Portraits gréco-romains : l’art de la mimésis au musée Fenaille de Rodez

Portrait en buste d’Hadrien (détail), vers 130 après J.-C. Marbre, 64 x 60 x 33 cm. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
Durant les travaux de ses salles romaines, le musée du Louvre confie une soixantaine de chefs-d’œuvre au musée Fenaille qui consacre une ambitieuse exposition à l’art du portrait dans la statuaire grecque et latine. Complété par des prêts de la Bibliothèque nationale de France et du musée Saint-Raymond de Toulouse, le parcours fait aussi la part belle à des pièces exceptionnelles de l’institution ruthénoise.
« On va même jusqu’à se représenter par l’imagination ceux dont on n’a pas de portrait, et à créer, par regret, des traits à ceux dont le visage ne nous a pas été transmis, comme cela s’est produit pour Homère. » Ces mots de Pline l’Ancien, tirés de son Histoire naturelle, témoignent du besoin toujours vif, dans les sociétés romaines du Ier siècle, de fonder l’identité mémorielle de la famille, de la cité ou de l’Empire, à l’aide de visages, de figures qui incarnent le passé et les valeurs reçues en héritage. L’exposition détaille en sept sections les aspects multiformes du portrait, depuis la Grèce archaïque jusqu’aux premiers siècles de notre ère : diversité des matériaux (métaux, terre cuite, marbre…), des formes (bustes, bijoux, camées, bas-reliefs, peintures, bronzes, stèles, monnaies, statuettes…) et des usages (religieux, sociaux, politiques…).
« Les trois fonctions principales du portrait sont explorées au fil du parcours : entretenir le souvenir, rendre hommage et incarner le pouvoir politique. »
La mimésis, saisir le réel
Pourtant, on observe dans ces œuvres la persistance d’une notion platonicienne, la mimésis. Du grec mimeisthai, « imiter », elle désigne la volonté de l’artiste de saisir par son travail (musique, danse, art pictural, théâtre…) non pas la simple apparence d’un objet, d’une personne ou d’une idée mais bien sa nature profonde. Ainsi, un sculpteur du Ier siècle a représenté sur la base d’un original antérieur d’au moins trois siècles le légendaire auteur de L’Iliade et de L’Odyssée en Hermès, sous les traits d’un vénérable homme d’âge mûr dont les sourcils et le front plissé, ainsi que la chevelure et la barbe, expriment un intense mélange de force et de sagesse, donnant à connaître la dimension essentielle du poète. Mais les trois fonctions principales du portrait explorées au fil du parcours, entretenir le souvenir, rendre hommage et incarner le pouvoir politique, ont aussi bien pu servir à exalter les figures de souverains qu’à révérer un simple ancêtre.
« [L’approche hellénistique] s’enracine d’abord dans un contexte religieux, là où [l’approche romaine] vise avant tout l’édification morale et civique. »
La diversité des objets réunis montre parfaitement la richesse du genre, dont les évolutions esthétiques interrogent les notions de ressemblance, de personnalité et d’individualité : ainsi, une cuve de sarcophage en marbre représentant des membres d’une même famille, ou des fonds de verre du IIIe siècle inscrits à la feuille d’or, soulignent l’importance de l’hérédité dans la constitution d’une mémoire familiale typiquement latine. Ces différents exemples révèlent déjà la divergence des approches hellénistique et romaine : la première s’enracine d’abord dans un contexte religieux, là où la seconde vise avant tout l’édification morale et civique.

Portrait imaginaire d’Homère en Hermès, Ier siècle après J.-C., d’après un original du IIIᵉ ou IIᵉ siècle avant J.-C. Marbre, 53 x 25 x 24,5 cm. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Photo service de presse. © musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Thierry Ollivier
L’incarnation du pouvoir
Dans la salle consacrée aux portraits d’Alexandre figure l’une de ses effigies les plus célèbres : un buste du Ier siècle le représentant en Hermès, d’après un original de 336-330 avant J.-C. attribué à Lysippe, et qui témoigne de la force évocatrice toujours intacte de cette figure immédiatement reconnaissable. Plus que le contrapposto ou la légère inclinaison du visage caractérisant les statues d’Alexandre, c’est surtout le mode de représentation du souverain, incarnant la résilience du pouvoir politique, qui aura une formidable postérité dans le monde grec puis romain. Ce qu’atteste le portrait en marbre de Mithridate VI Eupator, coiffé en Héraclès d’une bête vaincue, accompagné d’un tétradrachme en argent : l’imago du souverain se nourrit ici directement de l’iconographie déjà bien établie d’Alexandre, qui incarne le monarque idéal, pétri des vertus de la force, de la sagesse et de la beauté. Le portrait est avant tout récit et propagande, notamment pour les Romains des siècles plus tard : Hadrien, représenté harnaché pour la guerre et dans une posture martiale, endosse le rôle de gardien providentiel de l’Empire ; l’image du « génie » de l’Auguste contribue à la divinisation de l’empereur dans le cadre du culte impérial. C’est ce que rappelle Martin Szewczyk, co-commissaire de l’exposition et conservateur en chef au département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre : « L’image de l’empereur n’est pas une image parmi d’autres ; elle occupe dans la “société des images”, faite de hiérarchies subtiles, la place éminente que lui vaut le fait d’incarner et de rendre présent réellement le titulaire du pouvoir suprême ». D’où la pertinence de présenter dans le parcours l’un des joyaux du musée Fenaille, un buste en marbre du jeune Marc-Aurèle, formidable exemple de cette mise en récit d’une figure impériale, idéalisant l’enfance du futur souverain. Cette pièce dialogue de manière inédite avec des bustes exceptionnels du IIe siècle, mis au jour dans la demeure de l’empereur Lucius Verus au nord de Rome : rassemblés, ils forment un témoignage tout à fait saisissant du type d’œuvres dont s’entourait la maison impériale.

Portrait en buste d’Hadrien, vers 130 après J.-C. Marbre, 64 x 60 x 33 cm. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski
Effacer la mémoire
Intitulé « L’absence et le fragment », l’épilogue dévoile un étonnant portrait en bronze de Marc-Aurèle (Louvre, après 170). Son œil unique semble contempler des réalités qui échappent à l’humble visiteur tandis que sa découpe, manifestement intentionnelle, interroge l’absence des portraits qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous, victimes de damnatio memoriae ou des vicissitudes du passage du temps, mais qui auraient peut-être raconté une tout autre histoire… Enfin, en guise d’excursus, le musée fait habilement dialoguer une statue hellénistique d’éphèbe typiquement archaïque (kouros) avec les superbes menhirs-anthropomorphes, vieux de près de cinq millénaires, qui comptent parmi les trésors les plus inestimables de ses collections.

Fragment d’un portrait de Marc-Aurèle, après 170 après J.-C. Bronze, 23 x 16,5 x 10 cm. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
« Visages. L’art du portrait grec et romain dans les collections du Louvre », jusqu’au 2 novembre 2025 au musée Fenaille, 14 place Eugène Raynaldy, 12000 Rodez. Tél. 05 65 73 84 30. musee-fenaille.rodezagglo.fr
Catalogue, Éditions El Viso, 272 p., 35 €.





