Un objet à la loupe : les assiettes de la manufacture Creil & Montereau

Manufacture Creil & Montereau, assiette de la série « Histoire de l’habitation » : Gaulois (détail). 1889, faïence fine à décor couvrant en impression brune, D : 20 cm. © Musée d'Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Le musée d’Archéologie nationale a reçu en don une série complète de douze assiettes illustrées d’habitats préhistoriques, de huttes gauloises ou encore d’un chalet scandinave. Elles témoignent de l’intense diffusion des thèmes archéologiques et du goût pour la reconstitution du passé au XIXe siècle.
Médailles, gravures, bibelots variés… et assiettes : les expositions universelles ont suscité toute une gamme de souvenirs.
Souvenirs de l’Exposition universelle de 1889
Ces assiettes, en faïence fine de la manufacture Creil & Montereau, dont on distingue les initiales tout en bas à droite, ont ainsi été produites à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, sur le thème de l’Histoire de l’habitation. Les pavillons de cette exposition sont conçus par Charles Garnier, Premier Prix de Rome en 1848 et architecte du nouvel Opéra de Paris. Il propose plus d’une trentaine d’habitations, depuis les abris naturels de l’époque troglodyte jusqu’à la Renaissance, en passant par les maisons japonaise, chinoise, aztèque ou inca. En homme du XIXe siècle, il hiérarchise les peuples et leurs architectures. Promeneurs et promeneuses déambulent le long de ces évocations qui s’alignent sur le quai d’Orsay, à proximité du Champ-de-Mars où se dresse la tour Eiffel récemment inaugurée.

Manufacture Creil & Montereau, quatre assiettes de la série « Histoire de l’habitation » : 1. Troglodytes ; 2. Époque de la pierre polie ; 3. Époque du renne ;4. Lacustres – Âge du bronze. 1889, faïence fine à décor couvrant en impression brune, D : 20 cm. © Baptiste Simon, MAN
De l’Arabie à la Scandinavie
Les illustrations numérotées des assiettes en déclinent douze, ainsi légendées au revers : 1. Troglodytes ; 2. Époque de la pierre polie ; 3. Époque du renne ; 4. Lacustres – Âge du bronze ; 5. Gaulois ; 6. Germains ; 7. Étrusques ; 8. Romain – Italien ; 9. Grec ; 10. Égyptien ; 11. Arabie ; 12. Scandinaves. Le choix s’est porté presque exclusivement sur les époques européennes préhistoriques et anciennes. Produites de manière industrielle, ces assiettes sont des objets bon marché destinés aux intérieurs domestiques. Leur décor est obtenu par transfert d’une image gravée, imprimée sur la faïence émaillée, puis fixée par une deuxième cuisson. La facilité de fabrication permet d’épouser l’actualité. Ici, le graveur des illustrations, Charles Hamlet, a adapté des dessins de Garnier, diffusés par une brochure vendue en 1889.
Donner à voir le passé le plus ancien
En 1867, 1878 et 1889, certaines sections des expositions universelles parisiennes contribuent à la vulgarisation de l’archéologie, notamment préhistorique. Cette science s’impose comme la méthode aidant à accéder au passé le plus ancien. C’est l’une des sources revendiquées par Charles Garnier. Soucieux de fonder l’exactitude de ses reconstitutions, il cite le musée des Antiquités nationales et ses collections dans la brochure puis dans la publication qui accompagnent son exposition. À travers l’histoire de l’habitation, il a l’ambition de retracer l’histoire de l’humanité et faire ainsi de l’architecture, par son pouvoir d’évocation, la rivale de l’archéologie. Au dessin de Garnier, le décor des assiettes ajoute des figures singularisées par leur costume – d’après ces illustrations, le vêtement tissé n’apparaîtrait qu’à l’époque gauloise. Les maisons sont intégrées dans leur environnement caractéristique. L’habitation lacustre, sur pilotis, est ainsi placée directement sur l’eau, selon l’interprétation, courante à l’époque, des vestiges de l’Âge du bronze découverts sur les rives des lacs alpins. Les monuments mégalithiques du Néolithique trouvent bizarrement leur place dans cette histoire…

Manufacture Creil & Montereau, assiette de la série « Histoire de l’habitation » : Gaulois. 1889, faïence fine à décor couvrant en impression brune, D : 20 cm. © Musée d’Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye
Des reconstitutions fantaisistes
La modeste hutte ronde gauloise s’oppose à l’architecture urbaine grecque ou romaine : c’est là une représentation fausse que perpétuent notamment les manuels scolaires de la IIIe République, que Garnier reprend à son compte, et que ces objets diffusent à leur tour. Malgré son érudition, Garnier propose des reconstitutions souvent fantaisistes. Avec les assiettes Creil & Montereau, la mise en scène du passé préhistorique et antique s’offre ainsi à tout mangeur ou toute mangeuse ayant bon appétit – à une époque où la consommation et la circulation des images sont accélérées par la multiplication des supports et des techniques de reproduction. Reprises par la gravure ou les chromos publicitaires, les habitations de Garnier connaissent ainsi une large postérité. Après avoir suscité des appropriations variées de l’archéologie, le musée d’Archéologie nationale contribue aujourd’hui à retracer leur histoire.





