Il est également essentiel de la conserver car des études ont montré que le niveau marin continuait de monter, et que des peintures et gravures, totalement à sec au moment de la découverte, sont déjà en partie submergées à certaines occasions.

Le panneau des petits chevaux, en partie effacé par la remontée de la mer entre 18 000 ans et la période actuelle.

Le panneau des petits chevaux, en partie effacé par la remontée de la mer entre 18 000 ans et la période actuelle. © J. Collina-Girard, ministère de la Culture

La restitution est-elle exactement fidèle à la grotte originale ?

La restitution propose 1 750 m2 des 2 200 m2 de la grotte originelle, à l’échelle 1. Mais comment les faire entrer dans l’espace de la Villa Méditerranée ? Notre chef de projet Laurent Delbos a l’habitude de prendre l’exemple d’une maison que l’on aurait dû reconstituer : auraient été prises telle quelle la cuisine, la salle de bain et la chambre, mais modifiée l’orientation et supprimés certains couloirs d’accès, afin que tout puisse entrer dans l’espace disponible… De la même manière, nous proposons des morceaux tels qu’ils sont dans la grotte originelle, mais avec certains couloirs tronqués et une orientation dans l’espace légèrement différente.

Les chiffres de la restitution

– Superficie de la grotte : 1 750 m2

– Poids de la grotte : 660 tonnes

– Volume d’eau dans la grotte : 50 m3 

– Superficie des parois ornées : 160 m2

– Nombre de panneaux ornés : 21

– 1 foyer paléolithique reproduit

– 1 crabe et des araignées de mer calcités reproduits

– 250 ouvriers et 70 entreprises

La grotte Cosquer est aujourd’hui aux trois quarts immergée. Le public verra-t-il de l’eau au cours de sa visite ?

Les parties immergées seront effectivement matérialisées par des bassins qui, sans avoir la profondeur des originaux, simuleront cette profondeur. Par ailleurs, nous souhaitons que le visiteur ait la sensation de plonger à 40 m sous l’eau pour aller découvrir la grotte car il entrera dans le bâtiment par une passerelle, sur l’eau, à laquelle sera amarrée une copie du bateau de Henri Cosquer, le Cro-Magnon (un nom prémonitoire, car il le portait avant même la découverte de la grotte), puis il traversera la reconstitution du club de plongée de Cassis des années 1980, avant d’embarquer dans une cage de descente qui le conduira jusqu’au niveau -2.

Les visiteurs circulent dans la restitution de la grotte à bord de modules d’exploration.

Les visiteurs circulent dans la restitution de la grotte à bord de modules d’exploration. © Kléber Rossillon

Le parcours à l’intérieur de la restitution de la grotte est-il guidé ?

Le parcours est guidé, mais pas comme on l’entend habituellement : il ne se fait pas à pied, comme on peut le voir à Lascaux ou à Chauvet. Ici, les visiteurs montent dans des petits modules d’exploration, qui peuvent embarquer jusqu’à six personnes et qui permettent de cheminer dans la grotte, à une hauteur prévue pour admirer les peintures et les gravures de façon optimale. Les audio-guides dont ils sont munis se déclenchent alors automatiquement au fur et à mesure du parcours, ainsi que des animations lumineuses qui optimisent la découverte des peintures et des gravures.

Quand le grand pingouin vivait à Marseille

Habitant l’hémisphère Nord, le pingouin est très adapté à la vie marine. C’est particulièrement vrai pour le grand pingouin, qui, du fait de ses ailes atrophiées, augmente ses performances en plongée par rapport à tous les autres pingouins (qui se déplacent en volant comme les petits pingouins et guillemots des côtes bretonnes). En le dessinant, les artistes de la grotte Cosquer ont figé une tragédie qui se prolonge aujourd’hui. Présents à proximité de la grotte au cours de la dernière période glaciaire, exploités depuis des millénaires, les grands pingouins ont en effet été exterminés au milieu du XIXe siècle. Leur habitat s’étendait alors de l’Atlantique Nord au nord de l’Espagne et, pourchassés pour leur chair et leurs œufs, ils étaient des proies faciles du fait de leur inaptitude au vol. L’érosion de la biodiversité est en apparence moins brutale aujourd’hui ; elle n’en est pas moins synonyme de la sixième extinction, provoquée par l’action directe des populations humaines conduisant à une réduction des espaces naturels et une surexploitation des ressources, notamment marines. Yvon le Maho, directeur de recherche émérite, Institut pluridisciplinaire Hubert Curien, CNRS – université de Strasbourg et Département polaire du Centre scientifique de Monaco, membre de l’Académie des Sciences.

Phoque gravé et barré de traits. S’agit-il de projectiles ?

Phoque gravé et barré de traits. S’agit-il de projectiles ? © J. Collina-Girard, ministère de la Culture

Après son parcours dans la grotte, le visiteur a accès au centre d’interprétation, au troisième étage du bâtiment. Qu’avez-vous souhaité y mettre en avant  ?

Le centre d’interprétation propose trois étapes. Une première offre une transition entre la découverte de la grotte et la partie musée, avec la reconstitution d’un abri sous roche et un théâtre optique permettant de visualiser un paysage de l’époque gravettienne (entre 31 000 à 23 000 avant notre ère), animé par des procédés holographiques et vidéo. La deuxième est dédiée à la faune et au mode de vie de l’époque, avec des objets et copies d’objets préhistoriques, ainsi que des reconstitutions d’animaux préhistoriques : aurochs, bison, mégacéros, pingouin, phoque, chamois, bouquetin… Enfin, le troisième espace aborde les problématiques contemporaines liées à la montée des eaux, à l’enchaînement des différentes périodes glaciaires et aux variations des niveaux marins depuis la Préhistoire.

Dans l’atelier de Toulouse, en décembre 2020, travail en cours sur le panneau du lion et du cheval noir. De gauche à droite : Bernard Toffoletti, Gilles Tosello et David Sartre-Doublet.

Dans l’atelier de Toulouse, en décembre 2020, travail en cours sur le panneau du lion et du cheval noir. De gauche à droite : Bernard Toffoletti, Gilles Tosello et David Sartre-Doublet. © Carole Fritz

Le phoque moine de Méditerranée

La grotte Cosquer offre la plus ancienne représentation du phoque moine (Monachus Monachus) et il faudra attendre 530 avant notre ère pour en trouver une autre, sur un exemplaire de vase antique ! Cette espèce emblématique de la Méditerranée, classée aujourd’hui « en danger d’extinction » sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature, fut décrite pour la première fois par Aristote, qui reconnut en lui un mammifère. Ce dernier a été chassé sans pitié jusqu’au milieu du XXe siècle, jusqu’à une quasi éradication. Aujourd’hui les menaces anthropiques sont encore nombreuses, mais l’action coordonnée d’ONG permet d’observer un renforcement notable de la population, estimée actuellement à près de 800 individus. Plusieurs détails des représentations rupestres de la grotte attestent qu’il s’agit bien de phoques moines : leur taille (les phoques moines peuvent mesurer 2,5 m et peser 300 kg), la forme allongée de leur corps, très caractéristique, et leur queue indiquée par des traits plus ou moins parallèles, représentant les nageoires postérieures. On peut aussi observer deux traits pour les nageoires antérieures ainsi que des moustaches, ou vibrisses, caractéristiques de cet animal. Cette espèce, qui dort sur les plages pour se réchauffer, était une proie facile pour les chasseurs préhistoriques. P.M.

« Cosquer Méditerranée », Esplanade du J4, 13002 Marseille. Tél. 04 91 31 23 12 et www.grottes-cosquer.com et https://archeologie.culture.fr/cosquer

À lire
Dossiers d’archéologie, no 408, janvier 2021, 10 €. 
Archéologia, hors-série no 35, juin 2022, 10 €.

À voir
La grotte Cosquer, un chef-d’œuvre en sursis, de Marie Thiry, 52 minutes, coproduction Arte France, Gédéon programmes, NHK.