Guido « le Divin » est de retour au Städel Museum

L’Assomption de la Vierge (détail), vers 1598-1599. Huile sur cuivre, 58 x 44,4 cm. Francfort, Städel Museum. Photo service de presse. © Städel Museum
Le Städel Museum de Francfort-sur-le-Main organise la première rétrospective consacrée au Bolonais Guido Reni (1575-1642) depuis trente ans. Le point de départ en a été une petite Assomption de la Vierge offerte, en 2014, au musée pour ses 200 ans d’existence, jalon pour la connaissance de l’artiste. Avec 130 œuvres réunies, peintures, dessins et gravures, provenant des plus grands musées internationaux, le musée allemand offre un lumineux éclairage sur celui qu’on a souvent présenté comme le rival de Caravage.
Guido Reni, célébré de son vivant comme l’un des plus importants artistes de son temps et déjà surnommé « il Divino », a été redécouvert au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quand Bologne, sa ville natale, lui a consacré en 1954 une rétrospective. Puis en 1988-1989, une nouvelle exposition itinérante, à Bologne, Los Angeles, Fort Worth et Francfort, l’a magistralement mis à l’honneur.
« […] très conscient, comme Caravage, de la supériorité de son art, effrayé par les femmes à l’exception de sa mère qu’il adorait, Guido Reni était âpre au gain, rancunier, prompt à s’emporter. »
La rétrospective du Städel Museum, accompagnée d’un catalogue mêlant essais érudits et notices détaillées, offre à la fois un parcours chronologique et thématique, permettant d’appréhender toutes les facettes de l’art de Guido Reni, y compris celle moins connue de l’estampe. Elle s’ouvre ainsi avec une salle dédiée aux Assomptions de la Vierge, dont le thème apparaît pour la première fois avec la petite huile sur cuivre offerte au Städel en 2014. Datée de 1598-1599, elle prélude à une longue série et contient en germe tous les développements ultérieurs de l’artiste sur ce thème. Pour la première fois sont réunies les deux versions de l’Assomption et du Couronnement de la Vierge du Prado (1602-1603) et de la National Gallery de Londres (1607), ainsi que l’Immaculée Conception du Met à New York (1627). Elles permettent aussi de comprendre les raisons de ce surnom de Divin donné à l’artiste, tant son art réussit à matérialiser, aux yeux de ses contemporains, une essence céleste invisible, et lui fit pardonner, ici-bas, ses impossibles frasques.

David avec la tête de Goliath, vers 1605-1606. Huile sur toile, 228 x 163 cm. Orléans, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © Orléans, musée des Beaux-Arts
Qui était Io Guido Reni Bologna ?
Sur une étonnante feuille de croquis, datée de 1600 environ et présentée à Francfort, l’artiste s’exerce patiemment, comme un enfant, à tracer sa signature à la plume. On y lit à plusieurs reprises, entre études de jambes et de torse, l’inscription : Io Guido Reni Bologna. Le caractère complexe de l’artiste est connu grâce aux écrits d’un de ses jeunes admirateurs, Cesare Malvasia (1616-1693), de trente-six ans son cadet. Alter ego bolonais du Florentin Giorgio Vasari, il rédigea un recueil biographique riche d’informations, Felsina pittrice : vite de’pittori bolognesi (1678), où Guido Reni occupe une place prépondérante. Il était, pour Malvasia, le fondateur de la maniera moderna, celui qui réunissait en son art l’apogée de tout ce qui avait été fait auparavant. Guido Reni laissait sa porte ouverte à qui voulait le voir peindre et, très tôt, Malvasia put fréquenter son atelier, recueillant scrupuleusement ses paroles et les moindres documents le concernant. Il livre ainsi le meilleur témoignage de la personnalité ambiguë du maître : très conscient, comme Caravage, de la supériorité de son art, effrayé par les femmes à l’exception de sa mère qu’il adorait, Guido Reni était âpre au gain, rancunier, prompt à s’emporter ; son addiction maladive au jeu le couvrait de dettes, et sa profonde piété n’avait d’égale que sa superstition…

L’Assomption de la Vierge, vers 1598-1599. Huile sur cuivre, 58 x 44,4 cm. Francfort, Städel Museum. Photo service de presse. © Städel Museum
Des débuts bolonais à l’ascension romaine
Sa formation commence enfant, quand il entre dans l’atelier du peintre maniériste Denys Calvaert (1540-1619), où il reste une dizaine d’années. S’estimant trop peu payé pour les commandes qu’il reçoit, il se brouille avec son premier maître et rejoint l’Académie des Carrache en 1595. Mais lorsque trois ans plus tard, Ludovic ne lui verse que 10 scudi pour une Adoration des Mages, Guido Reni, furieux, claque à nouveau la porte, s’installe à son compte et s’emploie à détourner à son profit les commandes de Ludovic… Après ces premières années marquées par l’assimilation du maniérisme de Calvaert, du classicisme des Carrache et de l’art des grands maîtres de la Renaissance, Raphaël et Parmesan, Guido Reni part pour Rome en 1601. Il y retrouve ses compatriotes l’Albane et le Dominiquin et exécute plusieurs commandes importantes pour le Cardinal Paolo Emilio Sfondrati. C’est là qu’il rencontre probablement le Caravage (1571-1610) et le Cavalier d’Arpin (1568-1640), qui le prend sous son aile. Malvasia le présente alors dans sa biographie comme « l’anti-Caravage ». Les œuvres exposées à Francfort montrent qu’il serait trop simple de croire à une telle antithèse. En témoignent les savants clairs-obscurs du Christ à la colonne (vers 1604) du Städel Museum, le David avec la tête de Goliath (vers 1605-1606) du musée des Beaux-Arts d’Orléans, récemment réattribué au maître ou encore le grand tableau d’autel du musée diocésain d’Albenga, Le Martyre de sainte Catherine d’Alexandrie (vers 1606). Cette influence perdure plus tard dans l’emploi répété de cadrages serrés avec des figures à mi-corps, tels Loth et ses filles (vers 1614-1615) ou Suzanne et les vieillards (vers 1622-1623), prêtés par la National Gallery de Londres.

Bacchus et Ariane, vers 1614-1616. Huile sur toile, 96,5 x 86,4 cm. Los Angeles, Los Angeles County Museum of Art. Photo service de presse. © Los Angeles County Museum of Art
Un Divin au caractère de diva
Reni devient bientôt l’une des gloires incontournables de la Ville éternelle et exécute plusieurs projets majeurs de fresques pour le pape Paul V et son puissant neveu, le cardinal Scipion Borghèse. Son livre de comptes, tenu d’octobre 1609 à mai 1612, également présenté au Städel, offre alors un témoignage précieux de son activité. Mais fatigué de la pression romaine, Reni retourne à Bologne en 1612. Le pape, peu enclin à le laisser partir, lui demande toutefois de revenir peindre une fresque pour le tout nouveau pavillon du cardinal Borghèse dans les jardins du Quirinal. Reni refuse d’obtempérer (Bologne fait alors partie des États pontificaux), l’affaire s’envenime et l’artiste est sur le point d’être jeté en prison. Il faut toute l’habileté du marquis Facchinetti pour persuader le souverain pontife que le génie de Reni ne peut se soumettre à une punition qui frapperait le commun des mortels, et convaincre ledit génie de revenir à Rome. Paul V l’accueille alors comme un prince et Guido Reni peint sa célèbre fresque de l’Aurore… Ce démêlé ombrageux n’est qu’un exemple des nombreux incidents et altercations qui ponctuent la carrière de l’artiste dans ses rapports complexes avec ses commanditaires les plus hauts placés.
« […] tout lui est pardonné au nom de son grand art, car il n’y a qu’un seul Guido Reni sur cette terre. »
Urbain VIII
Des années plus tard, à nouveau à Rome, Guido Reni se fâche ainsi avec l’ambassadeur d’Espagne qui lui avait commandé une Immaculée Conception pour l’infante et un Enlèvement d’Hélène pour le roi, et, sur un nouveau coup de tête, emporte l’Immaculée Conception à Bologne, en refusant de la livrer à l’ambassadeur. Soucieux de maintenir de bonnes relations diplomatiques avec l’Espagne, le nouveau pape Urbain VIII la fera rapatrier à ses frais à Rome, et soupirera avec philosophie : « tout est permis aux peintres et aux poètes. Il faut être indulgent face à ces grands hommes, parce que c’est ce même excès de l’esprit qui les constitue qui les conduit inexorablement à agir si bizarrement… Mais à la fin… tout lui est pardonné au nom de son grand art, car il n’y a qu’un seul Guido Reni sur cette terre ».

Hippomène et Atalante, vers 1615-1618. Huile sur toile, 193 x 272 cm. Madrid, musée national du Prado. Photo service de presse. © musée national du Prado
De la prima maniera à la seconda maniera
Malgré ces incursions romaines Guido Reni se fixe définitivement dans sa ville natale à partir de 1614. Il a alors assimilé toute la richesse des expériences de la Ville éternelle, y compris l’art du Caravage. Il affirme un style original et puissant, que Malvasia qualifie de prima maniera. Au faîte de sa gloire, il n’hésite pas à demander la somme astronomique de 1000 scudi pour un retable figurant l’Assomption de la Vierge (1616) et le fait savoir aussitôt à son ancien maître, Ludovic Carrache, qui ne lui en avait octroyé autrefois que 10 pour son Adoration des Mages…. Une commande majeure, passée en 1613, l’absorbe pendant plusieurs années, l’immense panneau du retable de la Pietà dei Mendicanti conservé à la Pinacothèque de Bologne, tandis que des thèmes nouveaux apparaissent dans son œuvre, celui de Lucrèce ou des héros bibliques ou mythologiques qui offrent l’opportunité au peintre de réaliser toute une série de nus masculins monumentaux. Parmi les sections thématiques de l’exposition, celle consacrée aux têtes d’extase montre toute la virtuosité de Guido dessinateur, ou plutôt du « Divin » dessinateur : exécutées à la craie noire et rouge, le regard tourné vers le ciel, elles montrent le soin extraordinaire accordé par l’artiste à l’expression de ses figures, des années romaines à sa prima maniera, puis à la dernière expression de sa maturité, la seconda maniera.
« À la compagnie des princes et des grands, devant lesquels il refusait de se découvrir, il préférait celles des humbles et des joueurs. »
À partir de la fin des années 1620, en effet, le style de l’artiste évolue. Sa palette s’éclaircit : Malvasia raconte que Guido Reni utilise de plus en plus de blanc de plomb dans sa peinture, afin d’éviter l’assombrissement des couleurs qu’il avait pu observer dans les œuvres anciennes d’autres artistes. Ce blanc de plomb donne à ses toiles cet éclat porcelainé qu’elles ont conservé, tandis que son usage de la couleur se libère et se dégage de ses premiers clairs-obscurs, plus marqués. Les tonalités argentées confèrent alors à ses œuvres une singulière radiance. La lumière oblique qui traverse ses compositions, à l’exemple de la Vision de saint Andrea Corsini (1629-1630) des Offices, de la Madeleine pénitente (vers 1631-1632) du Palais Barberini à Rome ou du Christ sur la croix de 1636 de la Galleria Estense à Modène, caractérise aussi cette seconda maniera. Guido Reni meurt en 1642, à la tête d’un immense atelier à Bologne, employant, dit-on, quatre-vingts personnes afin de satisfaire aux nombreuses commandes et demandes de copies qui lui étaient faites et qui lui permettaient de rembourser ses dettes de jeux. À la compagnie des princes et des grands, devant lesquels il refusait de se découvrir, il préférait celles des humbles et des joueurs. L’exposition du Städel Museum s’achève sur un étonnant groupe d’œuvres très librement esquissées dans des tonalités monochromes. Exemple de non-finito voulu ou d’abozzi, compositions commencées mais jamais achevées ? C’est encore un des mystères qui entourent la personnalité et l’œuvre du Divin.

Étude pour la tête du Christ, 1620. Craie rouge sur papier, 34,4 x 26,7 cm. Windsor, Windsor Castle, Royal Collection Trust. Photo service de presse. © His Majesty King Charles III 2023
« Guido Reni le Divin », du 23 novembre 2022 au 5 mars 2023 au Städel Museum, Schaumainkai 63, 6059 Francfort-sur-le-Main. Tél. 00 49 69 60 50 98 200. www.staedelmuseum.de
Catalogue, Hatje Cantz, 2022, 328 p., version anglaise ou allemande, 50 €, avec de nombreux essais, en particulier celui de Bastian Eclercy, « Guido Reni and the Beauty of The Divine, The Assomption of the Virgin and its Metamorphoses » et de Sybille Ebert-Schifferer « The Artist, a Prince : Guido Reni’s Career of Self-Stylisation and Vice ».





