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Les Étrusques en France, une mise au point archéologique (4/4). Le nouveau commerce étrusque face à l’emprise massaliète

Le village indigène du premier Âge du fer de la Cougourlude, prédécesseur de l’agglomération côtière indigène de Lattes (Hérault).

Le village indigène du premier Âge du fer de la Cougourlude, prédécesseur de l’agglomération côtière indigène de Lattes (Hérault). © O’Sughrue

La présence étrusque est bien connue en Italie. Mais qu’en est-il de la France ? Situé au carrefour de deux grands itinéraires terrestres et maritimes, entre la péninsule Italique, l’Europe tempérée et le nord-ouest de la Méditerranée, notre territoire est celui qui, en dehors de l’Italie, a livré le plus grand nombre de données sur les relations commerciales, culturelles et politiques avec l’Étrurie entre le VIIIe et le IVe siècle avant notre ère. Qui étaient ces Étrusques ? Quand, pourquoi et selon quelles modalités se sont-ils installés sur le pourtour méditerranéen provençal et languedocien ? De récentes opérations de fouilles livrent aujourd’hui d’importants éléments de réponse.

Amphores étrusques déposées dans le couloir et écrasées sur place lors de la destruction d’un édifice commercial étrusque de l’agglomération côtière de Lattes (Hérault) dans la première moitié du Vᵉ siècle avant notre ère.

Amphores étrusques déposées dans le couloir et écrasées sur place lors de la destruction d’un édifice commercial étrusque de l’agglomération côtière de Lattes (Hérault) dans la première moitié du Vᵉ siècle avant notre ère. © UFRAL

La concurrence accrue pour le contrôle du lucratif commerce du vin dans le sud de la Gaule entraîne, dans les communautés étrusques impliquées dans cette activité, une réorganisation du système d’intermédiaires chargés de l’écoulement des marchandises auprès du marché local. Plusieurs découvertes archéologiques exceptionnelles permettent d’entrevoir la complexité des mécanismes mis en place.

Le village de La Cougourlude et la première Lattes

La première de ces découvertes concerne la phase ancienne du centre côtier indigène de Lattes près de Montpellier. Les fouilles récentes ont montré qu’une première agglomération d’une superficie de 17 hectares s’est implantée au lieu-dit La Cougourlude, sur les rives de la Lironde. Les premières traces d’occupation remontent à l’Âge du bronze puis persistent au VIIe siècle avant notre ère. Dans la première moitié du VIe siècle, on voit apparaître les premières importations étrusques auxquelles sont associées, dans un deuxième temps, des amphores grecques originaires de la mer Égée, de l’Italie du Sud et de la Sicile. À partir de 540 avant notre ère, les importations étrusques laissent progressivement place aux productions de Massalia, tant pour les amphores de transport du vin que pour la céramique de table. Vers la fin du VIe siècle, apparaît sur la côte, à un kilomètre au sud-ouest, un comptoir commercial probablement occupé – entre autres – par une communauté étrusque dont on a retrouvé le lieu de résidence : une maison aux murs en brique crue qui a livré une quantité considérable d’amphores et de céramiques étrusques, parmi lesquelles quelques vases de cuisine portant de courtes inscriptions en langue et en caractères étrusques. L’édifice subit une destruction violente vers 475 avant notre ère, époque qui correspond aussi à l’abandon du village de la Cougourlude et à la fondation de la nouvelle agglomération indigène de Lattes, sur les ruines de l’ancien comptoir « étrusque ».

Fouille de l’épave du Grand Ribaud F près de la presqu’île de Giens (Var), début du Vᵉ siècle avant notre ère. Le bateau contenait une cargaison d’amphores de vin étrusque ; on ne connaît pas cependant l’origine de son propriétaire.

Fouille de l’épave du Grand Ribaud F près de la presqu’île de Giens (Var), début du Vᵉ siècle avant notre ère. Le bateau contenait une cargaison d’amphores de vin étrusque ; on ne connaît pas cependant l’origine de son propriétaire. © Fouille L. Long (DRASM), photographie F. Bassemayousse

Des feuilles de plomb commerciales

L’autre document qui concerne ce dernier sursaut du commerce du vin étrusque en Gaule du Sud avant la longue crise du Ve siècle est une feuille de plomb inscrite mise au jour dans l’oppidum côtier indigène de Pech Maho près de Narbonne. Les deux faces sont inscrites et portent des textes différents, mais de même nature, le premier en langue et en caractères étrusques et le second en grec ionien. Ils datent de la première moitié du Ve siècle avant notre ère. Le texte grec est le plus compréhensible : il s’agit d’un accord commercial fixant les modalités de la vente du contenu de petites embar-cations entre des individus probablement grecs – la ville d’Emporion est mentionnée – et locaux assistés de témoins qui portent des noms ibères. Le texte étrusque semble être un accord semblable mais il concerne des personnages qui étaient en relation avec Massalia (Matalia en langue étrusque), parmi lesquels se trouve un certain Utavu – la forme étrusque du nom personnel latin Octavus. Des archaïsmes dans la langue indiquent que le scribe était sans doute un Étrusque installé depuis longtemps hors d’Étrurie. Cette professionnalisation, accompagnée d’une diversification ethnique des intermédiaires du commerce étrusque, se retrouve dans l’épave du Grand Ribaud F près de la presqu’île de Giens. La cargaison d’amphores de vin et le matériel de bord sont entièrement étrusques, mais a aussi été découverte une amphore grecque d’Italie du Sud portant deux courtes inscriptions : le nom personnel étrusque Maniies, qui pourrait être d’origine latine, et le nombre 902 écrit en caractères latins (CCCCCCCCCII). Il n’est pas impossible que, dès cette époque, le Latium, et plus particulièrement Rome, qui entretenait des relations d’amitiés avec les Massaliètes depuis la fondation de leur ville, ait joué un certain rôle dans l’évolution du commerce entre les côtes de la mer Tyrrhénienne et celles du sud de la Gaule, à un moment où la présence étrusque y était fragilisée.

Face étrusque de la feuille de plomb inscrite de l’oppidum indigène de Pech Maho à Sigean (Aude).

Face étrusque de la feuille de plomb inscrite de l’oppidum indigène de Pech Maho à Sigean (Aude). © Centre Camille Jullian

Les derniers Étrusques en Gaule

Les relations entre le sud de la Gaule et l’Étrurie ne s’interrompent pas entièrement après le milieu du Ve siècle. On connaît ainsi un petit nombre de céramiques peintes issues des ateliers de Cerveteri et d’autres centres tyrrhéniens dans la seconde moitié du IVe siècle. C’est d’ailleurs de cette époque, à Massalia même, que date une urne funéraire découverte parmi les tombes des aristocrates grecs installées dans les enclos funéraires de la porte d’Italie, près du port. Cette urne n’est pas la traditionnelle hydrie en céramique mais un seau en bronze, qui a la même fonction mais qui a été produit dans un atelier de l’Étrurie septentrionale. Aux ossements brûlés étaient mêlés des fragments d’une couronne funéraire grecque. En dessous était disposée une lamelle en or portant l’effigie du dieu romain Janus. Quelle meilleure illustration de la présence étrusque en France que cet ultime témoignage archéologique, qui laisse deviner la complexité des relations intimes, durables et culturellement intenses entre les diverses populations qui se croisèrent sur les côtes du Midi comme à travers les cols alpins pendant tout le Ier millénaire avant notre ère ?

Les Étrusques et Massalia

Au cours des premières décennies de son existence, la cité phocéenne ne semble avoir produit qu’une quantité limitée de vin. Peu à peu, elle affirme sa suprématie et les produits grecs ou locaux remplacent ceux importés par les communautés étrusques.

Le vin produit à l’origine par Massalia ne pouvait suffire aux besoins des communautés indigènes de la Provence et du Languedoc, qui avaient adopté cette boisson pour un certain nombre d’usages cérémoniels politiques et religieux indispensables. Le vin étrusque continua donc d’être massivement importé par bateau. C’est ce que montrent les ensembles céramiques mis au jour dans les habitats, l’habitude de réutiliser les amphores étrusques comme urnes cinéraires pour des tombes importantes et surtout les épaves de bateaux étrusques dont les cales étaient remplies du précieux breuvage, comme celle de La Love à Antibes, peu avant le milieu du VIe siècle avant notre ère.

Une coexistence entre Grecs et Étrusques

Au cours de cette première phase, commerce étrusque et présence grecque semblent avoir coexisté dans une sorte de complémentarité vis-à-vis des agglomérations et des communautés indigènes, qui continuaient de contrôler une bonne partie du littoral et l’ensemble de l’arrière-pays. Les découvertes effectuées dans le quartier du port à Marseille, dans les chantiers Jules-Verne et Villeneuve-Bargemon, suggèrent que des Étrusques y étaient installés à demeure. À côté des habituels vases de la consommation du vin, qui peuvent être de simples importations, on a trouvé en effet des vases de préparation et de cuisson de la nourriture, des réchauds caractéristiques des usages culinaires étrusques, qui ne peuvent s’expliquer que par la présence effective d’individus ou de familles d’origine tyrrhénienne.

La suprématie phocéenne

Après la bataille navale d’Alalia (appelée aussi de la mer Sardonienne, entre la Corse et la Sardaigne), en 540 avant notre ère, les relations se tendent entre les grandes puissances qui se partagent désormais le contrôle de la Méditerranée occidentale. Massalia amplifie son emprise sur les côtes du sud de la Gaule : d’une part en installant des comptoirs sur la route qui menait à Emporion, l’autre cité phocéenne occidentale, sur la côte catalane ; d’autre part en accroissant sa production viticole pour répondre à la demande croissante de la part des communautés indigènes. On assiste alors à une concurrence accrue entre le vin étrusque et le vin massaliète, qui est marquée archéologiquement par l’accroissement progressif, dans les habitats grecs et indigènes, du pourcentage d’amphores produites dans la cité phocéenne par rapport à celles qui étaient importées des cités de Cerveteri et Vulci, et aussi par la disparition de la céramique fine étrusque, remplacée par des produits grecs importés d’Athènes ou produits régionalement.

Après 540 avant notre ère, le bassin occidental de la Méditerranée se partage en quatre espaces maritimes contrôlés par les grandes puissances de l’époque.

Après 540 avant notre ère, le bassin occidental de la Méditerranée se partage en quatre espaces maritimes contrôlés par les grandes puissances de l’époque. © Élaboration Michel Bats ; DAO LabEx TransferS

Pour aller plus loin :
LANDES C. (dir), 2003, Les Étrusques en France. Archéologie et collections, Musée archéologique Henri-Prades, Lattes.
LONG L., POMEY P., SOURISSEAU J.-C. (dir.), 2002, Les Étrusques en mer. Épaves d’Antibes à Marseille, Edisud, Aix-en-Provence.
VERGER S., PERNET L., 2013, Une Odyssée gauloise. Parures de femmes à l’origine des premiers échanges entre la Grèce et la Gaule, Errance, Arles.
VERGER S., 2015, « L’Âge du fer ancien : l’Europe moyenne avant les Celtes historiques, dans BUCHSENSCHUTZ O. (dir.), L’Europe celtique à l’Âge du fer (VIIIe-Ier siècles), PUF, Paris, pp. 75-176.

Sommaire

Les Étrusques en France, une mise au point archéologique

4/4. Le nouveau commerce étrusque face à l’empire massaliète