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Septembre 2025 : notre sélection de livres d’art

Détail de la couverture de l'ouvrage Artemisia Gentileschi, éditions Citadelles & Mazenod, 2025, 320 p., 149 €.

Détail de la couverture de l'ouvrage Artemisia Gentileschi, éditions Citadelles & Mazenod, 2025, 320 p., 149 €. © Citadelles & Mazenod

De la vie passionnante d’Artemisia Gentileschi au destin brisé d’Alfred Dreyfus, des voûtes majestueuses de la Sainte-Chapelle de Vincennes au nouvel essai de Nadeije Laneyrie-Dagen sur la logique de dévoilement dans l’art, L’Objet d’Art vous propose sa sélection de livres de la rentrée.

Dévoiler ou occulter : une dialectique artistique

Professeure émérite à l’École Normale Supérieure, prolifique auteure de monographies et d’ouvrages thématiques consacrés aux représentations du corps, de la nature, à l’œuvre de Rubens ou à des artistes actuelles, Nadeije Laneyrie-Dagen signe ici un nouvel essai ambitieux, tant par la densité de son contenu que par son amplitude chronologique et géographique. Dans ce livre au propos transversal, elle revient sur des millénaires d’histoire de l’art occidental, interrogeant les notions de dissimulation et de présentation des œuvres au public. Depuis les énigmatiques peintures rupestres de Lascaux et les entailles préhistoriques des abris de la Ségognole, jusqu’au célèbre cache réalisé par André Masson pour dissimuler L’Origine du monde de Gustave Courbet, en passant par les tombeaux égyptiens de l’Antiquité et le voilement des œuvres pour motif religieux dans l’Occident chrétien du Moyen Âge et de la Renaissance, l’historienne de l’art nous permet de renouer avec la signification profonde, anthropologique, du geste de montrer ou de cacher. À une époque caractérisée par les velléités d’ouverture à un public toujours plus large et à une transparence toujours plus grande des espaces consacrés aux arts, Nadeije Laneyrie-Dagen rappelle combien la rareté de certaines images a pu au contraire leur conférer une puissance parfois mystique, quasi surnaturelle : ainsi en était-il des magnifiques retables ou icônes seulement visibles aux yeux des foules lors des grands moments de la vie liturgique, ou encore des œuvres recouvertes de voiles lors du Carême et des périodes de deuil. Cette dialectique de l’occultation-révélation s’exprime aussi dans des réalités plus profanes, dans les boudoirs et cabinets privés du XVIIIsiècle où d’aucuns ont pu avoir quelques surprises, ainsi de La Gimblette, huile sur toile de François Boucher d’apparence anodine qui pouvait laisser place à son double malicieux : La Femme qui pisse (vers 1760). Le propos est enrichi de cinquante illustrations : des chefs-d’œuvre de Van Eyck, Titien, Goya, Fragonard, Watteau, mais aussi des dessins, gravures, meubles, montrant la pérennité et l’importance de la question sans cesse en évolution du voilement ou du dévoilement de l’art. Elle demeure pertinente, dix ans après l’attentat sanglant commis contre Charlie Hebdo pour avoir publié des caricatures du prophète de l’islam Mahomet, véritable électrochoc ayant poussé l’éminente historienne de l’art à « passer à l’acte » en écrivant ce livre passionnant, qui ne manque pas de nous interroger : l’art peut et doit-il être vu par tous ? Reste-t-il pris au piège entre deux extrêmes, élitisme contre démocratisation, ou plutôt, comme le formulerait l’auteure, « ésotérisme contre exotérisme » ? R.B.-R.

Nadeije Laneyrie-Dagen, Cacher / montrer. Une histoire des œuvres invisibles en Occident, Gallimard, 2025, 320 p., 25 €.

Nadeije Laneyrie-Dagen, Cacher / montrer. Une histoire des œuvres invisibles en Occident, Gallimard, 2025, 320 p., 25 €. © Gallimard

Nadeije Laneyrie-Dagen, Cacher / montrer. Une histoire des œuvres invisibles en Occident, Gallimard, 2025, 320 p., 25 €.

Artemisia l’indomptable

Célébrée de son vivant pour la puissance de son œuvre, Artemisia Gentileschi (1593-1654) est un cas unique dans la peinture occidentale. Orpheline de mère à 12 ans, elle se forme à la peinture auprès de son père Orazio, à Rome, mais c’est dans la Florence des Médicis, où elle se marie, qu’elle accède à la reconnaissance, avant de partir pour Venise ; un séjour qui prend fin vraisemblablement à la suite de l’épidémie de peste frappant la Sérénissime en 1630. L’artiste termine sa vie à Naples qui lui offre la consécration. Sa ténacité, son désir de se mesurer à ses collègues masculins par des choix iconographiques audacieux, ses échanges avec les principaux artistes de son temps, sa fréquentation des cercles intellectuels et des académies font d’Artemisia Gentileschi une artiste fascinante que l’on ne peut comparer à aucune autre peintre femme. Comme l’affirme Asia Graziano dès les premières pages de ce livre : « Loin d’être une victime désarmée, craintive, qui aurait tenté de surmonter un traumatisme de jeunesse à travers une catharsis artistique, elle fut une professionnelle infatigable, déterminée, orgueilleuse, confiante en elle-même et en son art, capable de dépasser la tradition tout en défiant ses meilleurs représentants ». On notera également la dimension autobiographique de son art jusque dans les œuvres de commandes. Les éditions Citadelles & Mazenod livrent ici un opus magnifique, somptueusement illustré, qui plonge le lecteur au cœur de l’œuvre grâce à une multitude de détails en pleine page. Les différents essais qu’il renferme, tous écrits par des spécialistes, démontrent que l’on ne peut pas interpréter la peinture d’Artemisia seulement en fonction de la violence de sa vie personnelle et de son viol à Rome par Agostino Tassi, un ami et collaborateur de son père. Un chapitre analyse les archives de l’époque : l’on y apprend par exemple qu’elle commence à Rome par la pratique de la broderie ; un autre reproduit des lettres de l’artiste adressées à Galilée, Cassiano dal Pozzo son protecteur ou à son mécène Antonio Ruffo ; une riche bibliographie et un index répertoriant toutes ses œuvres complètent l’ensemble. N. d’A.

Asia Graziano, avec des contributions de Sheila Barker, Gregory Buchakjian et Claudio Strinati, Artemisia Gentileschi, éditions Citadelles & Mazenod, 2025, 320 p., 149 €.

Asia Graziano, avec des contributions de Sheila Barker, Gregory Buchakjian et Claudio Strinati, Artemisia Gentileschi, éditions Citadelles & Mazenod, 2025, 320 p., 149 €. © Citadelles & Mazenod

Asia Graziano, avec des contributions de Sheila Barker, Gregory Buchakjian et Claudio Strinati, Artemisia Gentileschi, éditions Citadelles & Mazenod, 2025, 320 p., 149 €.

Un héros français

« La mémoire entre au port de l’histoire, cent trente ans après que l’affaire Dreyfus a débuté. Il est des victoires qui élèvent l’humanité. » La victoire dont parle ici l’historien Vincent Duclert est celle de la « Vérité et justice », du nom de l’exposition plébiscitée du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (13 mars-31 août 2025), consacrée au long et âpre combat du capitaine Dreyfus, de ses proches et de ses alliés dans l’épreuve, pour recouvrer sa liberté et son honneur. Le catalogue de l’exposition, riche de 220 illustrations, immerge le lecteur dans l’« Affaire » qui aura fait trembler sur ses bases la jeune République française : depuis l’intégration des juifs dans la France du XIXsiècle jusqu’à la pleine réhabilitation de l’officier d’artillerie, en passant par les soubresauts et rebondissements des différents procès d’Alfred Dreyfus, le propos détaille les ressorts complexes d’une injustice aux implications historiques. Parmi les œuvres reproduites dans ce bel album, on retrouve, outre quelques chefs-d’œuvre de Vuillard, Vallotton ou Degas, des archives personnelles exceptionnelles de la famille Dreyfus, parmi lesquelles le journal, les dessins et les cahiers de travail de détention du condamné. Mais aussi des extraits rares de correspondance, des photographies, des croquis d’audiences judiciaires, des coupures de presse et des caricatures, offrant par la diversité et la pertinence de cette sélection un panorama complet d’une période troublée, au climat antisémite et délétère, agitée par les débats autour de l’identité française et de la séparation de l’Église et de l’État. Les courts essais, puissants et documentés, qui constituent la trame de l’ouvrage, replacent Alfred Dreyfus dans toute sa vérité : celle d’un authentique patriote, un Français juif ayant rejoint la carrière des armes pour venger l’affront de l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine en 1871 ; celle d’un polytechnicien et d’un officier brillant, destiné à une grande carrière, à la trajectoire brisée par une odieuse machination antisémite. Au fil des pages et des objets reproduits, l’Affaire s’impose comme un fait majeur de notre histoire contemporaine, dont les retombées furent, et restent, considérables ; en témoigne l’adoption par l’Assemblée nationale, en juin 2025, d’une proposition de loi visant à élever à titre posthume le capitaine Dreyfus au grade de général de brigade, dans le vœu déclaré de continuer à lutter contre la haine à l’égard des juifs en France, et de poursuivre l’œuvre de réhabilitation d’un authentique héros français. R.B.-R.

Isabelle Cahn et Philippe Oriol (dir.), Alfred Dreyfus. Vérité et justice, coédition Gallimard / musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, 2025, 288 p., 39 €.

Isabelle Cahn et Philippe Oriol (dir.), Alfred Dreyfus. Vérité et justice, coédition Gallimard / musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, 2025, 288 p., 39 €. © Gallimard

Isabelle Cahn et Philippe Oriol (dir.), Alfred Dreyfus. Vérité et justice, coédition Gallimard / musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, 2025, 288 p., 39 €.

Lumière sur les vitraux de la Sainte-Chapelle de Vincennes

Quelque soixante-dix ans après la création du Corpus vitrearum, association internationale tout entière dédiée à la recherche sur le vitrail, et alors que la recension complète des vitraux réalisés dans l’Hexagone avant la Révolution s’est achevée en 2021, le comité français poursuit son indispensable travail en publiant cette huitième monographie. Consacré à la Sainte-Chapelle de Vincennes, ce bel ouvrage ponctué de près de 200 illustrations, parmi lesquelles d’éblouissants détails en pleine page, s’inscrit dans la lignée des magistrales études menées par les plus éminents spécialistes, tels Louis Grodecki et Jean Lafond. Récemment restaurée sous la houlette du Centre des monuments nationaux qui en a la charge, la Sainte-Chapelle commanditée par Charles V (1379) s’impose architecturalement comme un joyau gothique, mais c’est seulement entre 1551 et 1563 qu’elle est dotée de remarquables verrières figurant des scènes de l’Apocalypse, Henri II souhaitant alors embellir l’édifice devenu le siège du chapitre de l’ordre royal de Saint-Michel. Malmenés au fil des siècles par les intempéries, explosions et déplacements, dénaturés par des restaurations abusives, ces vitraux n’ont toutefois jamais cessé d’être admirés. Alexandre Lenoir ne s’y trompe pas lorsqu’il les fait transférer dans son musée des Monuments français (1796). Révélant pleinement l’inventivité des cartonniers autant que la virtuosité du peintre verrier du roi Nicolas Beaurain, la restauration fondamentale conduite par l’atelier Parot en 2017-2018 a enfin offert l’occasion de faire toute la lumière sur les sept baies subsistantes. Sous la plume de Michel Hérold (président du Corpus vitrearum France), Guy-Michel Leproux (directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études), Élisabeth Pillet (conservatrice en chef du Patrimoine au Centre André Chastel), Claudine Loisel et Barbara Trichereau (ingénieures de recherche au Laboratoire des Monuments historiques), ce livre de grand format publié aux Éditions du patrimoine conjugue donc recherches historiques, analyses des œuvres, dépouillement des sources et observations techniques pour nous offrir une étude exhaustive exemplaire. R.B.-R.

Michel Hérold, Guy-Michel Leproux, Claudine Loisel, Élisabeth Pillet, Barbara Trichereau, Corpus vitrearum. Les vitraux de la Sainte-Chapelle de Vincennes, Éditions du patrimoine, 2025, 288 p., 65 €.

Michel Hérold, Guy-Michel Leproux, Claudine Loisel, Élisabeth Pillet, Barbara Trichereau, Corpus vitrearum. Les vitraux de la Sainte-Chapelle de Vincennes, Éditions du patrimoine, 2025, 288 p., 65 €. © Éditions du patrimoine

Michel Hérold, Guy-Michel Leproux, Claudine Loisel, Élisabeth Pillet, Barbara Trichereau, Corpus vitrearum. Les vitraux de la Sainte-Chapelle de Vincennes, Éditions du patrimoine, 2025, 288 p., 65 €.