Toutânkhamon : le trésor du pharaon brille à Paris (3/4). Une malédiction du roi déjà dans l’Égypte antique ?

Depuis l’antichambre, deux statues grandeur nature de Toutânkhamon veillent sur la porte donnant vers son sépulcre. Alors que les équipes d’Howard Carter ont, en partie, démonté le mur recouvert des sceaux de la Nécropole, on distingue à travers l’ouverture la première des chapelles. Photographie d’Harry Burton prise au moment de l’ouverture de la chambre funéraire, le 16 février 1925. © The Print Collector / Alamy Stock Photo / SP
À l’occasion du centenaire de la découverte de la tombe de Toutânkhamon par Howard Carter en novembre 1922, le ministère des Antiquités égyptiennes et la société américaine IMG ont mis sur pied une exposition internationale itinérante : « Toutânkhamon, le Trésor du Pharaon ». Elle rassemble pour la première fois cent cinquante objets originaux de la tombe du pharaon, pour certains jamais sortis d’Égypte. Cet événement permet d’admirer à Paris les trésors du plus célèbre pharaon égyptien à la lumière des dernières connaissances.

Couvercle du cercueil extérieur en bois recouvert d’une fine feuille d’or et dont le bout des pieds fut raboté au moment de la fermeture du sarcophage. © Griffith Institute
La légende de la malédiction de Toutânkhamon est montée de toutes pièces par les journaux à sensation, quand, en 1923, Lord Carnarvon, le mécène qui finança les fouilles d’Howard Carter, meurt des suites d’une piqûre de moustique qui s’est infectée. Toutefois, on peut se demander si, dans l’Antiquité, les ouvriers qui eurent la lourde responsabilité de la réception du corps momifié dans la sépulture ne se sont pas crus maudits avec l’enchaînement incroyable de problèmes qu’ils subirent…
Lorsque le jeune pharaon Toutânkhamon décède brusquement, à l’aube de ses 20 ans, c’est l’émoi dans tout le pays et une question s’échappe de quelques lèvres à la cour de Memphis : où va-t-on l’enterrer puisque sa tombe est toujours en construction ? C’est une petite tombe de la vallée des Rois, possiblement construite pour son vizir, un vieil homme dénommé Aÿ, qui est désignée, peut-être par ce dernier. Elle est fort éloignée des immenses demeures d’éternité royales au long couloir qui pénètre dans les profondeurs de la montagne thébaine, mais c’est tout ce que permettent le délai de la momification du roi et son transport du nord du pays jusqu’à la rive ouest de Thèbes. Sur place, des artisans du village de Deir el-Médineh sont dépêchés pour préparer la tombe et orner la future chambre funéraire du roi de peintures qui l’accompagneront et le protégeront par-delà la mort. Des commandes sont également passées pour réaliser les quatre chapelles funéraires en bois doré qui s’élèveront autour du sarcophage.
Une chapelle funéraire est une structure en bois ou en pierre élevée tout autour d’un cercueil de manière à le protéger matériellement et magiquement.
Un cercueil aux trop grands pieds
Au moins trois mois, sinon plus, se sont écoulés lorsque la dépouille momifiée du souverain atteint les abords de Thèbes. La cérémonie se déroule en présence d’Aÿ (qui a été, depuis, désigné comme le successeur officiel du pharaon), de sa veuve, la reine, Ânkhesenamon, de plusieurs membres de la cour et d’un important cortège de prêtres, dominés par le clergé du puissant Amon. Les hauts fonctionnaires, chargés du bon déroulement des funérailles, sont évidemment là. Et il y a bien sûr le peuple, venu en nombre déplorer la mort de leur Horus, fils des dieux de l’Égypte. Tout est prêt pour accueillir la momie royale : un sarcophage en granodiorite rouge trône au milieu de la chambre funéraire. À l’intérieur, posées sur un solide lit en bois, ont été emboîtées, à la manière des poupées russes, les cuves de deux cercueils en bois massif doré. Elles accueilleront bientôt le cercueil en or massif du pharaon. Dans la pièce encore vide, on apporte solennellement la momie de Toutânkhamon. Les prêtres récitent des incantations magiques et protectrices. Ils versent ensuite consciencieusement sur la momie une marmite de résine bouillante liquide, mélangée à de la graisse parfumée, jusqu’à la faire disparaître dans une mare noire odorante. Les dernières formules magiques délivrées, le cercueil en or est fermé et scellé par dix clous d’argent à tête d’or. Plusieurs hommes le soulèvent (son poids doit approcher 160 kg) pour le mettre dans le sarcophage. Mais quand les ouvriers posent le dernier des couvercles en bois, horreur, ils s’aperçoivent qu’il est beaucoup trop haut : les pieds dépassent de quelques centimètres et empêchent la fermeture du sarcophage ! Il faut appeler les charpentiers à la rescousse pour raboter les pieds. Howard Carter découvrit les copeaux de bois au fond du sarcophage.
Howard Carter, une autre forme de « malédiction » ?
À la différence de Lord Carnarvon, son mécène, Howard Carter (1874-1939) ne fut pas victime de la « prétendue » malédiction de Toutânkhamon : il mourut dix-sept ans après sa fabuleuse découverte, un peu oublié et sans avoir réussi à publier ses rapports de fouilles.
L’événement archéologique de 1922 coïncida avec un tournant politique majeur en Égypte : la fin de quarante ans de protectorat britannique et, de fait, la montée d’un puissant sentiment national. La mise au jour d’un tel patrimoine eut par conséquent des ramifications politiques que Carter n’eut pas assez de recul pour percevoir. Il enchaîna les maladresses jusqu’à créer un conflit majeur avec les autorités : le service des Antiquités égyptiennes, dirigé par le français Pierre Lacau, et le gouvernement dont celui-ci dépendait, désormais égyptien et non plus britannique.
Tensions entre Carter et l’Égypte
Carter commença par heurter le nationalisme égyptien en offrant l’exclusivité médiatique de sa découverte au journal britannique The Times, sans réaliser qu’il privait la presse égyptienne de l’événement archéologique du siècle. Par ailleurs, il prit comme une attaque personnelle (et une revanche française sur les Britanniques) les nouvelles directives mises en place par Lacau, mettant fin au traditionnel partage des objets entre le fouilleur et l’Égypte, quelques mois avant la découverte. Carter et ses mécènes n’eurent donc droit à aucune part du trésor ! De même, une demande d’autorisation pour faire visiter la tombe et la présence d’un inspecteur du service des Antiquités pendant les travaux furent imposées à Carter ; si ces règles sont aujourd’hui la norme, cette nouveauté poussa l’égyptologue à crier au scandale. Toutes ces tensions explosèrent en 1924 : alors que l’on s’apprêtait à ouvrir le sarcophage, Carter proposa aux épouses des fouilleurs de visiter la tombe avec la presse. Le gouvernement égyptien, déjà humilié par Carter, prit comme un nouvel outrage l’idée que des Occidentales anonymes puissent accéder au sarcophage avant les Égyptiens. Il interdit donc la visite et Carter et ses collègues se mirent en grève, exigeant des excuses. Le gouvernement égyptien suspendit alors la concession de fouille, en interdisant l’accès à Carter, qui engagea une procédure judiciaire. Grâce au soutien d’autres égyptologues et après plusieurs rebondissements judiciaires et politiques, en 1925, de nouveaux accords furent trouvés : Carter put reprendre et terminer ses travaux sur la tombe. Mais sans doute dépassé par les conséquences de sa propre découverte, il ne parvint jamais à publier ses rapports de fouilles tant attendus… C.J.

Howard Carter et un ouvrier égyptien examinant le troisième cercueil de Toutânkhamon en or massif dans le second cercueil et cassant les fragments solidifiés de résine noire. Octobre 1925. © Harry ck Burton / Interfoto / Alamy Sto Photo / SP
Un couvercle fissuré
Cet incident n’est que le début d’une série de problèmes… Si l’on ignore pour quelle raison le couvercle qui fermait le sarcophage n’était pas celui d’origine – puisqu’il était en quartzite jaune et non en granodiorite rouge –, on sait en revanche que ce changement ne porta guère chance aux ouvriers. Vraisemblablement, alors qu’ils le manipulent, il se fêle en son centre. Comme il est bien évidemment hors de propos d’envisager d’en réaliser un autre, la fissure est colmatée, une fois le couvercle en place, avec du plâtre peint pour se confondre avec la couleur du quartzite jaune. Les funérailles terminées, les ouvriers cèdent la place aux charpentiers chargés d’élever, tout autour du sarcophage, les hautes parois des quatre chapelles funéraires en bois doré protectrices. Ces derniers ont pris soin de numéroter les différents éléments des chapelles (dont les plus lourds pesaient de 100 à 500 kg) et de les marquer de repères en indiquant l’orientation afin de pouvoir les monter plus facilement dans l’obscurité de la chambre, éclairée seulement de quelques torches.

Couvercle du sarcophage en quartzite jaune, au moment de sa découverte par Howard Carter en 1925. © Harry Burton / Griffith Institute
Des chapelles en kit compliquées à monter
Les charpentiers n’ont cependant encore jamais mis les pieds dans la tombe et ne connaissent pas les dimensions des différentes pièces. Ils vont donc se heurter à un premier problème : les dimensions réduites de la chambre et l’espace au sol restreint (3,68 × 6,40 m), déjà occupé par l’énorme sarcophage, rendent compliqué le montage de l’ensemble des chapelles en respectant l’orientation est-ouest. Pour une raison qui nous échappe, l’orientation initiale est-ouest n’est pas respectée, alors qu’elle a pourtant des implications magiques. Une seconde difficulté s’ajouta bientôt : la forme légèrement irrégulière du sarcophage et l’étroitesse de la première chapelle empêchent l’assemblage de ses parois latérales avec le panneau du fond, à l’ouest. Le problème étant insoluble, il est décidé que ce panneau resterait ouvert sur un angle. Un problème quasiment similaire se pose avec la troisième chapelle. Cette fois, il est résolu à grands coups de marteau !

Marques gravées ou peintes à l’encre noire Elles désignaient sur les parois des chapelles la manière dont elles devaient être orientées. © François Gourdon
Un trésor protégé mais… pillé
Lorsque la quatrième chapelle est enfin dressée, on peut penser que le soulagement est collectif ! Et si, bien entendu, aucun ouvrier ne songe à la moindre malédiction de la part de l’infortuné Toutânkhamon, il est clair que le mauvais sort qui s’est acharné sur eux a été autrement plus efficace que la pseudomalédiction de Toutânkhamon au début du XXe siècle ! Succède alors aux charpentiers un défilé de serviteurs venus déposer, ou plutôt entasser, le mobilier funéraire du jeune roi, riche de plusieurs milliers d’objets. La chambre du Trésor reçoit un nombre incroyable de biens, parmi lesquels une quantité impressionnante de boîtes contenant de précieuses parures. Grâce aux inscriptions sur les étiquettes ou peintes directement sur certains coffrets, Howard Carter estima ainsi qu’environ 60 % des bijoux avaient été volés par les pilleurs qui pénétrèrent les lieux quelques années seulement après les funérailles. Puis c’est au tour de la chambre funéraire d’être emplie de toutes sortes d’artefacts dont onze avirons magiques censés aider Toutânkhamon à se diriger dans l’au-delà. Quand tout est en place, l’ouverture est bouchée et les hauts fonctionnaires la scellent officiellement, très probablement en présence de prêtres qui accomplissent divers rituels de protection magiques. C’est ensuite au tour de l’annexe et de l’antichambre d’être investies par les dépôts d’offrandes. Plus de deux mille objets ont été répertoriés seulement dans la première pièce et plus de six cents autres dans la deuxième. Enfin, l’ouverture pratiquée dans la roche pour accéder à l’annexe est obstruée, ainsi que la porte de l’antichambre, également plâtrée et scellée avec les sceaux de la Nécropole, imprimés sur la boue fraîche dont on a badigeonné la paroi. L’opération est renouvelée de l’autre côté du couloir pour sceller l’entrée de la tombe de Toutânkhamon. Mais quelques mois seulement s’écouleront avant qu’un premier pillage ne vienne perturber le repos du jeune pharaon et que les tracas passent des ouvriers aux policiers chargés de surveiller la nécropole royale. Mais c’est une autre histoire…
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Toutânkhamon : le trésor du pharaon brille à Paris
3/4. Une malédiction du roi déjà dans l’Égypte antique ?





