Le musée Unterlinden de Colmar (2/2). Les joyaux de la collection

Vue du cloître du musée. © photo musée Unterlinden
Le musée Unterlinden de Colmar conserve et expose des collections très diversifiées, allant de la préhistoire au XXe siècle, dans un lieu non moins complexe, fait d’aménagements et d’agrandissements successifs.
Du couvent au musée
Le musée Unterlinden a d’abord pris place dans ce qui était initialement un couvent, organisé autour d’une église et d’un cloître, complétés par des bâtiments annexes. Cet ensemble conventuel devient propriété de la ville de Colmar en 1792 à la suite de la nationalisation des biens du clergé. Il est alors détourné de sa fonction initiale pour devenir tour à tour un logement pour prisonniers de guerre, un hôpital militaire, puis une caserne de lanciers entre 1795 et 1848. Au milieu du XIXe siècle, des rumeurs de démolition de la nef commencent à poindre. Un faisceau de circonstances va voir l’abandon de ce projet, bientôt remplacé par la création d’un musée. D’une part, Louis Hugot, archiviste de la ville, souhaite la formation d’une collection d’estampes à vocation pédagogique, à destination des élèves du secondaire comme des artistes et des industriels de la région.
« En 1849, la Société Schongauer propose un projet d’installation d’un musée dans l’ancien couvent d’Unterlinden, désormais désaffecté. »
Bien que cette initiative ne trouve qu’un écho limité sur le fond, elle se traduit tout de même par la création, en 1847, d’une association dont le but est de réunir une collection d’estampes. Elle prend le nom de Société Schongauer, référence évidente à ce brillant peintre et graveur originaire de Colmar qu’est Martin Schongauer (paradoxalement, le musée n’acquerra sa première œuvre de l’artiste qu’en 1978). D’autre part, on découvre l’année suivante dans le village voisin de Bergheim une somptueuse mosaïque de 80 m², qui ornait autrefois le sol d’une villa gallo-romaine et qui est achetée par la ville de Colmar. En 1849, la Société Schongauer propose un projet d’installation d’un musée dans l’ancien couvent d’Unterlinden, désormais désaffecté. Elle reçoit une réponse favorable de la municipalité, qui lui attribue une partie du cloître et l’église, dans laquelle est présentée la mosaïque. Le musée ouvre ses portes au public le 3 avril 1853 et est resté depuis cette date géré par l’association, un mode de gestion tout à fait particulier dans le paysage muséal français.

Vue de l’extension du musée. © photo Peter Mikolas
Des collections encyclopédiques
Outre la mosaïque de Bergheim, le musée présente des œuvres issues des séquestres révolutionnaires, qui témoignent du travail et de l’intérêt pour le Moyen Âge de deux érudits locaux, Jean-Pierre Marquair et Jean-Jacques Karpff. Vite à l’étroit, le musée occupe petit à petit l’ensemble de l’édifice. Des enrichissements réguliers et éclectiques viennent compléter la collection, qui compte désormais des armes, des céramiques, des collections archéologiques, etc. Qualifié de « minuscule Cluny » par Joris-Karl Huysmans au début du XXe siècle, le musée Unterlinden connaît plusieurs réaménagements afin d’améliorer la présentation des œuvres et le confort des visiteurs. En 1973-1974, une première extension, souterraine, est réalisée afin de pouvoir présenter les collections d’art moderne. L’affectation au musée des bains municipaux et la construction d’une aile contemporaine par les architectes bâlois Herzog & de Meuron, inaugurée en 2015, ont récemment permis de redéployer les collections de manière plus cohérente tout en intégrant l’institution de manière harmonieuse dans le tissu urbain.
« Outre la mosaïque de Bergheim, le musée présente des œuvres issues des séquestres révolutionnaires, qui témoignent du travail et de l’intérêt pour le Moyen Âge de deux érudits locaux, Jean-Pierre Marquair et Jean-Jacques Karpff. »
Aux origines du musée
Découvert par hasard en 1848, ce pavement provient d’une villa romaine située sur un coteau dominant la plaine d’Alsace. Ce décor luxueux, composé de milliers de petits cubes de pierres colorées, signale une demeure de qualité. Sa composition complexe, essentiellement géométrique, évoque un tapis richement orné. Elle est caractéristique de la production des ateliers de la région de Trèves au IIIe siècle. Sitôt découverte, cette mosaïque est achetée par le département du Haut-Rhin et par la ville de Colmar. Elle est alors transférée dans l’église du couvent d’Unterlinden, cédée à la Société Schongauer pour y créer un musée, dont elle est une des premières œuvres.

Mosaïque de Bergheim, IIIᵉ siècle après J.-C. Tesselles en marbre et en pierres colorées, 18 m². Photo service de presse. © musée Unterlinden, Colmar
La dévotion à la Vierge
Une douce mélancolie se dégage de cette Vierge à la tête inclinée et aux paupières baissées. Tout à sa réflexion sur le sacrifice à venir de son fils, elle ignore les gesticulations de l’Enfant, qui attrape son pouce et une mèche de ses cheveux. Cette subtilité dans les postures et dans l’expression des sentiments témoigne de l’influence du sculpteur Nicolas de Leyde (vers 1430-1473) sur les artistes strasbourgeois. La dévotion à la Vierge immaculée explique la multiplication des images montrant cette dernière debout sur un croissant de lune, l’assimilant ainsi à la Femme de l’Apocalypse.

Vierge à l’Enfant dite de Niedermorschwihr, Rhin supérieur, Strasbourg, vers 1500. Bois polychrome. Photo service de presse. © musée Unterlinden, Colmar – Photo : Christian Kempf
Un illustre peintre
La ville de Colmar peut s’enorgueillir d’avoir vu naître Martin Schongauer (vers 1445-1491), illustre artiste de la fin du Moyen Âge. Bien qu’il soit surtout connu pour ses gravures sur cuivre, on lui attribue également sept peintures sur bois. Ces deux panneaux composaient les volets latéraux d’un retable destiné à la commanderie des Antonins d’Issenheim. Dédié à la Vierge, il fut commandé par Jean d’Orlier, le supérieur du couvent, représenté en prière aux pieds du saint patron de son ordre, saint Antoine. Ce dernier est reconnaissable à ses attributs : une crosse en forme de tau, un livre et un cochon. Sur le second panneau, la Vierge est représentée en adoration devant l’Enfant, dans un jardin évoqué par une palissade de bois et les fraisiers qui couvrent le sol. Schongauer démontre ici tout son talent : les compositions sont adaptées au cadre étroit des panneaux, les personnages aux traits fins et aux carnations délicates, vêtus de tenues rehaussées de multiples plis, se détachent sur un somptueux fond doré.

Martin Schongauer, Retable d’Orlier, 1470-1475. Huile sur bois, 188 x 55 cm. Photo service de presse. © musée Unterlinden, Colmar – Photo : Christian Kempf
Dangereuse mélancolie
Dans un intérieur dépouillé, une jeune femme ailée pèle une baguette. Cette activité pourrait être interprétée comme un signe de désœuvrement, source de la mélancolie qui donne son nom à cette œuvre. Cette iconographie complexe s’inspire directement d’une gravure réalisée par Albrecht Dürer en 1514. Si ce dernier fait de la mélancolie l’état qui résulte de l’incapacité de l’homme à comprendre l’univers malgré les outils dont il dispose (le chien est l’animal de compagnie des érudits, tandis que la sphère symbolise la géométrie), Cranach préconise de la combattre par la prière et la prise raisonnable de nourriture et de boisson, visibles sur la table.

Lucas Cranach l’Ancien, La Mélancolie, 1532. Huile sur bois, 76,5 x 56 cm. Photo service de presse. © musée Unterlinden, Colmar – Photo : Christian Kempf
Le « Nabi japonard »
Membre du groupe des Nabis, Pierre Bonnard partage avec ses camarades le goût pour l’art japonais. Il en résulte une esthétique très personnelle que reflète ce Paysage normand. Le choix du cadrage et la construction de la perspective s’inspirent des kakémonos japonais et seule la couleur permet de reconstituer la profondeur de la scène. Comme les Fauves, Bonnard se plaît à jouer avec les couleurs, très vives, et à dépasser le mimétisme de la nature pour exprimer à travers elles une harmonie visuelle qui reflète ses émotions.

Pierre Bonnard, Paysage normand, 1920. Huile sur toile, 100 x 58 cm. Photo service de presse. © musée Unterlinden, Colmar – Photo : Christian Kempf
Musée Unterlinden, place des Unterlinden, 68000 Colmar. Tél. 03 89 20 15 50. www.musee-unterlinden.com
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