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Le Mauritshuis : deux siècles d’histoire… et plus encore !

Johannes Vermeer (1632-1675), Vue de Delft, vers 1660-1661. Huile sur toile, 115,7 x 96,5 cm. La Haye, Mauritshuis.

Johannes Vermeer (1632-1675), Vue de Delft, vers 1660-1661. Huile sur toile, 115,7 x 96,5 cm. La Haye, Mauritshuis. © Mauritshuis, La Haye

Cela fait 200 ans que le Mauritshuis, en devenant musée, a ouvert ses portes. Il possède l’une des plus anciennes et des plus importantes collections néerlandaises de peintures, connue dans le monde entier pour abriter un ensemble unique de tableaux du siècle de Rembrandt et Vermeer. Retour sur deux siècles d’histoire de ce musée royal…

Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, cette collection n’est pas née dans les salons du prince Maurits, premier habitant de ce charmant hôtel particulier. Elle est née un siècle plus tard des acquisitions du stadhouder Guillaume V, qui l’avait auparavant exposée dans une galerie construite à cet effet dans le quartier du Buitenhof – cette galerie est aujourd’hui une dépendance du musée. Le roi Guillaume Ier, héritier du stadhouder, transforma cet hôtel particulier en « Musée royal de peintures », plus couramment appelé aujourd’hui « Mauritshuis », pour y installer les collections de son père. Le Journal officiel du jeudi 3 janvier 1822 indique que le lieu serait « dorénavant ouvert le mercredi et le samedi à toute personne convenablement habillée et non accompagnée d’enfants ». En deux siècles, le musée a bien changé : il accueille aujourd’hui volontiers les enfants… et les visiteurs habillés comme ils l’entendent, car nous voulons que chacun s’y sente le bienvenu.

Jan de Baen, Portrait de Johan Maurits (1604‑1679), comte de Nassau‑Siegen, vers 1668-1670. Huile sur toile, 151,5 x 114,5 cm. La Haye, Mauritshuis.

Jan de Baen, Portrait de Johan Maurits (1604‑1679), comte de Nassau‑Siegen, vers 1668-1670. Huile sur toile, 151,5 x 114,5 cm. La Haye, Mauritshuis. © Mauritshuis, La Haye

Du Taureau de Potter… 

Au XIXe siècle, c’est le Taureau de Paulus Potter qui est le plus admiré au musée. Les visiteurs se pressent devant l’immense toile aux détails si vivants. Guillaume Ier veille à ce que le musée s’enrichisse des plus belles peintures, la Vue de Delft de Vermeer par exemple, la Déposition de croix de Van der Weyden ou encore la Leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt (voir respectivement « Les XVe et XVIe siècles : de Van der Weyden à Holbein » et « Portraits, de Frans Hals à Van Dyck »). Mais à partir de 1830 et de la révolution qui conduit les provinces belges à se séparer de la Hollande, les acquisitions se font plus rares, car l’argent manque. Au premier étage, les tableaux, déjà nombreux, sont accrochés cadre contre cadre. Le rez-de-chaussée est réservé aux objets historiques du « Cabinet royal des curiosités », qui quitte en 1875 le Mauritshuis pour faire place aux peintures, toujours plus nombreuses.

Paulus Potter, Le Taureau, 1647. Huile sur toile, 235,5 x 339 cm. La Haye, Mauritshuis.

Paulus Potter, Le Taureau, 1647. Huile sur toile, 235,5 x 339 cm. La Haye, Mauritshuis. © Mauritshuis, La Haye

… à la Jeune Fille de Vermeer

En 1889 arrive un nouveau directeur, Abraham Bredius, qui va multiplier les changements. Les salons sont réaménagés pour pouvoir accueillir les dernières acquisitions ; certains tableaux sont achetés par Bredius lui-même, comme les Deux Africains de Rembrandt, toile qu’il a achetée en 1903 et qu’il prête au musée. Cet afflux de nouveaux tableaux, souvent de grande valeur, attire de nombreux visiteurs. Bredius est un acheteur avisé : quand il apprend que Le Chardonneret de Fabritius (voir « Éloge du quotidien, de Jan Steen à Vermeer ») va passer sous le marteau à Paris en 1896, il envoie un émissaire discret pour que les enchères ne s’envolent pas. En 1903, le collectionneur haguenois Andries des Tombe, qui a acheté en 1882 la Jeune Fille à la perle de Vermeer (voir « Éloge du quotidien, de Jan Steen à Vermeer ») pour 2 florins 30 centimes à une vente à La Haye, la lègue par testament au musée, où elle devient au fil du temps l’une des toiles préférées des visiteurs.

Rembrandt van Rijn, Deux Africains, 1661. Huile sur toile, 77,8 x 64,4 cm. La Haye, Mauritshuis.

Rembrandt van Rijn, Deux Africains, 1661. Huile sur toile, 77,8 x 64,4 cm. La Haye, Mauritshuis. © Mauritshuis, La Haye

La fidélité à une politique d’acquisition ambitieuse

Wilhelm Martin, qui succède à Bredius à la tête du Mauritshuis, enrichit lui aussi le fonds de peintures. Il fait par exemple l’acquisition de quelques-unes des plus belles pièces de la collection particulière de Johan Steengracht, le premier directeur du musée. Si pendant l’entre-deuxguerres ce dernier ne dispose plus guère de budget, il reçoit en cadeau quelques tableaux de qualité, parmi lesquels La Lettre de Gerard Ter Borch et La Goûteuse d’huîtres de Jan Steen. Aujourd’hui les grands favoris du public sont La Chasse aux poux de Ter Borch et Ce que chantent les vieux, les petits le fredonnent de Jan Steen (voir « Éloge du quotidien, de Jan Steen à Vermeer »). Les collections ne cessent de s’étendre, à la fois grâce à des donations généreuses de particuliers et par les acquisitions du musée. Qui parcourt les salles voit combien les directeurs successifs du Mauritshuis ont contribué à ces achats, où des maîtres connus croisent des artistes ignorés, comme en témoignent les natures mortes de Pieter van Anraadt et Dirck de Bray. En 1999, grâce à de nombreux soutiens financiers, le directeur Frits Duparc réussit à acquérir le Portrait d’un vieil homme de Rembrandt. Quels arguments justifient l’acquisition d’une œuvre ? La finesse d’observation exceptionnelle d’un portrait, par exemple, les qualités picturales elles-mêmes, l’état parfait du tableau, ou encore le fait qu’il n’y en ait pas de comparable dans les collections néerlandaises.

La Jeune Fille à la Perle de Johannes Vermeer et La Chasse aux poux de Gerard ter Borch dans l’une des salles du musée aujourd’hui.

La Jeune Fille à la Perle de Johannes Vermeer et La Chasse aux poux de Gerard ter Borch dans l’une des salles du musée aujourd’hui. © Photo I. Hoekstra

Le Mauritshuis, un musée de son temps

En 2008, et pour la première fois dans sa longue histoire, c’est une femme – Emilie Gordenker – qui prend les rênes du Mauritshuis. Sa mission première, mener à bien la rénovation et l’agrandissement du musée. Elle bénéficie heureusement du soutien de nombreux mécènes. Pendant les travaux, plusieurs pièces majeures de la collection – telle la Jeune Fille à la perle – voyagent et sont exposées au Japon et aux États-Unis, ce qui n’empêche pas le musée d’acquérir une splendide nature morte d’une pionnière de la peinture, Clara Peeters (voir « Une collection qui vit : les acquisitions entre 2011 et 2021 »). Le chantier s’achève en juin 2014, et le roi Guillaume Alexandre vient inaugurer le musée rénové et agrandi, qui compte maintenant, outre un espace en sous-sol, de nouvelles salles pour le public. En avril 2020, en pleine pandémie, Martine Gosselink arrive à la tête du Mauritshuis et poursuit la politique d’Emilie Gordenker. Aujourd’hui bicentenaire, le musée, plus que jamais, aime faire connaître l’histoire non seulement de ses tableaux, mais aussi de l’ancien hôtel particulier de Johan Maurits : toute une salle est consacrée à ce prince et à l’éphémère colonie néerlandaise du Brésil dont il fut le gouverneur. Deux siècles : une étape marquante dans l’histoire d’un musée dont la collection inspire amateurs, visiteurs et artistes du monde entier.

La façade du Mauritshuis donnant sur le Hofvijver.

La façade du Mauritshuis donnant sur le Hofvijver. © Photo I. Hoekstra

Johan Maurits et Constantijn Huygens

Le Mauritshuis doit son nom à son premier propriétaire, le prince Johan Maurits (1604-1679), comte de Nassau-Siegen. Militaire, il fut aussi pendant sept ans gouverneur général de la colonie néerlandaise du Brésil. À ce titre il conquit les deux principaux dépôts d’esclaves que les Portugais possédaient sur la côte occidentale de l’Afrique pour permettre à la république des Provinces-Unies de jouer un rôle dans ce commerce. Le prince rapporta du Brésil de très nombreux objets exotiques, notamment des animaux empaillés et des illustrations exécutées par les artistes qui faisaient partie de sa suite. Constantijn Huygens, secrétaire de trois stadhouders successifs et ami de l’architecte Jacob van Campen, veilla, pendant le séjour du prince au Brésil, à la construction de sa résidence, achevée en 1644. Le 9 mai 1642 il faisait part à Johan Maurits de l’avancement des travaux de ce que le prince appellerait bientôt sa « belle, très belle et bellissime maison ».

Adriaen Hanneman, Portrait de Constantijn Huygens (1596‑1687) et ses cinq enfants, 1640. Huile sur toile, 204,2 x 173,9 cm. La Haye, Mauritshuis.

Adriaen Hanneman, Portrait de Constantijn Huygens (1596‑1687) et ses cinq enfants, 1640. Huile sur toile, 204,2 x 173,9 cm. La Haye, Mauritshuis. © Mauritshuis, La Haye

La collection de Guillaume V d’Orange

La collection de peintures du Mauritshuis est née de celle du stadhouder et prince d’Orange Guillaume V (1748-1806). Si celui-ci avait hérité certains tableaux de son père Guillaume IV, il acquit lui-même l’essentiel de sa collection. C’est en 1768 que le jeune prince en jeta les fondements en acquérant d’uncoup la quarantaine de pièces remarquables réunie par le collectionneur Govert van Slingelandt, qui comptait notamment quelques peintures des débuts de Rembrandt et de Van Dyck. En 1774, il ouvrit l’ensemble au public dans une galerie du quartier du Buitenhof, au centre de La Haye : ainsi pour la première fois, le pays disposait d’un bâtiment conçu spécialement pour abriter et exposer des œuvres. Lorsqu’en 1795 les troupes françaises envahirent les Pays-Bas, les 200 tableaux de la collection furent emportés à Paris et accrochés au Louvre pendant vingt ans : le Taureau de Potter attira alors tous les regards, ainsi que La Basse‑cour de Jan Steen, que l’on croyait alors être le portrait d’une princesse d’Orange.

Johann Georg Ziesenis, Portrait du stadhouder Guillaume V (1748‑1806), vers 1768-1769. Huile sur toile, 141 x 101 cm. La Haye, Mauritshuis.

Johann Georg Ziesenis, Portrait du stadhouder Guillaume V (1748‑1806), vers 1768-1769. Huile sur toile, 141 x 101 cm. La Haye, Mauritshuis. © Mauritshuis, La Haye

Un classicisme « à la néerlandaise »

Bel édifice du XVIIsiècle, l’hôtel particulier construit pour le prince Johan Maurits est l’un des plus beaux exemples de l’architecture classicisante néerlandaise. Son projet fut dessiné par Jacob van Campen (1596-1657), assisté de Pieter Post (1608-1669). Ses quatre façades sont conçues dans un style inspiré de l’architecture grecque et romaine : symétrie rigoureuse, pilastres classiques, chapiteaux, corniches et frontons, le Mauritshuis a la beauté d’un temple classique, un style reposant sur le jeu équilibré des mesures et des proportions. Ces formes classiques s’inspirent, comme c’est en général le cas aux Pays-Bas, des leçons des architectes de la Renaissance italienne Andrea Palladio (1508-1580) et Vincenzo Scamozzi (1552-1616), qui eux-mêmes ont puisé dans les écrits de Vitruve. Quant aux deux frontons de l’édifice, ils s’ornent de sculptures rappelant la carrière militaire du prince.

Jan Steen, La Basse‑cour, 1660. Huile sur toile, 106,6 x 80,8 cm. La Haye, Mauritshuis.

Jan Steen, La Basse‑cour, 1660. Huile sur toile, 106,6 x 80,8 cm. La Haye, Mauritshuis. © Mauritshuis, La Haye