Postérieur de quelques années au premier séjour de Vernet en Algérie, ce tableau « souvenir » de chasse, mâtiné de rêverie cynégétique orientaliste réchauffée au soleil d’Afrique, fut – hypothétiquement – exposé à Paris au Salon de 1836 sous le titre de « Chasse dans le désert du Sahara 28 mai 1833 ». Conservé à la Wallace Collection, il est présenté jusqu’au 17 mars 2024 sur les cimaises de l’exposition « Horace Vernet » à Versailles.
Cet énoncé « positif », pourvu d’une date, laissait entendre au spectateur que le peintre avait participé à ce rapt de lionceaux et à la mise à mort de leurs géniteurs, ou du moins qu’il en avait été le témoin en Afrique du Nord. On sait que Vernet, dont le père avait été un peintre de scènes de chasse actif, dès l’Ancien Régime, fut lui-même intéressé par les sujets cynégétiques. Il fut en outre un chasseur. La présente exposition comporte d’ailleurs une belle « carabine de chasse mauresque » (coll. part.) ornée de fines arabesques, commandée en 1840 par le peintre à Henri Lepage, grand armurier parisien qui fournissait, en particulier, la maison d’Orléans.
La chasse, l’Afrique et l’histoire de l’art…
Au-delà de l’aspect réaliste de cette chasse, dans son principe du moins (à l’état sauvage, les lions dits de l’Atlas ne disparurent d’Afrique du Nord, et notamment d’Algérie, qu’au XXe siècle)1 , le thème, qui attira aussi Delacroix parmi les grands artistes contemporains, offrait surtout l’occasion de transporter le spectateur dans un climat d’exotisme intemporel à la fois paroxystique et pittoresque. Il autorisait, en outre, une émulation féconde avec l’histoire de la peinture elle-même. Nul spectateur un tant soit peu instruit des choses de l’art ne pouvait manquer de relever la parenté d’une composition comme celle-ci avec d’autres mêlées furieuses dont l’issue était la vie pour le vainqueur et la mort pour le vaincu : la frénétique bataille d’Anghiari de Léonard de Vinci, grande composition florentine du début du XVIe siècle, perdue dès la Renaissance mais connue par de multiples copies et estampes, et surtout les monumentales chasses de Rubens diffusées par les graveurs du XVIIe siècle. Avec leurs spirales fatales, existentielles, les chasses de Rubens abolissaient de facto la frontière entre les genres picturaux : l’histoire – représentation des faits exemplaires, mémorables – et le « genre », plus anecdotique, mais plus ancré dans le réel. Les potentialités plastiques et expressives de cette hybridation ne furent pas oubliées par les artistes européens.
Sur les cimaises de la Wallace Collection
Préparé par une petite esquisse sur toile très « finie » (New York, Dahesh Museum of Art), le présent tableau fut acquis en 1860 par un fastueux collectionneur britannique francophile, Richard Seymour-Conway, quatrième marquis de Hertford, après un détour par Bruxelles2. La Wallace Collection doit au marquis un très important ensemble d’œuvres de Vernet alors à l’apogée de sa gloire : pas moins de trente peintures et dessins couvrant presque tous les genres abordés par l’artiste.
Alexis Merle du Bourg
1 Soulignons qu’aux yeux d’une partie de la presse contemporaine (Le Navigateur, Revue maritime, 1837), ce type de tableau reproduisait « avec exactitude » des chasses dans le désert africain.
2 Vente Charles Vandenberghe, 3-5 mai 1858, lot n° 160.
Article à retrouver dans :
Dossiers de l’Art n° 313
Horace Vernet (1789-1863)
82 p., 11 €.
À commander sur : www.dossiers-art.com
« Horace Vernet (1789-1863) »
Jusqu’au 17 mars 2024 au château de Versailles
Salles d’Afrique et de Crimée
Place d’Armes, 78000 Versailles
Tél. 01 30 83 75 05
www.chateauversailles.fr
Catalogue de l’exposition
Horace Vernet (1789-1863)
448 p., 54 €.
À commander sur : www.faton-beaux-livres.com