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Chefs-d’œuvre en série ou série de chefs-d’œuvre ? Le point sur les « nouveaux » Guido Reni

Guido Reni (1575-1642), David contemplant la tête de Goliath (détail). Huile sur toile, 227 x 145,5 cm. Vente Paris, Artcurial et Millon, 25 novembre 2025. Estimé : 2 000 000/4 000 000 €.

Guido Reni (1575-1642), David contemplant la tête de Goliath (détail). Huile sur toile, 227 x 145,5 cm. Vente Paris, Artcurial et Millon, 25 novembre 2025. Estimé : 2 000 000/4 000 000 €. Photo service de presse. © Artcurial

À la faveur d’excellentes expositions à Rome, Francfort, Madrid, Orléans et Bologne, les découvertes autour de Guido Reni (1575-1642) se multiplient, pour le plus grand bonheur des historiens de l’art, des collectionneurs, et des visiteurs qui s’émerveillent – parfois pour la première fois depuis plusieurs siècles – devant de véritables chefs-d’œuvre.

Voilà qui change des faux Caravage et autres pseudo-Rembrandt, qui fleurissent, presque chaque année, en bons marronniers d’une presse plus ou moins spécialisée, lorsque Léonard de Vinci n’est plus disponible ! C’est désormais au tour d’un autre immense artiste, moins habitué aux gros titres, de mettre en émoi les rédactions, d’une conférence de presse à l’autre : le « divin » Guido Reni.

L’effet Guido Reni

En 2022 la Galerie Borghèse ouvrait le bal, à Rome, suivie de près par le Städel Museum de Francfort et le musée du Prado à Madrid : autant de manifestations contribuant à remettre sur le devant de la scène – si tant est qu’il l’ait vraiment quittée – le maître incontesté de l’École de Bologne au XVIIe siècle. En Allemagne, pour la première fois, le David et Goliath, ou David contemplant la tête de Goliath du musée des Beaux-Arts d’Orléans était présenté comme un authentique chef-d’œuvre de la main du Guide, après avoir été longtemps considéré, au mieux comme une belle version d’atelier, au pire comme une copie respectable, priée d’attendre en réserve que le doute lui bénéficie.

Vue de la section de l’exposition « Dans l’atelier de Guido Reni » consacrée aux David. Au centre, le David conservé à Orléans.

Vue de la section de l’exposition « Dans l’atelier de Guido Reni » consacrée aux David. Au centre, le David conservé à Orléans. Photo service de presse. © Orléans, musée des Beaux-Arts

Découverte orléanaise

Tout avait commencé en 2018, après qu’une spectaculaire restauration du tableau d’Orléans menée par l’équipe d’Arcanes avait fait tiquer les conservateurs du musée : et si la version du Louvre, issue des collections royales, n’était pas le seul David original des collections françaises ? Les qualités éblouissantes du tableau ont tôt fait de consolider l’attribution, et même, crime de lèse-majesté, d’établir l’hypothèse selon laquelle la version orléanaise, plus proche de la première idée du peintre (connue par un dessin conservé à Preston), précédait de peu celle du musée parisien, qui ne présente par ailleurs aucun repentir. Ni une ni deux, une remarquable exposition fut organisée, conformément aux bonnes habitudes du musée d’Orléans qui avait déjà réuni les visiteurs en 2021, sur le même principe, autour du Saint Thomas de Velázquez, restauré par le même atelier. Quitte à faire mentir l’apôtre, car en matière d’histoire de l’art, et ces découvertes nous le prouvent, il faut absolument voir pour croire.

Une typologie pour David et Goliath

Dans la foulée des grand-messes monographiques européennes, Orléans proposait d’aborder frontalement la question taboue mais cruciale des œuvres multiples, nous invitant à entrer « dans l’atelier de Guido Reni » qui pouvait compter, à la grande époque, jusqu’à deux cents personnes. Corentin Dury, commissaire de l’exposition, dressait à cette occasion une véritable typologie, rien que pour les David, outil précieux pour dater et classer des compositions que l’on retrouve de Dresde à Florence en passant par Munich. Ces différences, qui pourraient sembler anecdotiques, modulent, voire décuplent la tension folle qui se dégage de chaque dispositif. Le tableau d’Orléans tient du modèle appelé « La Vrillière », provenance Louis Phelypeaux de La Vrillière oblige : David et Goliath semblent poursuivre leur face à face par delà son issue fatale, et dans cette configuration, la lourde tête du vaincu est orientée vers l’intérieur. La version du Louvre forge le type « Créquy », du nom du maréchal qui posséda le tableau avant Louis XIV. Cette dénomination exige cette fois que le chef déchu soit tourné vers le dehors, cherchant à échapper – en vain – à l’opprobre qui l’attend.

Guido Reni (1575-1642), David contemplant la tête de Goliath (détail). Huile sur toile, 227 x 145,5 cm. Vente Paris, Artcurial et Millon, 25 novembre 2025. Estimé : 2 000 000/4 000 000 €.

Guido Reni (1575-1642), David contemplant la tête de Goliath (détail). Huile sur toile, 227 x 145,5 cm. Vente Paris, Artcurial et Millon, 25 novembre 2025. Estimé : 2 000 000/4 000 000 €. Photo service de presse. © Artcurial

Un pedigree princier

Le catalogue précise à point nommé qu’un David appartenant au genre « Créquy » avait malencontreusement disparu à Turin suite à la campagne d’Italie. Un pedigree à faire tourner la tête. S’il n’est pas encore certain qu’il ait été acquis directement auprès de l’artiste par le duc de Modène, François Ier d’Este, il est en revanche parfaitement attesté à Vienne, sur les cimaises du prince Eugène au Palais du Belvédère, puis à Turin, dans les collections de Charles-Emmanuel de Savoie. Ensuite, silence radio. Suivant la piste d’un certain général Dupont, figure des armées révolutionnaires, le cabinet Turquin croyait avoir retrouvé ce mystérieux tableau dès 1985, en Écosse, mais son adjudication pour deux millions de livres sterling n’avait pas suffi à convaincre mordicus la nouvelle génération d’historiens de l’art. Patience et longueur de temps devaient leur donner raison ! L’exposition d’Orléans n’était pas encore terminée, en ce début d’année 2025, quand les descendants dudit général Dupont de l’Étang (1765-1840) se sont manifestés auprès du même cabinet Turquin, pour signaler que le David de Turin, s’il était bien chez leur aïeul, n’avait pas quitté la famille depuis deux cents ans. Ministre extraordinaire provisoire du gouvernement français en Piémont, pendant l’été 1800, à une époque où les brillants officiers étaient chargés de saisir des œuvres d’art comme on lève des troupes, il semble que Dupont, épris de ce David à tomber, ait omis de l’ajouter à la liste des œuvres officiellement mobilisées pour les musées français. Sur les dix-huit peintures du Guide inventoriées alors, trois proviennent de la Galleria Sabauda – mais pas l’ombre d’un Goliath. Pourtant, Alessandro Baudi di Vesme (1854-1923), conservateur de la galerie au XIXe siècle, indique clairement « réquisitionné » dans son catalogue, à l’endroit de notre tableau. Le voilà retrouvé, intact, prêt à connaître le feu des enchères pour la première fois, le 25 novembre prochain, sous le marteau des maisons Artcurial et Millon, associées pour l’événement.

Vue gravée du palais du Belvédère à Vienne en 1734, où est exposée David contemplant la tête de Goliath, de Guido Reni.

Vue gravée du palais du Belvédère à Vienne en 1734, où est exposée David contemplant la tête de Goliath, de Guido Reni. © DR

Quand Guido Reni trahit Caravage

Estimé entre deux et quatre millions d’euros, le tableau a tout pour séduire. La tendresse provocatrice du jeune héros, sa nonchalance plutôt que son humilité, son plumet chevaleresque, la fourrure dont il se drape, tel un nouvel Hercule, n’y changent rien : ici, la force est dans la douceur, Guido Reni trahit Caravage. Loin du vérisme du second, les couleurs irréelles qu’il emploie, le rouge vermillon de la coiffe, le jaune d’or du panache, le bleu lapis de la tunique, son revers mauve, semblent nous dire « ce n’est que de la peinture ». Et quelle peinture ! Au sol, l’épée du géant a l’allure d’une épée de théâtre, ce qui accentue encore le côté brechtien de la scène. En dépit de sa tranquillité apparente, David est comme prisonnier de la composition, coincé entre deux socles de pierre. Il s’accoude encore à la gauche du tableau, mais son regard le porte irrésistiblement vers la droite. Reflet d’un combat adolescent entre le luxe, la fantaisie de l’enfance d’un côté, et la sévérité virile de l’autre, incarnée par Goliath ? Le peintre trouble subrepticement l’idéal de pureté qu’il prétend représenter ; hasard ou facétie, il choisit pour modèle un satyre de Praxitèle.

Guido Reni (1575-1642), David contemplant la tête de Goliath. Huile sur toile, 227 x 145,5 cm. Vente Paris, Artcurial et Millon, 25 novembre 2025. Estimé : 2 000 000/4 000 000 €.

Guido Reni (1575-1642), David contemplant la tête de Goliath. Huile sur toile, 227 x 145,5 cm. Vente Paris, Artcurial et Millon, 25 novembre 2025. Estimé : 2 000 000/4 000 000 €. Photo service de presse. © Artcurial

« Il faudroit les comparer ensemble pour juger lequel est le plus beau »

Les différences avec la version du Louvre sont ténues mais réelles : les deux toiles ont dû être exécutées dans un très court laps de temps. Preuve, s’il en fallait, que ces déclinaisons autour d’un même sujet n’étaient pas un problème en soi, les admirateurs du tableau de Turin rêvaient déjà d’une confrontation. En 1786, Monsieur de La Lande mentionnait à son retour d’Italie « Un David du Guide, semblable à celui que possède le roi de France », et précisait illico « Il faudroit les comparer ensemble pour juger lequel est le plus beau ». Il y a fort à parier que, deux cent trente-neuf ans tard, ce soit bientôt chose faite. Les recherches récentes multiplient les opportunités de rapprochements. Cet hiver à la Pinacothèque de Bologne, Raffaella Morselli, spécialiste incontestée du Guide, prévoyait de présenter face aux célèbres versions de Madrid et de Capodimonte, accrochées côte à côte, un « nouvel » Atalante et Hippomène, identifié en 2023 dans une collection privée italienne. Mais, coup de théâtre, voilà que le musée de Libourne, en France, en aurait découvert un quatrième !

Le musée de Libourne crée la surprise 

À l’occasion d’un récolement, la restauratrice Sylvie Jarrosson tombe en réserve sur un vaste tableau couvert de papier japon, vaguement étiqueté comme une copie du XIXe siècle, envoyée par l’État. Sauf qu’il n’en est rien ! La première fenêtre ouverte sur la toile révèle toutes les caractéristiques d’une œuvre du XVIIe siècle, ce que confirment les premières opérations de conservation. Branle-bas de combat : en mars, l’hypothèse ouverte d’un authentique chef-d’œuvre de Guido Reni est rendue publique, et un comité scientifique est réuni sans tarder autour de la Drac, du C2RMF et d’un large collège d’experts internationaux. Au début du mois de juin le verdict tombe. Ce tableau est bien l’Atalante et Hippomène des collections du marquis de Leganés, dont il porte encore le numéro d’inventaire « 1110 ».

Guido Reni (1575-1642), Atalante et Hippomène (avant restauration). Huile sur toile, 200 x 251 cm. Libourne, musée des Beaux-Arts.

Guido Reni (1575-1642), Atalante et Hippomène (avant restauration). Huile sur toile, 200 x 251 cm. Libourne, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © C2RMF / Laurence Clivet

Connu depuis 1641, il avait disparu à Paris en 1867, après la vente du marquis de Salamanca. Hommage est enfin rendu à la bienfaitrice, Madame Chastenet de Castaing, châtelaine de Carles (Saillans), qui – dans la plus grande discrétion et peut-être sans le savoir – avait fait ce don colossal à la commune de Libourne, en 1949. Un appel au mécénat doit être lancé pour soutenir la restauration en cours, laquelle se poursuivra jusqu’à l’automne. Les premiers résultats sont admirables, Atalante et Hippomène gambadent désormais délestés de leurs vilaines sandales, ajoutées à une période fort peu recommandable. Comble de grâce, instant suspendu de ruse et d’amour, leur ballet se poursuivra sous les meilleurs auspices, à condition que celui de nos musées, expositions, restaurations, récolements, continue de favoriser longtemps d’aussi belles découvertes.

Lorsqu’elle a été repérée dans les réserves, l’œuvre était entièrement recouverte de papier Japon. La restauratrice a pratiqué une première fenêtre dans ce papier au niveau de la main d’Atalante et a ôté le vernis oxydé.

Lorsqu’elle a été repérée dans les réserves, l’œuvre était entièrement recouverte de papier Japon. La restauratrice a pratiqué une première fenêtre dans ce papier au niveau de la main d’Atalante et a ôté le vernis oxydé. Photo service de presse. © Sophie Jarrosson