« La galerie des Glaces n’était pas une salle de bal ! » : Versailles éclaire d’une lumière nouvelle le chef-d’œuvre de Le Brun et Hardouin-Mansart

La nouvelle présentation de la galerie des Glaces, en septembre 2025 : l'éclairage a été entièrement revu, permettant de mieux admirer la voûte conçue par Le Brun et Hardouin-Mansart. Photo service de presse. © Château de Versailles / T. Garnier
Lustres allégés, éclairage repensé et voûte libérée : la galerie des Glaces a profité de l’été pour changer d’atmosphère. Laurent Salomé, directeur du musée national du château de Versailles, détaille pour la rédaction son choix d’une mise en scène plus fidèle à l’esprit du lieu qui rend sa pleine majesté à ce chef-d’œuvre baroque.
En cette rentrée, les visiteurs découvrent une nouvelle atmosphère dans la galerie des Glaces, grâce à une nouvelle présentation et un éclairage repensé. Quelle réflexion a mené à ces choix ?
Ce genre de grands chantiers mûrit durant des années et relève d’une préoccupation constante dans le remeublement du château : la recherche d’authenticité, qui est à la fois scientifique, subjective et difficile à définir. Je me suis toujours interrogé sur cette galerie, qui provoquait chez moi beaucoup d’admiration bien sûr, mais aussi une certaine frustration devant son état de présentation. En travaillant sur l’historique, ma vision critique s’est précisée. Cet état, créé en 1980, répondait aux besoins d’une époque, mais donnait une vision biaisée de ce que pouvait être la splendeur de la galerie des Glaces.
« Je comprends très bien le grand projet de 1980, car il n’y avait jusqu’alors jamais eu d’électricité dans la galerie : ni torchères, ni lustres, ni spots. Les choix qui viennent d’être faits ne remettent pas en cause cette démarche, mais proposent une approche plus mesurée. »
Laurent Salomé

Laurent Salomé, directeur du musée national du château de Versailles. Photo service de presse. © C. Milet
À quoi cet état correspondait-il ?
Il avait été décidé par Gérald van der Kemp, conservateur en chef de 1953 à 1980. Son objectif était de faire revivre le château, qu’il avait trouvé triste et vide à son arrivée, en recréant l’atmosphère de l’Ancien Régime. Dans d’autres pièces, il suffit de retrouver le mobilier, les objets d’art ou encore les tentures, pour que la magie opère. Ce n’est pas le cas dans la galerie des Glaces, car ce qui la rendait grandiose, c’était le spectacle de la cour : les gens qui s’y trouvaient, les événements qui s’y tenaient. Pour pallier cette difficulté, il a été décidé, en 1980, de recréer un double dispositif lumineux : la série de torchères portant des girandoles, qui faisait véritablement partie du mobilier et du décor de la galerie des Glaces, et un ensemble de lustres tels que ceux qui étaient installés pour les grands bals. La combinaison des deux reconstituait un état spectaculaire de la galerie correspondant au mariage du futur Louis XVI et de Marie-Antoinette. La partie la plus structurelle, celle des girandoles posées sur de grandes torchères figuratives, joue tout son rôle, même si ce sont des copies – elles ont été moulées d’après six originaux aujourd’hui installés dans le salon d’Apollon. En revanche, les lustres correspondent à un dispositif de bal qui était démonté par les Menus-Plaisirs le lendemain des fêtes. Ceux qui ont été installés furent fabriqués en 1980, évoquant le modèle utilisé pour le mariage du futur Louis XVI en 1770. En outre, pour diverses raisons, ils étaient allumés en permanence, ce qui était non seulement absurde – il aurait été impensable de gaspiller de la cire d’abeille en plein jour –, mais également inesthétique. Je comprends très bien le grand projet de 1980, car il n’y avait jusqu’alors jamais eu d’électricité dans la galerie : ni torchères, ni lustres, ni spots. Les choix qui viennent d’être faits ne remettent pas en cause cette démarche, mais proposent une approche plus mesurée.

Les torchères de la galerie des Glaces ont été reconstituées en 1980 d'après des modèles existants. Photo service de presse. © Château de Versailles / T. Garnier
« C’était certes très beau d’avoir cette salle des fêtes extraordinaire, mais cet état est en réalité étrange s’il est permanent. C’est comme si vous laissiez votre sapin de Noël toute l’année dans votre salon : il brille à Noël, mais ne convient pas au reste de l’année. »
Laurent Salomé
En quelles occasions ces lustres étaient-ils suspendus dans la galerie ?
Essentiellement pour les mariages princiers, du duc de Bourgogne, en 1697, jusqu’aux deux frères de Louis XVI, soit au total une dizaine d’événements. En temps normal, la galerie des Glaces n’était pas une salle de bal, mais une grande galerie d’apparat, une salle d’audience où avaient lieu à la fois des événements très solennels et les grandes festivités de la cour. Nous voulons aujourd’hui mettre en valeur le génie architectural de Jules Hardouin-Mansart et le caractère exceptionnel de la voûte imaginée par Charles Le Brun. Le principal inconvénient des lustres était d’occulter ce décor en le plongeant dans un contre-jour permanent. En 1980, l’installation des torchères et des lustres a donné la sensation que l’on rendait service à l’œuvre du peintre. Nous avons réalisé au fil des années que ce n’était pas le cas et qu’il fallait mieux doser le dispositif. Notre but est de faire redécouvrir ce décor ahurissant, qui vaut non seulement par la succession des tableaux contant la chronique du règne de Louis XIV, mais aussi par sa conception illusionniste et la fusion qu’elle opère avec l’architecture.

Détail de la voûte de la galerie des Glaces, peinte par Charles Le Brun, du côté du salon de la Guerre. Photo service de presse. © Château de Versailles / T. Garnier
« La réalisation de la galerie des Glaces correspond au moment où Mansart et Le Brun, malgré leur rivalité, se sont entendus pour donner naissance à une incroyable œuvre commune. L’architecture se prolonge dans la voûte avec des trompe-l’œil, des ouvertures, de faux stucs, des atlantes, la grisaille d’or… Grâce au nouveau dispositif, je crois que l’on est véritablement saisi par ce décor. »
Laurent Salomé
De quelle manière avez-vous précisément repensé ce dispositif ?
Au centre de la voûte se trouvaient 20 lustres : huit, assez volumineux, de seize lumières, et douze, plus petits, de douze lumières. Nous n’avons conservé que six petits, qui ont été installés au centre. Ils sont beaucoup plus conformes à ce que l’on utilisait aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ce maintien de quelques lustres « dormants » a parfois été pratiqué sous Louis XV. Ces six lustres suffisent aujourd’hui, avec les torchères, à garantir un bon éclairage en toute circonstance.
Quels autres aménagements ont été apportés à l’éclairage de la galerie ?
L’éclairage de la voûte a été entièrement revu, car il était vieillissant et assez médiocre. Nous avons remplacé les anciens halogènes, divisant par dix la consommation électrique. La visibilité des peintures est bien meilleure. Pendant la journée, l’apport de lumière donne l’impression qu’il n’y a pas d’éclairage électrique, comme dans la chapelle royale ; la nuit, l’éclairage est en harmonie avec les torchères et les lustres restants. Il fallait évidemment un système qui fonctionne de jour comme de nuit, été comme hiver.

Depuis septembre, les visiteurs peuvent découvrir la nouvelle présentation et le nouvel éclairage de la galerie des Glaces. Photo service de presse. © Château de Versailles / T. Garnier
Cette nouvelle présentation s’accompagne d’une évocation des orangers, qui étaient installés en été dans la galerie. Comment cette idée vous est-elle venue ?
Le grand chantier du corps central nord, qui affecte le parterre du Nord, vient de commencer. Nous avons donc déposé et restauré plusieurs vases en bronze de l’orfèvre Claude Ballin qui l’ornent habituellement. Sous Louis XIV, on y disposait des orangers, arbres rois de l’époque. Dans les années 1680, au temps du fabuleux mobilier d’argent, des vases presque identiques, accueillant eux aussi des orangers, se trouvaient dans la galerie des Glaces à la belle saison. Nous y montrons donc désormais six vases restaurés, dans lesquels sont disposés des orangers en bronze et cire peints que nous avons fait fabriquer, donnant une illusion assez incroyable de vérité. Il en résulte certes un mélange d’époques, mais l’effet qu’a la présence de ces orangers dans la galerie constitue pour moi une vraie surprise. L’interpénétration entre intérieur et extérieur, le jardin entrant dans le château, les glaces reflétant le jardin, est renforcée. C’est une expérience très intéressante, qui va durer le temps des travaux du parterre du Nord, suite du grand projet de mise en conformité incendie et du traitement climatique du château.

Dans la galerie des Glaces ont été installées des évocations des orangers qui s'y trouvaient en été et du mobilier d'argent aujourd'hui disparu. Photo service de presse. © Château de Versailles / C. Fouin
Quel impact ce chantier aura-t-il pour les appartements ouverts à la visite ?
Cet énorme chantier s’achèvera en 2031-2032 et concernera, entre autres, la galerie des Glaces et l’appartement du Roi. L’ensemble ne sera pas fermé d’un seul coup, mais petit à petit, pour que les visites puissent continuer. Nous y inclurons des restaurations pour profiter de ces fermetures forcées, comme ce fut le cas lors des travaux du corps central Sud avec les appartements de la Reine ou l’antichambre de l’Œil-de-Bœuf par exemple.

Détail de la frise de l'antichambre de l'Œil-de-bœuf, en cours de restauration en 2023. © Actu-culture.com / OPM
L’une des restaurations en cours est celle de la chambre de Louis XV, dans les appartements intérieurs du roi. Quand sera-t-elle achevée ?
Cet espace intime devrait être dévoilé début janvier. Cela a été un travail d’une grande complexité et un défi particulier, car aucun document figuré ne représente cette chambre. Nous avons, en revanche, beaucoup d’archives et de descriptions, desquelles nous avons dû déduire tous les éléments. Après quelques hésitations, nous avons décidé de recréer le lit du roi tel qu’il pouvait être, avec le plus de détails possibles.
Quelles autres restaurations le public pourra-t-il bientôt découvrir ?
Nous restaurons actuellement le cabinet des Poètes, un petit cabinet de retraite de Marie Leszczynska utilisé plus tard par Marie-Antoinette, logé à l’arrière du cabinet doré. Il a conservé son décor peint au naturel d’époque, ce qui est rare au château. Le chantier des sacristies est lui aussi en cours grâce aux Amis de Versailles. Les placards de l’une d’elles, la sacristie du Lavabo, serviront à exposer une sorte de trésor de la chapelle royale, réunissant des objets précieux, comme le bénitier reliquaire de la reine Marie-Thérèse, de l’orfèvrerie liturgique et des manuscrits. Au-dessus, les appartements des Lazaristes, qui officiaient à la chapelle, ont été restaurés. Nous allons y montrer des tableaux de piété, comme les Coypel qu’aimaient Marie Leszczynska et la dauphine Marie-Josèphe de Saxe – un genre de peinture que l’on n’a pas l’habitude de voir à Versailles. Nous souhaitons aussi restaurer l’escalier de la Reine, un chantier que les contraintes liées aux visites rendent complexe. De nombreux projets de restauration concernent ou vont concerner les jardins, notamment le parterre du Laocoon au Grand Trianon, et nous espérons entamer bientôt la restauration du plus merveilleux et fragile des bosquets, celui de la Colonnade.

Le cabinet des Poètes à Versailles, petit cabinet de retraite de Marie Leszczynska, puis de Marie-Antoinette, avant restauration. Photo service de presse. © Château de Versailles / T. Garnier
Les ailes du XIXe siècle continueront-elles à faire l’objet de nouvelles ouvertures ?
L’attique Nord, rempli de chefs-d’œuvre allant de la Restauration au début du XXe siècle, va être entièrement repensé et enfin éclairé à l’électricité ! Le parcours de l’attique Chimay est aussi revu, avec pour thème les Lumières, la Révolution et l’avènement de la démocratie. Dans l’aile des Ministres Nord, l’appartement du comte de Vergennes, secrétaire d’État de Louis XVI aux Affaires étrangères, accueillera en 2026 une galerie dédiée à l’indépendance américaine qui ouvrira pour le 250e anniversaire. Des salles consacrées à cette histoire existaient depuis Pierre de Nolhac, conservateur du château entre 1892 et 1920, mais elles avaient disparu. Nous allons les recréer et les enrichir.

Vue de l'une des salles de l'attique Nord du château de Versailles. Photo service de presse. © Château de Versailles / T. Garnier
À lire : La galerie des Glaces, histoire et restauration, éditions Faton, 2007, 420 p.





