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Trésors de bronzes khmers : un art royal au musée Guimet

Art khmer, époque angkorienne, 1ʳᵉ moitié du Xᵉ siècle, Vat Ampil Teuk, province de Kompong Chhnang. Bronze, H. 75,5 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge.

Art khmer, époque angkorienne, 1ʳᵉ moitié du Xᵉ siècle, Vat Ampil Teuk, province de Kompong Chhnang. Bronze, H. 75,5 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge. Photo service de presse. © Mario Ciampi

Si la riche civilisation du royaume d’Angkor a régné pendant près de six siècles (IXe-XVe siècle) sur une grande partie de l’Asie du Sud-Est, les arts de la métallurgie qu’elle portera au faîte de leur splendeur appartiennent à une tradition bien antérieure dans l’histoire du Cambodge. Plusieurs siècles avant notre ère, les somptueux objets en bronze constituent déjà l’expression authentique de la pensée et de la spiritualité khmères, qui revêt des formes variées et évolutives, de la religion khmère originelle, centrée sur la nature, aux apports de l’hindouisme et du bouddhisme venus d’Inde, avec leur cortège de divinités tôt adoptées par la statuaire locale.

« De telles œuvres, écrivait le grand épigraphiste et archéologue George Cœdès (1886-1969), ont plus qu’un intérêt local, et les fondeurs à qui nous les devons sont dignes de prendre part parmi les grands artistes de l’humanité. » Organisée avec le concours de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) et le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), cette exposition exceptionnelle du musée Guimet présente 240 de ces pièces d’un grand raffinement, dont 126 chefs-d’œuvre prêtés par le Musée national du Cambodge, au plus près du génie artistique khmer et de ses dimensions politico-religieuses. Bénéficiant des récentes avancées d’un programme pionnier de l’EFEO et des derniers résultats d’une mission archéologique sur les fonderies royales d’Angkor, le propos nous fait découvrir les aspects aussi bien techniques que symboliques des arts du bronze. Un éblouissant voyage aux sources de la civilisation khmère, de l’époque pré-hindo-bouddhique aux splendeurs des temples angkoriens.

Au Cambodge protohistorique

Mis au jour en 1948 près de Phnom Penh, ce bronze est l’un des premiers grands formats de l’époque protohistorique découverts au Cambodge, et serait apparenté à une douzaine d’autres pièces réparties entre le pays khmer, la Thaïlande et l’Indonésie. Sa forme peu commune, rappelant une outre en peau ou une hotte en vannerie, peut indiquer un usage rituel lié aux cultes agraires archaïques du Cambodge, avant l’introduction de l’hindouisme et du bouddhisme. Les formes animales qui l’ornent, associées à des représentations du monde aquatique, semblent confirmer cette hypothèse.

Récipient rituel (?), époque protohistorique, 400 avant notre ère – 200 de notre ère, Cambodge, municipalité de Phnom Penh, arrondissement de Meanchey, Chak Angre. Bronze à fort étain. Phnom Penh, Musée national du Cambodge.

Récipient rituel (?), époque protohistorique, 400 avant notre ère – 200 de notre ère, Cambodge, municipalité de Phnom Penh, arrondissement de Meanchey, Chak Angre. Bronze à fort étain. Phnom Penh, Musée national du Cambodge. Photo service de presse. © Thierry Ollivier

« Le travail du métal est l’apanage des dieux mais aussi des rois, qui en sont les équivalents sur terre, et les savoir-faire qu’il nécessite sont développés au sein d’ateliers installés dans la capitale à proximité du palais royal. » 

Introduction au catalogue de l’exposition, Paris, 2025.

Une statue monumentale de Vishnou

Stupéfiante par sa taille, trônant en majesté dans l’espace des arts khmers, la statue de Vishnou découverte sur le site du temple du Mebon occidental devait initialement prendre place sur un grand serpent doré, dans une posture de repos qu’il adopte, selon la mythologie hindoue, après chaque cycle de création-destruction de l’univers. Ce chef-d’œuvre du Musée national du ­Cambodge révélant la virtuosité des fondeurs khmers est présenté pour la première fois au public après des restaurations et réassemblages menés par le laboratoire Arc’Antique. Une restitution de la polychromie et des dorures effectuée grâce au travail de reconstruction virtuelle permet de se représenter ce fragment monumental dans son état originel.

Art khmer, époque angkorienne, seconde moitié du XIᵉ siècle, ­Mebon ­occidental, Angkor, province de Siem Reap, Cambodge. Bronze, H. 123 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge.

Art khmer, époque angkorienne, seconde moitié du XIᵉ siècle, ­Mebon ­occidental, Angkor, province de Siem Reap, Cambodge. Bronze, H. 123 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge. Photo service de presse. © Thierry Ollivier

Proposition de restitution 3D de la tête et du buste du Vishnou du Mebon occidental, d’après les résultats de l’étude stylistique et technologique.

Proposition de restitution 3D de la tête et du buste du Vishnou du Mebon occidental, d’après les résultats de l’étude stylistique et technologique. Photo service de presse. © Archeovision / Pascal Mora

Influences tantriques

Cette très belle statue, admirable par son superbe état de conservation, figure Maitreya (« Bienveillant » en sanskrit), bodhisattva (« être éveillé ») de la fin des temps, reconnaissable grâce au petit stupa en avant de son chignon. Sa posture témoigne des influences du tantrisme indien : les deux mains en avant font le signe du don (varadamudra) tandis que les autres font le signe de préhension (katamudra), indiquant qu’elles devaient autrefois tenir des objets. Mais la statuaire khmère n’abandonne pas pour autant ses caractéristiques propres : on retrouve en effet la vêture et la coiffe (jata) typiques des productions du règne de Yashovarman Ier (style dit Bakheng, fin IXe-Xsiècle).

Art khmer, époque angkorienne, 1re moitié du Xᵉ siècle, Vat Ampil Teuk, province de Kompong Chhnang. Bronze, H. 75,5 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge.

Art khmer, époque angkorienne, 1re moitié du Xᵉ siècle, Vat Ampil Teuk, province de Kompong Chhnang. Bronze, H. 75,5 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge. Photo service de presse. © Thierry Ollivier

« L’Exposition “Bronzes royaux d’Angkor. Un art du divin” marque, à n’en pas douter, un “avant” et un “après” de notre connaissance sur l’art du bronze de la civilisation khmère. »

Nicolas Fiévé, directeur de l’École française d’Extrême-Orient

Rites de purification

Le miroir (darpana) est un objet courant de la liturgie et du symbolisme religieux, aussi bien dans l’hindouisme que dans le bouddhisme. Il est notamment l’attribut (ayudha) de plusieurs divinités, et est utilisé dans des rituels de purification ; mais un lettré chinois du XIIIsiècle mentionne également son usage par le souverain d’Angkor, qui entoure son trône de séries de miroirs. Cette très belle poignée de miroir, datée du XIIIsiècle et retrouvée sur le site khmer de Wat Phou au Laos actuel, était certainement réservée à ces prestigieux usages cérémoniels ; la divinité qui y apparaît, variante locale de Shiva, est représentée sous deux postures, l’une dansante, l’autre méditative.

Poignée de miroir rituel. Art khmer, époque angkorienne, début du XIIIe siècle, Vat Phu, province de Champassak, Laos. Bronze, H. 24,5 cm. Paris, musée national des arts asiatiques – Guimet.

Poignée de miroir rituel. Art khmer, époque angkorienne, début du XIIIe siècle, Vat Phu, province de Champassak, Laos. Bronze, H. 24,5 cm. Paris, musée national des arts asiatiques – Guimet. Photo service de presse. © Thierry Ollivier

Un taureau pour monture

Retrouvée en 1968 avec des céramiques chinoises dans un probable dépôt rituel, devant l’entrée du temple ­d’Angkor Wat, selon une pratique dédicatoire bien documentée au Cambodge, cette statue représente Nandi, la monture (vahana) du dieu Shiva. L’inscription sanskrite sur sa base, dont la traduction est délicate, semble désigner comme commanditaire la fille d’un important guru ayant vécu au XIIe ou XIIIsiècle. À part les détails du collier, dont les pendeloques en forme de feuilles semblent indiquer une production à l’époque de la construction d’Angkor Wat, l’absence de caractéristiques stylistiques a rendu malaisée la datation de l’objet, conçu en plusieurs parties fondues séparément avant d’être assemblées avec un système de tenons et de goupilles.

Taureau Nandin, monture de Shiva. Art khmer, période angkorienne, trois premiers quarts du XIIᵉ siècle. Ouest d’Angkor Vat, province de Siem Reap, Cambodge. Bronze, H. 31 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge.

Taureau Nandin, monture de Shiva. Art khmer, période angkorienne, trois premiers quarts du XIIᵉ siècle. Ouest d’Angkor Vat, province de Siem Reap, Cambodge. Bronze, H. 31 cm. Phnom Penh, Musée national du Cambodge. Photo service de presse. © Thierry Ollivier

« Bronzes royaux d’Angkor. Un art du divin », jusqu’au 8 septembre 2025 au musée national des arts asiatiques – Guimet, 6 place d’Iéna, 75116 Paris. Tél. 01 56 52 54 33. www.guimet.fr

À lire : catalogue, In Fine éditions d’art, 304 p., 39 €.