Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres ! (2/6). Les princesses celtes

Ces paires de bracelets et de boucles d’oreilles en or proviennent de la tombe à char du tumulus de la Butte à Sainte-Colombe-sur-Seine (Côte-d’Or). VIe siècle avant notre ère. Saint-Germain-en-Laye, musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Jean-Gilles Berizzi
Et si Jules César n’avait pas envahi la Gaule ? Nos grands-mères et arrière-grands-mères n’auraient peut-être pas eu à se battre pour avoir le droit de vote ou celui de posséder un chéquier… Car des princesses celtes du premier Âge du fer aux Gauloises guerrières et cheffes de famille, la condition des femmes est alors à l’opposé du droit patriarcal romain qui triomphe après la Conquête. Ce dossier d’Archéologia met en lumière cette condition féminine oubliée du monde celte, longtemps ignorée aussi d’une archéologie essentiellement dominée par les hommes !
L’auteur de ce dossier est : Laurent Olivier, conservateur général des collections d’Archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye

Essai de reconstitution du char funéraire de la tombe de Vix réalisé en 1995. Châtillon-sur-Seine, musée du Pays Châtillonnais – Trésor de Vix. © Grand-Palais RMN, Mathieu Rabeau
À partir du milieu du VIe siècle avant notre ère, dans l’Europe celtique occidentale et continentale, se dessine un puissant mouvement de concentration du pouvoir qui atteint son apogée entre les années 525 et 475. C’est dans ce contexte qu’émerge une lignée de « femmes puissantes ».
Dans un premier temps, les tombes des représentants de la fraction supérieure de la société sont principalement celles d’hommes, concentrant des possessions sans précédent et prenant des dimensions hors du commun.
La fin des guerriers-cavaliers
Cette accumulation de biens est alimentée par les échanges avec les civilisations classiques de Méditerranée. Les Grecs et les Étrusques apportent du vin et des objets de luxe jusqu’au cœur du monde celtique, où ces importations prennent la valeur, inestimable aux yeux des Celtes, de signes de distinction sociale. La société « princière » de la fin du premier Âge du fer isole ainsi une extrême minorité de nantis, au sein d’une masse grandissante d’exclus, dans un système d’échange inégal avec la Méditerranée. La classe des guerriers-cavaliers, qui dominait l’ordre social depuis au moins la fin de l’Âge du bronze, s’efface dans les représentations funéraires, au profit d’une nouvelle classe de privilégiés. En d’autres termes, la guerre n’apparaît plus comme le principe qui régule et organise la société.
Des tombes d’une richesse inégalée
Dans ce contexte, les femmes occupent une place qu’elles n’avaient jamais eue auparavant. Dans neuf cas sur dix, les tombes de cette période d’apogée des échanges avec la Méditerranée sont édifiées pour des femmes de l’aristocratie – au sein de laquelle se recrutait la classe, jusqu’alors la plus prestigieuse, des guerriers-cavaliers. Dans la nécropole de Diarville (Meurthe-et-Moselle), on voit bien comment ces nouvelles « femmes puissantes », enterrées sur des chars cérémoniels à quatre roues, sont les héritières des grands guerriers du passé. Certaines sont des souveraines, comme la Dame de Vix, et toutes incarnent un pouvoir religieux, en relation avec les cultes solaires, auxquels participent les chars. Elles s’imposent donc à la suite des hommes. Le mobilier de la tombe de Vix a toutefois beaucoup troublé les archéologues, car il comporte des biens prestigieux spécialement masculins. Le cratère géant, par exemple, qui sert à préparer le vin, est une pièce typique de la pratique du symposion grec, où une assemblée choisie d’hommes de haute condition sociale se réunit pour boire, parler ou écouter de la musique. S’il y a des femmes parmi eux, ce sont des chanteuses, des danseuses ou des prostituées. Réalisé à l’époque des parents de la Dame de Vix, le cratère a probablement été conçu pour des destinataires masculins, qui l’ont transmis, à la génération suivante, à la reine celtique de Vix. Cette dernière, comme les hommes des générations précédentes, officiait avec un char solaire, fabriqué exprès pour elle.

Cratère de Vix, vers 530 avant notre ère. Retrouvée en Bourgogne, cette œuvre a été probablement importée d’ateliers situés dans le sud de l’Italie (Grande-Grèce). Châtillon-sur-Seine, musée du Pays Châtillonnais – Trésor de Vix. © Grand-Palais RMN, Mathieu Rabeau
Les raisons de la prise de pouvoir féminine
À Vix comme ailleurs, on observe ainsi une véritable passation des symboles de l’autorité et du prestige en direction d’une nouvelle génération de femmes, qui accèdent au pouvoir. Mais comment interpréter ce changement ? Il serait naïf de penser que, sous l’influence civilisatrice des cultures méditerranéennes, la société celtique deviendrait moins violente et brutale, plus féministe en somme. En réalité, l’inégalité des échanges avec la Méditerranée lézarde le fonctionnement des sociétés celtiques, qui ne tardent pas à s’effondrer au début du Ve siècle avant notre ère. C’est la fin du « monde princier » de la culture hallstattienne. Les trafiquants méditerranéens retirent en effet des bénéfices immenses des marchandises apportées, échangées non pas à leur valeur réelle dans le monde grec ou étrusque, mais à l’aune du prestige que leur confèrent les Celtes. Cet échange inégal dérègle ainsi l’économie du don et de la réciprocité qui prévaut alors dans le monde celtique. Il attaque également les mécanismes de reproduction de l’autorité, qui s’exerçaient au profit des hommes, en particulier par le biais de la guerre. Ce court moment de déstructuration de la société celtique interrompt le processus de transmission de la domination masculine, en laissant un espace vacant, dont les femmes peuvent s’emparer, en s’attribuant une partie des habits du pouvoir masculin. La fin du premier Âge du fer est une période fascinante, au cours de laquelle on peut voir que le principe de la domination masculine – qui pourrait sembler immuable depuis au moins le Néolithique – nécessite en fait d’être reproduit à chaque génération, afin d’être perpétué. L’arrivée d’un élément nouveau, comme le trafic du vin méditerranéen, peut l’interrompre et laisser les femmes occuper la place, a priori imprenable, qui était accaparée, depuis des temps immémoriaux, par les hommes.
La fin du premier Âge du fer est une période fascinante : on peut y voir que le principe de la domination masculine nécessite en fait d’être reproduit à chaque génération, afin d’être perpétué.
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Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres !
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