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Le roman des momies (1/4). Qu’est-ce qu’une momie ?

Momie d’Irthorru. Basse Époque, XVIᵉ dynastie, vers 600 avant notre ère, EA 20745.

Momie d’Irthorru. Basse Époque, XVIᵉ dynastie, vers 600 avant notre ère, EA 20745. © The Trustees of the British Museum

Les plus vielles datent de 7 000 ans, bien avant l’âge d’or de la civilisation égyptienne à laquelle on les associe habituellement. Leur étude a fait des progrès considérables ces dernières années, grâce aux avancées de la médecine, notamment celles de l’imagerie 3D ainsi que des analyses biomoléculaires. Selon le vieux précepte de l’anatomie clinique Mortui vivos docent, « les morts enseignent aux vivants », et par le biais de la bio-archéologie, elles sont venues enrichir les connaissances médicales dans leur profondeur historique. Mais qui sont ces momies, fascinantes et envoûtantes, devenues pour certaines des stars ? Réponse, dans ce dossier, au fil d’exemples saisissants.

Homme des tourbières de Borremose. Il a été découvert à Himmerland au Danemark. Âge du bronze nordique (840 avant notre ère). Comme souvent, les corps des tourbières portent des traces de mort violente, ici une corde autour du cou.

Homme des tourbières de Borremose. Il a été découvert à Himmerland au Danemark. Âge du bronze nordique (840 avant notre ère). Comme souvent, les corps des tourbières portent des traces de mort violente, ici une corde autour du cou. © DR

La momie est à la frontière des choses : ni objet, car il s’agit d’une personne, ni sujet, car c’est un mort, ni cadavre frais tel qu’on en voit dans les morgues, ni squelette tel qu’on en aligne dans les collections d’anatomie. Il s’agit donc d’une « chose humaine », corps ou partie de corps, plus ou moins encore habillée de chairs et de peau, mais desséchée et d’aspect plus complet qu’un simple squelette.

Tout cadavre échappant à l’injure du temps devient un voyageur débarquant du passé, un « messager ancien », selon les mots de l’anthropologue danois Niels Lynnerup, une capsule spatio-temporelle miraculeusement préservée, dans laquelle pourra se lire un large ensemble d’informations relevant tant de la biographie du mort que du contexte culturel de son existence. C’est ce qui fait l’extraordinaire singularité des momies.

L’origine du mot

La médecine a emprunté à la science arabe le mot de momie (mūmiya), qui viendrait du persan mūm, cire ou bitume, décrivant d’abord les substances utilisées par les Anciens pour conserver leurs morts. On tirait des momies, réduites en poudre, un remède appelé mummia, dont les vertus thérapeutiques étaient très populaires depuis les Croisades ; on dit d’ailleurs que le roi François Ier avait toujours un sachet de cette poudre sur lui. Les momies étant rares, on vit les faux médicaments se multiplier, et entretenir la confusion entre asphalte et véritable chair momifiée.

Momie naturelle du Yémen. Le musée de Sanaa abrite une douzaine de momies naturelles, datées entre le Xᵉ siècle avant notre ère et le VIIᵉ siècle de notre ère, souvent enveloppées d’une peau de bœuf ou de chameau cousue.

Momie naturelle du Yémen. Le musée de Sanaa abrite une douzaine de momies naturelles, datées entre le Xᵉ siècle avant notre ère et le VIIᵉ siècle de notre ère, souvent enveloppées d’une peau de bœuf ou de chameau cousue. © A. Froment

Deux grandes familles de momies

On distingue la momification naturelle de la momification artificielle. La première se produit sous l’effet de la déshydratation du cadavre en climat chaud et sec, ou encore de la congélation (comme dans le cas des enfants incas du Llullaillaco offerts à la montagne, ou celui d’une famille Inuit du Groenland découverte dans une tombe du XVe siècle à Qilakitsoq) ; la seconde résulte d’une intervention thanatopraxique, avec souvent une éviscération des organes les plus susceptibles de se décomposer. Les momies naturelles sont la plupart du temps vêtues ou parfois, comme au Yémen, perservées dans un sac cousu en peaux animales de bœuf ou de dromadaire. Dans la province occidentale chinoise du Xinjiang, annexée par la Chine en 1759, des corps conservés par l’aridité du désert du Taklamakan ont révélé une population de type européen, datant des deux derniers millénaires avant notre ère. Un cas particulier est représenté par les corps découverts dans les tourbières d’Europe du Nord ou bog bodies ; l’anoxie (ou absence d’oxygène) a permis de préserver la peau et l’apparence extérieure de ses sujets qui ont en général été, pour des raisons que l’on ignore, exécutés ; l’acidité de ce milieu très spécifique a néanmoins parfois complètement dissous le squelette.

Le palmarès des plus vieilles momies du monde

L’Égypte, qui passe pour le pays par excellence des momies, car la religion y était particulièrement préoccupée par la vie dans l’au-delà, n’est pourtant pas le pays où cette technique est la plus ancienne…

Les plus anciennes momies naturelles

Nous ne mentionnerons pas, ici, au rang de momies les nombreux animaux préhistoriques, surtout des mammouths, découverts en Sibérie congelés depuis des dizaines de milliers d’années dont certains étaient, dit-on, encore comestibles. La dépouille humaine la plus anciennement conservée est celle d’un Amérindien partiellement desséché par l’environnement aride de la grotte de Spirit Cave au Nevada, et revendiqué par la tribu Paiute-Shoshone malgré les dix mille ans qui les séparent. Il s’agit donc d’une momie naturelle, tout comme celle, congelée cette fois, du fameux Homme des glaces découvert au Tyrol et surnommé Ötzi (du nom des Alpes de l’Ötztal) et remontant à 5 300 ans.

Ötzi ou l’Homme des glaces, momie naturelle du IVᵉ millénaire avant notre ère. Il a été découvert en 1991 à 3 200 m d’altitude. Il est probablement mort d’une flèche reçue dans son épaule gauche. Bolzano, musée archéologique du Haut-Adige.

Ötzi ou l’Homme des glaces, momie naturelle du IVᵉ millénaire avant notre ère. Il a été découvert en 1991 à 3 200 m d’altitude. Il est probablement mort d’une flèche reçue dans son épaule gauche. Bolzano, musée archéologique du Haut-Adige. © The Oetzi Iceman (photo) / South Tyrol Museum of Archaeology, Bolzano, Italy / Wolfgang Neeb / Bridgeman Images

Les plus anciennes momies artificielles

Les plus anciennes momies traitées intentionnellement, il y a près de 7 000 ans, sont celles du peuple Chinchorro, une culture précolombienne située dans l’actuel désert d’Atacama au nord du Chili. Dans le massif de l’Acacus, au Fezzan en Libye – un milieu également désertique qui a connu au Néolithique une phase humide –, le corps d’un enfant de 3 ans a été mis au jour dans la petite grotte de Wan Muhuggiag. Vieux d’environ 5 500 ans, enseveli dans une peau d’antilope, il fournit la preuve d’une momification avec le remplacement des viscères par des herbes sèches. Si l’Égypte ne détient donc pas le palmarès de l’ancienneté pour la momification, cette technique y est attestée beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait, comme l’a récemment montré l’égyptologue australienne Jana Jones, en mettant en évidence la présence de résines et de baumes (d’où le terme d’embaumement) aux propriétés antiseptiques sur des linges funéraires du Néolithique final (notamment au Badarien, vers 4 200 ans avant notre ère) et sur un corps d’époque chalcolithique (époque prédynastique Nagada, vers 3 500 ans avant notre ère) conservé au musée de Turin. Le site également prédynastique de Nekhen (ou Hiérakonpolis) a aussi révélé la présence de résines et de baumes.

Momie Chinchorro d’un bébé, l’une des plus anciennes au monde. Musée archéologique San Miguel De Azapa.

Momie Chinchorro d’un bébé, l’une des plus anciennes au monde. Musée archéologique San Miguel De Azapa. © San Miguel De Azapa Archaeological Museum, (photo) / Peter Langer / Design Pics / UIG / Bridgeman Images