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Eugène Boudin, précurseur de l’impressionnisme (9/12). Un passage par la nature morte

Eugène Boudin, Nature morte au potiron, vers 1854-1860. Huile sur toile, 56 x 83,5 cm. Le Havre, musée d’Art moderne André Malraux – MuMa.

Eugène Boudin, Nature morte au potiron, vers 1854-1860. Huile sur toile, 56 x 83,5 cm. Le Havre, musée d’Art moderne André Malraux – MuMa. © MuMa, Le Havre – F. Kleinefenn

« Roi des ciels », peintre par excellence de l’infini iodé, Boudin fut un artiste plus éclectique qu’on ne le croit souvent. Dans le domaine de la nature morte requérant a priori des qualités opposées aux siennes, il révèle des aptitudes remarquables, s’inscrivant dans le sillage de Chardin.

Eugène Boudin ne dissimula pas les difficultés à subsister rencontrées par le peintre débutant qu’il avait été dans les années 1850 : « Il fallut chercher à gagner sa vie en faisant tout ce qui concernait son état ; je fis ce que je pus : tableaux de salle à manger […] tout ce qui pouvait rapporter quelque profit. » Les tableaux « de salle à manger » désignent une part méconnue de son œuvre dans laquelle il ne brille parfois pas moins que dans le paysage.

Chardin comme boussole

Probablement incité par Gustave Hamelin (1809-1895), peintre honfleurais paraissant avoir professé pour ce devancier du règne de Louis XV une admiration enthousiaste, Boudin prit comme principal modèle Jean Siméon Chardin (1699-1779). Sa Nature morte à la raie est un évident hommage à la magistrale Raie (1728, Louvre) qui valut à son auteur d’être reçu à l’Académie royale « dans le talent des animaux et des fruits ». Après des décennies d’oubli (relatif), Chardin avait commencé à retrouver son rang, le premier, au cours de la monarchie de Juillet. L’adulation dont il allait désormais faire l’objet, notamment au sein des artistes en rupture de ban avec l’académisme, à commencer par ceux participant de la nébuleuse réaliste sous le Second Empire, tient à la subversion tranquille qu’il avait opérée (à son corps défendant) dans la hiérarchie des genres académiques. Les objets les plus triviaux (traités comme l’aurait fait un peintre d’histoire avec un sujet noble) devenaient des sujets picturaux chez Chardin, dans la plus forte acception du terme (« Rien n’humilie ses pinceaux » écriront, avec sagacité, les Goncourt, artisans de sa redécouverte). Inscrite dans son art, la caducité de la distinction entre sujet noble et ignoble conférait à la peinture elle-même une fascinante (et dangereuse) autonomie. Cet aspect captiva le « second » XIXsiècle, au moins autant que sa science de la composition. Chardin était, enfin, un praticien hors pair dont les coloris, la touche (déjà) dissociative, sinon divisionniste, et les empâtements beurrés, comme disent alors les amateurs, suscitèrent bien des émules et désespérèrent plus d’un imitateur.

Eugène Boudin, Tourteaux, homard et poissons, dit aussi Nature morte à la raie, 1861. Huile sur toile, 71 x 97 cm. Honfleur, musée Eugène‑Boudin.

Eugène Boudin, Tourteaux, homard et poissons, dit aussi Nature morte à la raie, 1861. Huile sur toile, 71 x 97 cm. Honfleur, musée Eugène‑Boudin. © Illustria / musée Eugène-Boudin

La vivacité du pinceau

La nature morte n’est toutefois pas  – entièrement – captive de l’exemple de Chardin chez cet explorateur du Louvre qui paraît au fait d’une part substantielle de l’histoire du genre, notamment nordique et française. Peintre de fleurs, ce que Chardin ne fut guère, Boudin éclaircit sensiblement sa palette. En 1869, on retrouve la même orientation dans les peintures (aujourd’hui dispersées) – bouquets, fleurs et oiseaux – réalisées pour la décoration du château de Bourdainville, près du Havre. Le trait le plus remarquable de la nature morte chez l’artiste normand, jusque dans ses œuvres tardives produites dans les années 1870, réside dans une immédiateté semblable à celle qui caractérise son rapport aux cieux. En 1864, il écrit : « Le poisson est apporté tout luisant sur la planche du peintre et, grâce à sa célérité, il est servi le soir sur sa table. Ils mangent leurs modèles !… ». Où l’on songe à Chardin, réputé avoir dégusté la raie qui lui avait servi de modèle, après avoir achevé son tableau en un seul jour.

Eugène Boudin, Fleurs dans un verre, 1861-1869. Huile sur bois, 41 x 24 cm. Le Havre, musée d’Art moderne André Malraux – MuMa.

Eugène Boudin, Fleurs dans un verre, 1861-1869. Huile sur bois, 41 x 24 cm. Le Havre, musée d’Art moderne André Malraux – MuMa. © MuMa, Le Havre – F. Kleinefenn

« Eugène Boudin, le père de l’impressionnisme : une collection particulière », du 9 avril au 31 août 2025 au musée Marmottan Monet, 2 rue Louis Boilly, 75016 Paris. Tél. 01 44 96 50 33. www.marmottan.fr

Catalogue sous la direction de Laurent Manœuvre, coédition musée Marmottan Monet / éditions In fine, 280 p., 35 €.
À lire également : Eugène Boudin, Suivre les nuages le pinceau à la main (Correspondances 1861-1898), édition établie et présentée par Laurent Manœuvre, L’Atelier contemporain, 752 p., 30 €.