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Raphaël : des portraits touchés par la grâce

Raphaël, Portrait de femme voilée (détail), dit La Donna velata, vers 1512-1518. Huile sur toile, 82 x 60,5 cm. Florence, Galleria Palatina, Palazzo Pitti.

Raphaël, Portrait de femme voilée (détail), dit La Donna velata, vers 1512-1518. Huile sur toile, 82 x 60,5 cm. Florence, Galleria Palatina, Palazzo Pitti. © Archives Alinari, Florence, dist. RMN – R. Bencini

Raphaël a laissé une vingtaine de portraits originaux, novateurs à plus d’un titre. Il excelle aussi bien dans le portrait d’apparat sur panneau que dans des formules plus intimes, qui ont contribué à donner ses lettres de noblesse à l’huile sur toile. La recherche récente en ce domaine a permis de réévaluer le rôle joué par Giulio Romano au sein de l’atelier.

Les premiers portraits de Raphaël, peints à Urbino puis entre Pérouse et Florence auprès de Pietro Perugino, sont sujets à caution ou en mauvais état. L’Autoportrait de la galerie des Offices est la seule effigie à porter un cadre comparable à ceux que ces œuvres devaient revêtir à l’origine : leur polychromie mêlait l’or et l’azur, à l’instar du cadre original de la Sainte Cécile de la Pinacothèque de Bologne. Les majestueux cadres actuels des tableaux, aux larges moulures sculptées et dorées, témoignent de l’intérêt continu porté aux portraits de Raphaël depuis la Renaissance.

« …[I]l faut fuir, autant qu’il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l’affectation. »

Baldassare Castiglione, 1528

Raphaël, Autoportrait, vers 1505-1506. Huile sur peuplier, 47,5 x 33 cm. Florence, galerie des Offices.

Raphaël, Autoportrait, vers 1505-1506. Huile sur peuplier, 47,5 x 33 cm. Florence, galerie des Offices. © Gabinetto Fotografico delle Gallerie degli Uffizi

La leçon des prédécesseurs

Décrits par Vasari dans sa vie de l’artiste (1550), les portraits en pendants d’Agnolo Doni, riche marchand de drap florentin, et de son épouse issue de la noblesse, Maddalena Strozzi, sont dans un état excellent qui permet d’apprécier la technique picturale du jeune peintre. Raphaël révèle ici l’assimilation des formules de Léonard de Vinci : la référence au modèle de La Joconde a-t-elle été explicite de la part des commanditaires ? Les époux, assis, prennent appui sur une balustrade d’où ils dominent un paysage panoramique hérité de la tradition flamande, réinterprétée par Pérugin dont on reconnaît le motif typique de l’arbre tige. La pose se veut naturelle, par cette légère torsion du buste qui suscite les raccourcis, et par le cadrage serré qui donne de la force à la composition. Manifestement, les modèles en voulaient pour leur argent : la palette est lumineuse et riche, avec des effets de contraste dans la robe de soie moirée orangé et bleu vif de Maddalena. Les figures regardent le spectateur, signe d’une longue pose. La virtuosité se révèle autant dans le faste du costume que dans la véracité des traits, abordés sans concession, notamment ceux de la jeune femme.

Portraits d’apparat

Une fois à Rome vers 1508, Raphaël devient un portraitiste très prisé. Il peint à l’huile sur bois un portrait à mi-corps du pape Jules II d’une grande puissance, où le modèle apparaît en grandeur naturelle, sur un trône tourné de trois quarts. Cette formule, tout à fait nouvelle, a connu une immense postérité. Des repentirs sont visibles sous le fond vert : il s’agit de motifs héraldiques, les clefs de saint Pierre, alternant avec des chênes, allusion au nom de famille du pape, della Rovere. Ceux-ci ont été remplacés ensuite par des glands qui ornent les montants du trône. Là encore, la formule finalement retenue joue sur une effet de contraste primaire entre le fond vert très dense et la pourpre cardinalice du chef de l’Église. Le regard tristement dirigé vers le bas, Jules II apparaît comme un vieillard apaisé, lui qui fut un grand chef de guerre. Un dessin préparatoire à la sanguine est conservé à Chatsworth en Angleterre : le geste du maître est sûr. Du fait de l’afflux de commandes, il arrive que Raphaël délègue le travail de dessin préparatoire et une large part de l’exécution de l’œuvre peinte à son atelier, en particulier à son plus brillant collaborateur, Giulio Romano. Vasari rapporte que le portrait de la vice-reine de Naples, Isabelle de Requesens (Paris, musée du Louvre), a d’abord été croqué à Naples par un assistant. L’examen du tableau révèle que le visage, en particulier le regard, a subi des modifications. On considère cependant que l’essentiel du tableau n’est pas de la main du maître, bien que le panneau fût destiné à François Ier.

Raphaël, Portrait de Jules II, 1511. Huile sur peuplier, 108,7 x 81 cm. Londres, National Gallery.

Raphaël, Portrait de Jules II, 1511. Huile sur peuplier, 108,7 x 81 cm. Londres, National Gallery. © The National Gallery, Londres, dist. RMN / National Gallery Photographic Department

L’énigmatique Fornarina

En réalité, même un portrait signé de Raphaël peut avoir été exécuté par l’atelier : ainsi de la Fornarina, censée représenter la mystérieuse maîtresse du peintre. Cette Vénus moderne porte un bracelet où est inscrite en lettres d’or la signature du maître. De manière intéressante, ce tableau érotique destiné à la contemplation privée est peint sur bois, tandis que la Donna Velata, cette majestueuse femme voilée tout en courbes et à la palette si douce, est à l’huile sur toile, un support bien moins prestigieux à l’époque. La Fornarina pourrait-elle avoir été peinte en réponse à la Laura dénudée de Giorgione (1506, Vienne, Kunsthistorisches Museum) ? Les auteurs du catalogue Raphaël, les dernières années estimaient que l’arrivée à Rome de Sebastiano del Piombo en 1511 avait aiguillonné Raphaël, qui avait aussi certainement connaissance des travaux de Bellini, Giorgione et du jeune Titien grâce aux cardinaux de la cour pontificale.

Raphaël, Portrait de femme dit La Fornarina, vers 1518-1520. Huile sur peuplier, 87 x 63 cm. Rome, Gallerie Nazionali – Palazzo Barberini.

Raphaël, Portrait de femme dit La Fornarina, vers 1518-1520. Huile sur peuplier, 87 x 63 cm. Rome, Gallerie Nazionali – Palazzo Barberini. © Archives Alinari, Florence, dist. RMN – A. Vasari

« En vérité, si le nom de peinture s’applique aux ouvrages des autres artistes, ceux de Raphaël peuvent être appelés des choses vivantes ; dans ses figures, la chair frémit […]. »

Giorgio Vasari, 1550

Figures intimes

En effet, après avoir tiré les leçons de Léonard de Vinci et Pérugin à Florence, Raphaël se montre ouvert aux nouveautés vénitiennes. C’est dans les portraits d’amis qu’il expérimente le plus volontiers de nouvelles techniques. Non seulement il adopte le support de toile, dont on sait qu’il était parfois marouflé sur bois et non encore tendu sur un châssis, mais il teste aussi la préparation gris clair, que l’on repère chez Giovanni Bellini dès 1510. On la retrouve notamment dans l’Autoportrait avec Giulio Romano, la Velata et le Portrait de Castiglione, soit les portraits de la maturité. Cette préparation grise à base de blanc de plomb et noir d’os permet une économie de moyens dans le montage des tons neutres typiques de ces portraits. Les fonds abstraits, gris ou chamois, sont également appelés à un grand avenir dans l’histoire de la peinture, rompant avec le fond qui, jusqu’alors, était un signe de la richesse du commanditaire. Pour autant, le si attachant autoportrait de Raphaël avec Giulio Romano a perdu de sa superbe : les analyses montrent que le vêtement de Raphaël était violacé, mêlant azurite et laque rouge, et qu’il s’est assombri avec le temps. Focalisés sur l’identité de cet ami qui avait le droit de porter l’épée, et que l’on identifie aujourd’hui à l’assistant préféré du maître, si souvent investi dans la réalisation de ses portraits, nous avons oublié de considérer la possibilité qu’il s’agisse d’un double autoportrait ou d’un portrait croisé. Ne serait-ce pas là la meilleure preuve du lien qui unissait les deux artistes ? La main tendre de Raphaël posée sur l’épaule, la fougue du jeune homme dont le bras tendu vers l’avant produit un raccourci saisissant font de ce tableau une parfaite image de l’amitié.

Raphaël, Autoportrait avec Giulio Romano, vers 1519-1520. Huile sur toile, 99 x 83 cm. Paris, musée du Louvre.

Raphaël, Autoportrait avec Giulio Romano, vers 1519-1520. Huile sur toile, 99 x 83 cm. Paris, musée du Louvre. © RMN (musée du Louvre) – G. Blot

L’ami Castiglione

Parmi les portraits autographes de Raphaël, celui de Baldassare Castiglione occupe le tout premier rang : c’est l’aboutissement de sa démarche artistique. Sur une toile très fine au tissage serré, probablement une toile de Reims, Raphaël a jeté une préparation gris clair et un dessin à la sanguine, très libre. Il a ensuite posé des tons neutres, ocre, terre d’ombre naturelle, et des noirs profonds, jadis animés de glacis qui ont hélas été usés par d’anciens nettoyages. Au premier tiers du tableau est magnifié le regard bleu quasi frontal de son ami Castiglione, ambassadeur du duc d’Urbino à Rome. Une très fine touche de blanc de plomb vient suggérer l’humidité au bord de l’œil. Des repentirs transparaissent dans le chapeau et le dessin de l’épaule. L’ombre à droite derrière le personnage crée une diagonale extrêmement dynamique. En outre, le peintre a audacieusement placé plus près du spectateur le côté du visage qui demeure dans l’ombre, ce qui renforce l’impression de profondeur suggérée par la pose de trois quarts. Le costume à la mode des années 1510 donne du volume au buste, grâce à un épais pourpoint aux manches bouffantes en fourrure de petit gris, en harmonie avec le fond taupe. La tête est comme couronnée par une calotte noire recouverte d’un large béret taillé en créneaux. Tout s’accorde pour donner à la figure présence, grâce et naturel. Castiglione n’est pas encore l’auteur du célèbre Livre du courtisan (1528) où il décrit l’idéal de détachement du courtisan modèle, dont on ne doit percevoir que le raffinement et non l’effort, mais déjà, grâce à sa technique épurée, le portrait qu’en livre son ami peintre rend hommage à son élégance intemporelle.

Raphaël, Portrait de Baldassare Castiglione, vers 1514-1515. Huile sur toile, 82 x 67 cm. Paris, musée du Louvre.

Raphaël, Portrait de Baldassare Castiglione, vers 1514-1515. Huile sur toile, 82 x 67 cm. Paris, musée du Louvre. © Musée du Louvre, dist. RMN – A. Dequier

Pour en savoir plus
Meyer zur Capellen J., Raphaël, A critical Catalogue of his Paintings, Landshut, vol. 1, 2001 et vol. 3, 2008. 
Raphaël, from Urbino to Rome, cat. exp. Londres, National Gallery, 2004. 
Raphaël. Les dernières années, cat. exp. Paris, musée du Louvre, 2012.